Il était temps, le temps est venu, voici enfin le top 30 des albums les plus appréciés par la Rédaction de C'est Entendu au cours de la décennie fraichement close. Plus qu'une liste (de plus), nous espérons que ce récapitulatif sera aussi pour vous l'occasion de découvrir (ou redécouvrir) quelques pépites que l'on peut désormais appeler sans sourciller "classiques."

30. Eels - Souljacker (2001)
Après des albums doux et tellement tristes dans les 90's, Mark Oliver Everett, a.k.a. E avait décidé de commencer la décennie en se mettant au rock après une thérapie et une nouvelle copine. Le résultat? Un album proprement jouissif où les "
ballades indé" très marquées du style
Eels (pillé ensuite par toute une plâtrée de musiciens qui se croyaient intéressants) sont entrecoupées de véritables tubes avec grosses guitares, groove d'enfer et, encore et toujours, shakers. Depuis, E s'est fait larguer et
ses derniers albums sentent
la vieillesse. "
Life ain't pretty for a dog faced boy".

29. Liars - Drum's Not Dead (2006)
Ces trois mecs avaient débuté la décennie comme "un autre groupe de la vague disco-punk" et même l'un des meilleurs, à vrai dire, mais rien ne laissait présager qu'à chacun de leurs essais ils franchiraient un pallier supplémentaire dans l'expérimentation sonore et rythmique. Sur "Drum's not dead" troisième LP, le stade de l'album concept (centré autour de l'énigmatique personnage appelé Drum) plus vraiment disco, ni même punk, d'ailleurs, était atteint. Si l'on en croit Liars, le "post disco-punk" est une sorte de transe tribale schizophrène menée tambour battant par des dingues enfermés dans une cave sordide.

28. Madvillain - Madvillainy (2004)
Le seul album de hip-hop de notre top est l'un de ceux qui ont réussi à acquérir un statut culte chez les indie rockeurs les plus convaincus. En gros, un album de hip-hop pour ceux qui n'aiment pas vraiment le hip-hop. Mais franchement, qui pourrait résister à ce gros foutoir enfumé au foisonnement d'idées étourdissant? Sur les instrus en forme de collages imprévisibles de Madlib se pose la grosse voix caoutchouteuse de MFDOOM, et le résultat parfois franchement hilarant et surtout étonnamment accessible apparaît alors comme l'évidence même : le cool fait musique.

27. Tool - Lateralus (2001)
Maynard est un sale con, et Tool est un (vieux) groupe de Métal Progressif. A partir de là, vous pouvez soit tracer la route, soit avoir confiance en nous et jeter une oreille curieuse à ce que le Métal a fait de plus intéressant, de moins bête, et de plus geek depuis... le précédent album de Tool, "Aenema" (en 96). Notez qu'au moment des faits, le meilleur batteur du monde était derrière les futs.

26. Grizzly Bear - Veckatimest (2009)
La folk a parcouru un sacré chemin dans les années 2000, ça c'est sûr, et cet album est un peu le témoin de ce que certains ont su en tirer au bout du compte : une musique capable d'un psychédélisme retenu, au son dense, organique, et qui dévoile sa force et sa richesse avec les écoutes jusqu'à nous engloutir totalement.

25. The Strokes - Room On Fire (2003)
Les Strokes sont meilleurs sur "Room on Fire", c'est un fait. On peut les préférer en gamins rentre-dedans un peu niais mais terriblement efficaces, c'est clair, mais ils sont meilleurs lorsqu'ils assument toutes leurs influences (power pop et reggae, on est clairement entre 76 et 78 ici), qu'ils prennent leur temps et qu'ils tirent de leurs guitares toute une variété de sons en laissant à leur chanteur le loisir de démontrer qu'il n'est pas seulement l'auteur de NYC Cops. Le meilleur album du "Retour du Rock" donc.

24. Stephen Malkmus & The Jicks - Real Emotional Trash (2008)
Je me souviens d'une interview de Malkmus datant de 1994 qui parlait de "
Crooked Rain, Crooked Rain"
(de Pavement donc), et dans laquelle il disait quelque chose comme "
Avec cet album, on a enfin assumé nos côtés un peu classic rock". Il lui aura fallu 14 ans et un groupe en béton (avec Janet Weiss à la batterie, forcément) en fait pour finalement faire un album de classic rock. Des morceaux fleuves qui sont comme des leçons de guitare électrique, mais qui n'oublient jamais d'être pop et délicatement tordus. Certes, vous allez me dire, "mais Malkmus a fait ça un peu toute sa vie non?". Oui, mais là, c'est du très haut niveau.
Et c'est pas Joe qui dira le contraire dans sa review sur le sujet.

23. Fever Ray - Fever Ray (2009)
Sorte de messe noire étrange mêlant l'électronique de The Knife, l'excentricité de Kate Bush et les sonorités de Vangelis au chant disco-emo de Karin Dreijer Andersson, "Fever Ray" est une perle noire faisant de l'oeil à quiconque a un jour rêvé d'une artiste electro qui ait à la fois une voix et des idées à elle.

22. My Feet In The Air - Hoshi Mushi (2008)
Vous ne connaissez sans doute pas
My Feet In The Air, mais avec deux petits E.P. et une discographie qui fait en tout 19 minutes, cette jeune française venue de
toute la scène bazar autour de The Snobs a créé un univers particulier absolument unique, où tout est réduit à une échelle magique de façon à ce que quelques petits glockenspiel et un petit ukulélé suffisent à vous transporter ailleurs. C'est d'une richesse et d'une inventivité incroyable et c'est fait avec des petits bouts de ficelles.

21. Herman Düne - Giant (2006)
Le dernier album rassemblant toute la famille Herman Düne. Un disque de pop lalala, deux songwriters complémentaires, des arrangements moelleux, poppy et réservés à la fois, des refrains singalongs et une ambiance homogène et confortable...

20. Final Fantasy/Owen Pallett - He Poos Clouds (2006)
Owen Pallett est un génie,
il l'a encore prouvé récemment, mais ce n'est pas son premier chef d'œuvre, loin de là. Pour se le prouver, il faut écouter "
He Poos Clouds",
deuxième album sous le pseudo
Final Fantasy, enregistré avec un quatuor à cordes et dont les morceaux sont basés conceptuellement sur les écoles de magie de Donjons & Dragons, si si. Le résultat est d'une splendeur étrange et d'une profondeur qu'on ne se lasse pas de sonder, avec des dissonances et autres polyrythmies qui troublent autant qu'elles fascinent.

19. Elliott Smith - From A Basement To A Hill (2004)
Posthume, ce qui devait être un double album monumental, n'est au final qu'une collection de chansons assemblées par les proches d'Elliott. Empreint d'une violence implicite ne débordant pas sur les mélodies, et doté d'arrangements toujours aussi délectables et classieux que sur "Figure 8", "From a Basement on a Hill" n'est peut-être pas ce qu'avait imaginé Elliott Smith, mais il reste néanmoins un album rempli de bonnes chansons, d'émotion et de bonnes idées.

18. Jim O'Rourke - Insignificance (2001)
D'abord la free-folk de papa
John Fahey. Puis la pop orchestrale de tonton
Van Dyke Parks. Et au début de la décennie,
Jim O'Rourke, pour son troisième album pop sur Drag City se lance finalement dans un essai de rock 70's absolument magnifique. Sur des compositions inventives aux paroles hilarantes et misanthropes,
Jim déploie tout son talent d'arrangeur génial et pop, et le résultat est époustouflant, que ce soit sur les ballades matinées de steel guitares crépusculaires ou bien sur les morceaux plus efficaces et rock que sa voix nonchalante rendent
plus-que-parfaits.

17. Joanna Newsom - Ys (2006)
Après un album de vignettes rêveuses harpe/voix qui montrait déjà un sacré talent d'écriture, Joanna Newsom livre sans prévenir en 2006 un monolithe fascinant qui emmène la folk plus loin qu'elle n'a sans doute jamais été à travers cinq longues fresques lyriques. Soutenue par les arrangements orchestraux sublimes du vétéran Van Dyke Parks, sa voix maligne maîtrisée jusque dans ses grincements nous entraîne dans les multiples détours et rebonds d'un grand voyage à l'imaginaire foisonnant.

16. Blur - Think Tank (2003)
Après avoir écrasé toute concurrence pop dans les années 90, après avoir matiné ses hymnes plus anglais qu'une pause thé au milieu d'une partie de cricket d'indie-rock américain, après avoir repoussé les limites de la pop sans avoir l'air d'y toucher avec le chef d'œuvre "13", Blur revient amputé de son guitariste génial dans un chant du cygne qui conjugue, entre autres, la lubie d'Albarn pour la pop expérimentale et sa récente passion pour la world music. Le résultat est un métissage fascinant et imprévisible, empreint d'une lassitude et d'une mélancolie extrêmes.

15. Blonde Redhead - Melody For Certain Damaged Lemons (2000)
Une fois qu'ils eurent bien digéré leurs influences (principalement Sonic Youth), le trio italo-japonais (?!) Blonde Redhead transforma son rock agressif et froid à guitares désaccordées en quelque chose de beaucoup plus pop, mais une pop hybride et sombre aux milles influences typiquement 00's qu'ils ont été les seuls à pouvoir faire aboutir comme sur cet album addictif.

14. Department Of Eagles - In Ear Park (2008)
Oui oui, on sait, Grizzly Bear, mais il ne faudrait pas non plus oublier Department of Eagles, le projet de Daniel Rossen et un ami à lui. "In Ear Park", par rapport à la beauté un peu froide de "Veckatimest" semble être un album plus humain, plus touchant peut -être, et c'est ce qui fait sa force sans doute. En tout cas, le mélange d'une folk riche et complexe avec des arrangements doucement surannés donne un résultat éblouissant, avec des passages lyriques qui vous tireraient des larmes.

13. Portishead - Third (2007)
Il ne reste plus grand chose ici des vétérans de l'indé des années 90 et pourtant, ceux parmi eux qui ont su aller au-delà de leurs acquis ont donné naissance à de vrais chef d'œuvres. "Third" est de ceux-là, et après dix longues années de silence, Portishead a su réinventer totalement son trip-hop froid et sombre sans faire la moindre concession en terme d'exigence et de recherche pour accoucher d'un album désespéré dans lequel se heurtent textures hantées, percussions crues et bruitisme sous delay. Et tout ceci en parvenant à faire la couverture de 20 minutes, ce qui est un sacré tour de force.

12. Electrelane - The Power Out (2003)
Elles étaient 4. Elles étaient anglaises. Elles aimaient le kraut rock, les orgues farfisa et les longues jams psychédéliques. Après un premier album enthousiasmant, elles avaient décidé d'aller voir Steve Albini et de faire des morceaux plus pop. Et ça a donné "
The Power Out", un pur chef d'œuvre de rock alternatif, vraiment alternatif. Le résultat est bordélique, les morceaux sont tour à tour
émouvants, jouissifs, épiques à grand coups de chorale ou minimalistes au piano, mais tout se tient pour former un ensemble unique et intelligent, dont on peut tomber amoureux facilement.

11. The Notwist - Neon Golden (2002)
Production nickel chrome, légère et sans accroc pour l'un des albums les plus pompés de la décennie. Malgré la mélancolie fatiguée qui le parcourt, il y a toujours cette envie de chanter les refrains et cette surprenante introduction d'un refrain COLLEGE ROCK inattendu sur One with the freaks, qui dégomme tout ce qu'ont fait les Smashing Pumpkins dans la même décennie.

10. Deerhoof - Apple O' (2003)
Le groupe le plus original de la décennie, peut-être même le groupe de la décennie tout court. Que ce soit avec la voix enfantine de Satomi, les guitares ultra complexes de John ou la batterie épileptique de Greg, Deerhoof a crée son propre style : de la pop noisy sans concession, à la fois très accessible et très riche. Sur "Apple O'", c'est un festival de tubes bizarres et d'une inventivité qui confine à la folie. Deerhoof est un groupe qui fait avancer la musique dans le bon sens, celui de la recherche permanente de l'idée tordue mais géniale qui fera d'un morceau déjà formidable un véritable chef d'œuvre. Et le mieux, c'est qu'ils y arrivent presque tout le temps.

9. Godspeed You! Black Emperor - Lift Yr. Skinny Fists Like Antennas To Heaven (2000)
On n'a pas fini de se laisser ensevelir par les deux impressionnants chef d'oeuvre avec lesquels cette maison-mère du label montréalais Constellation a annihilé toute forme de concurrence dans la musique instrumentale pendant la décennie, avant d'exploser en presque autant de groupes passionnants que la formation avait de membres. Le premier de ces albums essentiels, "Lift yr. skinny fists like antennas to heaven", développe déjà en deux disques et quatre mouvements toutes les facettes d'une musique surpuissante, dévastatrice, qui réduit l'auditeur et ses émotions en miettes.

8. LCD Soundsystem - Sound Of Silver (2007)
James Murphy, son truc, c'est de mêler disco et punk et, en conservant la même base, d'ajouter les quelques détails à son morceau-témoin pour vous fasse danser d'une façon différente. C'est aussi le seul mec qui aura, dans un même album, utilisé à la fois des cowbells, Steve Reich et l'autodérision patriotique, pour faire groover deux ou trois accords qui n'en demandaient pas tant.

7. The Breeders - Title TK (2002)
Title TK EST les Breeders. Et peu de disques peuvent se vanter d'être plus COOLS que celui-ci. Avec un minimum d'arrangements, de chichis et de boucan. L'essentiel, rien de plus. Un MUST HAVE pour quiconque prétend aimer le rock.

6. Gorillaz - Gorillaz (2001)
Sacré Damon Albarn, vous ne pensiez tout de même pas que sa présence dans notre top allait s'arrêter là, non ? Parce que le lascar arrive dans la décennie bourré d'idées, et dans ses bagages, ce faux groupe animé plus cool que la mort qui lui servira surtout de salle de jeu avec assez d'espace pour faire venir les copains, car le bonhomme a le featuring facile. Un album de pop moderne foutraque et bancale, qui va chercher tant chez Bowie que dans le hip-hop, mais qui finit par tordre tous les codes et tout réinventer avec une innocence folle dans une orgie de sons tordus.

5. The Snobs - Albatross (2009)
En sept ans de carrière, et autant d'albums (sans compter les moult E.P.), le duo français
The Snobs a réussi à se créer une univers unique qui mêle tout dans un grand capharnaüm magnifique, de la pop sixties la plus raffinée au noise rock le plus brutal. Un parcours exemplaire et inspirant qui s'est couronné l'année dernière par un album-somme,
"Albatross", pur chef d'œuvre dans lequel on ne se lassera sans doute jamais de se plonger et de se perdre.

4. Arcade Fire - Funeral (2004)
Si l'on oublie deux minutes les dizaines de suiveurs minables qui ont copié à tort et à travers la recette "pop chorale de fin du Monde avec le désespoir comme refrain", on se souviendra que c'est avec un disque comme celui-ci (entre autres, mais celui-ci plus particulièrement) que l'indie pop a pu gagner la popularité (impensable il y a encore six ans) qui est la sienne aujourd'hui (on en entend partout et tout le temps à la téloche, on en passe en radio...). Ajoutez à cela le talent de songwriting du couple Chassagne/Butler, les batteries disco et les circonstances très à propos de l'enregistrement et vous obtenez un disque profondément touchant et révolté, véritable mine d'or pour quiconque aime chanter en chœur avec ses haut parleurs.

3. A Silver Mt. Zion - 13 Blues for Thirteen Moons (2009)
Héros déprimés des années 2000, les canadiens d'A Silver Mt. Zion sont passés progressivement d'un rock instrumental dépouillé à de grands albums de chorales limite punk sur murs du son post-apocalyptiques. Et si "Horses In The Sky" était déjà un immense album de tristesse collective, "13 Blues For Thirteen Moons" poussait la véritable nature rock du groupe à son paroxysme, avec des morceaux plus épiques que tout où la noirceur de certaines compositions fleuves de toujours plus de 10 minutes vient toujours être éclairée finalement par un espoir lumineux et mis en musique avec passion. Peut-être le groupe le plus sincère de la décennie. Et dont les codas auront donné le plus de frissons.

2. Radiohead - Kid A (2000)
Ce n'est évidemment une surprise pour personne tant Radiohead aura simplement dominé la première moitié de la décennie en redéfinissant la marche à suivre pour n'importe quel groupe aux ambitions expérimentales dans une trilogie parfaite qui fascine encore. Un peu hâtivement qualifié à sa sortie de "virage électronique" pour le groupe, "Kid A" défriche avant tout les possibilités d'une avant-garde accessible sans être jamais démonstratif dans ses idées tant la symbiose entre écriture et production est parfaite. Chaque morceau y est une perle indispensable dont la puissance désespérée nous touche encore.

1. Sonic Youth - NYC Ghosts and Flowers (2000)
C'est non seulement le meilleur disque sorti par
Sonic Youth lors de cette décennie, mais aussi, selon une partie de la rédaction, le meilleur disque de
Sonic Youth tout court. Première collaboration entre le groupe et
Jim O'Rourke, c'est aussi un sommet de production. Le boucan, habituel chez
Sonic Youth, n'est pas en reste, mais le rock bruyant des années 90 laisse ici la place à un groove froid, expérimenté sur
de longues pistes compliquées comme sur des brûlots post-dadas. En guise de cerise, le final éponyme chanté par Lee Ranaldo plante le dernier clou sur l'édifice poético-musical New Yorkais le plus accompli depuis longtemps.
Évidemment, à cette liste peuvent s'ajouter quelques grands absents, on pense notamment à
Stereolab ou, surtout, les
Fiery Furnaces pour lesquels le choix d'un album en particulier aurait divisé la Rédaction au point d'occasionner coups, blessures et contusions. Mais au final il ne peut en rester que trente, et ce sont ces trente-là.
La Rédaction