Dire que Jim O'Rourke a une discographie en solo hétérogène serait un genre d'euphémisme ultime. Imaginez un type qui a des morceaux qui vont de 1 minute jusqu'à plusieurs heures, qui va du drone à la musique concrète, en passant par la musique contemporaine, les improvisations électroniques, mais qui s'est aussi mis à faire de la free-folk, de la pop baroque de chambre, et puis un peu de rock 70's tant qu'on y est, le tout dans une ribambelle d'albums sortis depuis la fin des années 80. Aimer tout Jim O'Rourke est une mission quasi-impossible, cette discographie interminable est une sorte de défi à nos goûts qu'on prétend extensibles. Ce n'est pas tant que tout ce qu'on y trouve est réussi, bien au contraire, c'est juste que le spectre musical qu'on y trouve est d'une largeur absolument incroyable, quasiment intenable. Prenons un exemple concret de cette hétérogénéité qui confine à la délicieuse schizophrénie. On est en 2001, et sort "Insignificance" sur le label Drag City. Depuis quelques années, Jim s'est mis à sortir des albums qu'on pourrait qualifier de pop, avec des vraies chansons, parfois avec des vrais refrains, des structures quasi-normales (bien qu'habilement perverties) : si "Eureka" rendait hommage aux arrangements délicats d'un Van Dyke Parks, si l'e.p. "Halfway To A Threeway" était un délicieux croisement entre la folk et la pop, "Insignificance" rend hommage à une autre sorte de musique populaire chère à O'Rourke, à savoir le classic rock et le bon vieux pop-rock 70's. Il ose tout : grosses guitares, batterie qui tape, basse qui groove, le tout couronné de paroles hilarantes et misanthropes à souhait. Et deux mois plus tard, il retournera à l'electronica improvisée sur l'album "I'm Happy, And I'm Singing, And A 1, 2, 3, 4", comme si de rien n'était.
(La très jolie pochette du disque)
Le morceau titre de l'album? Ecoutez-le dans le player tout de suite. C'est la paradis absolu de la pop music et la meilleure manière de se réveiller. Les arrangements très denses et passionnants semblent venir d'ailleurs, toujours placés dans cette entre-deux entre la pureté naïve et un petit peu d'ironie face à tant de propreté : Jim ose tout, le piano électrique retro, les guitares solo qui harmonisent, les synthétiseurs décalés qui imitent le son des petits oiseaux. La rythmique décontractée est portée par un piano magnifique qui martèle bêtement des accords, créants des petites montées harmoniques sans aucune tension. Et au milieu de tout ça, il y a la voix de Jim O'Rourke, un peu éteinte (toujours...) mais toute légère qui se multiplie à la fin dans un jeu de chorale façon Beach Boys du nouveau millénaire. A la fois synthèse de 40 ans de pop, et clé de voûte de 40 ans à venir, plus qu'un morceau, Insignificance est un exemple de morceau absolument parfait. Si arrivé à la fin, quand le morceau se désintègre devant vos oreilles et vous semble n'arriver sur rien après une montée curieuse, c'est normal. Écoutez l'album pour comprendre, le morceau enchaine sur Therefore, I Am, le gros tube rock de Jim. Et l'effet est parfait. Comme tout l'album d'ailleurs. Ne pas écouter "Insignificance," c'est passer tout simplement à côté d'un des albums pop les plus parfaits de la décennie.
(La encore-plus-jolie pochette intérieure du disque qui fait aimer les poulpes)
Très bel article sur l'une des mes chansons préférées de mon disque préféré du bonhomme. :)
RépondreSupprimer