Ce matin, un type m'arrête dans la rue, il m'attrape le bras, et ses yeux fixés sur un point fixe à une cinquantaine de mètres derrière moi, il m'affirme d'un ton péremptoire "Je suis pas né d'hier et je sais qui tu es !"
L'histoire est banale, il y a tout un tas de paumés fondus du cigare qui arpentent les rues des Grands Villes. Cependant cette banale phrase m'a fait penser à Stephen Malkmus, et je vais vous dire pourquoi. Selon moi il y a trois catégories de personnes : ceux qui sont cools, ceux qui ne le sont pas et ceux qui ont l'air de l'être. Cette dernière catégorie a mes faveurs. Pas seulement parce que je pense en faire partie, mais parce que beaucoup de mes musiciens favoris en sont issus. Kim Deal, Patti Smith, par exemple, et évidemment Stephen Malkmus. Le genre de personnes qui n'expriment ni le besoin ni l'envie de faire l'effort d'avoir l'air cool. Ils n'en ont pas besoin, ça leur est naturel. Mais chez eux, ça n'est qu'un air. Passée la barrière de l'apparence, croyez-le ou pas, ce sont des losers (si vous avez eu l'occasion de regarder le documentaire "Pixies Sell Out", ou bien "Patti Smith : Dream of Life" vous vous en êtes déjà rendus compte). Rien à voir donc avec ceux unanimement considérés comme parangons du cool (pensez à Beck ou Thurston Moore, par exemple, ou encore plus fastoche, disons Bob Dylan) ni non plus avec les véritables losers, ceux qui ne parviennent pas à cacher leur absolu manque de classe (Pete Doherty me parait être l'exemple type).
Stephen Malkmus, je n'en doute pas une seconde, n'est pas le mec le plus charismatique, le plus prompt à délivrer en privé de grands discours idéologiques ou à avoir une répartie tueuse. Pourtant il se dégage de son attitude sur scène, de ses paroles et de sa musique une notion de cool si forte, qu'à l'écoute des disques de Pavement ou de cet album, il m'est arrivé de voir apparaitre le mot "c o o l," flottant au dessus de la platine, une sorte de synesthésie implacable et formidablement à propos.
Néanmoins, Malkmus a sorti trois albums solo consécutifs à la séparation de Pavement et antérieurs à "Real Emotional Trash" et l'effet n'était alors plus le même. Qu'il aille vers un format chanson trop fastoche ("Stephen Malkmus," 2001), expérimente son jeu de guitare vers plus de liberté, avec plus ou moins de succès ("Pig Lib," 2003) ou déborde vers un prog à synthé très inégal ("Face the Truth," 2005), il ne m'avait jamais réellement convaincu depuis la fin de Pavement... jusqu'à ce "Real Emotional Trash," sorti en 2008.
"Classic Rock" est le terme le plus adéquat : des chansonsà rallonge, étirées par des solos de guitare, font que l'on pense plus à Neil Young qu'à The Fall, Blur ou Television. Et ce parti pris d'aller vers un rock énergique, même s'il prend son temps, évite les temps morts. Les épopées (Hopscotch Willie, Real Emotional Trash, Elmo Delmo) sont entrecoupées de morceaux plus courts, format chanson, plus directs et accessibles (We can't help you, Out of Reaches) qui restent malgré tout vigoureux, peut-être du fait de l'apport à la batterie de Janet Weiss (dont je vous parlais l'autre fois), qui n'est pas connue pour son jeu tout en finesse... La guitare de Malkmus, elle aussi gagne en puissance et en efficacité ce qu'elle perd peut-être en liberté de mouvement. Comme sur "Pig Lib" le jeu de Malkmus se rapproche de ce qu'il était entre 1994 et 1995 chez Pavement, en gardant cette identité très prononcée qui fait son charme. Quelques mélodies rappellent l'époque de "Wowee Zowee" (1995) comme le "Shake me off the knife because I want to go home" de Dragonfly pie, ou le "Find a place to..." de We can't help you qui ressemble à la mélodie du refrain de Ann, don't cry, sur "Terror Twilight" (1999).
La direction prise n'est pourtant pas celle du retour en arrière : le son est nettement plus gras et massif que chez Pavement, et si les claviers très laids de "Face the Truth" sont passés à la trappe, tout l'album nage dans une sorte de tambouille hésitant entre l'envie de retour au dépouillement passé et l'impossibilité d'empêcher la guitare de se munir d'effets en tout genre, qui pourront effrayer les plus cagueux parmi vous, mais n'empêcheront pas les autres d'apprécier le songwriting sans égal de Malkmus. Et si j'en trouve un parmi vous prêt à critiquer son écriture, tout ça parce qu'il se permet une ou deux facilités (We can't help you est peut-être simpliste, mais qui a dit que la simplicité était interdite aux derniers hérauts de la guitare ?), il y a de grandes chances que je vous rappelle avec force pied au cul la facilité avec laquelle des morceaux comme We Dance (sur "Wowee Zowee") étaient construits.
Le sommet de l'album est la chanson-titre, qui permet à St. Malkmus (42 ans au moment des faits) de démontrer qu'il peut encore nous faire le coup de la montagne russe "à la" Speak, See, Remember (sur "Terror Twilight") en produisant au centre de ce rock décontracté une accélération lente et explosive, enchainée sur l'un des meilleurs rocks de la décennie.
Joe
P.S. : Ce week-end, Malkmus a laissé entendre sur son Facebook que lui et les Jicks étaient partis "dans le Sud" pour enregistrer le successeur de "Real Emotional Trash" qui, avec un peu de chance, sortirait donc en 2010.
Grand album. Dans mes albums préférés de la décennie. Quel chef d'oeuvre bon sang. Le final de Elmo Delmo quoi. Le morceau-titre. Je veux dire, quand on veut du rock & roll, bah on écoute cet album, et on a pas besoin de grand chose d'autre.
RépondreSupprimerFameuse review. Il fallait que ça sorte, ouais.
C'est vrai qu'il est très bien ct'alboum.
RépondreSupprimerIl pourrait crever.
RépondreSupprimer42 piges ? Il en fait 25... :D
RépondreSupprimerTu l'as dans tes potes facebook, franco?
RépondreSupprimerJ'aime bien Face The Truth ! Il est sûrement inégal mais il contient quelques excellentes chansons : le tube pop un peu bancal Pencil Rot et l'espèce de Marquee Moon de l'an 2000 No More Shoes. C'est son album le plus psychédélique en fait, ça doit être pour ça que je le péfère aux autres. Je n'ai jamais été fan du côté classic rock de Pavement et Malkmus de toute façon.
RépondreSupprimerDuck.
J'aime TOUS les albums de Malkmus et de Pavement. C'est plus simple. :)
RépondreSupprimerPourtant, si mes souvenirs sont bons, t'avais pas kiffé la chanson Baltimore quand elle a été dispo un peu avant la sortie de l'album, Joe, non ?
RépondreSupprimerT'as meilleure mémoire que moi :o
RépondreSupprimerDuck : Comme tu dis No More Shoes et Pencil Rot sont super, mais elles sont côte à côte au cente d'un album vraiment moyen :D
Tous ses albums sont au moins "pas mal", vous déconnez (pig lib, face the truth).
RépondreSupprimerTu chiais sur Baltimore, je me souviens. Tu disais que c'était de la grosse daubasse. C'est une des meilleures de l'album.
RépondreSupprimerHey Pig Lib, je te l'ai dit, je l'ai réévalué à la super hausse. Et tous ses albums sont MINIMUL "pas mal", c'est claro que si señor !
RépondreSupprimer"vraiment moyen" < "pas mal", selon mi :P
RépondreSupprimerBonne description de Malkmus, un mec qu'a l'air d'être cool. Je trouve que le concert à emporter qui lui est consacré est aussi un bon portrait de lui. Un mec quand même un peu seul en somme.
RépondreSupprimerhttp://www.blogotheque.net/Stephen-Malkmus,3951
seul? pourquoi serait-il plus seul qu'un autre?...
RépondreSupprimerau blog: j'ai regardé dans le dictionnaire et j'ai pas trouvé ce que veut dire "cagueux".. dans cette phrase ""l'impossibilité d'empêcher la guitare de se munir d'effets en tout genre, qui pourront effrayer les plus cagueux parmi vous" HeLP!
Si Sebastien dit "seul" c'est parce que contrairement à beaucoup de Concerts à Emporter, celui de St. Malkmus donne l'impression d'un mec un peu renfermé, un peu géné d'être là, qui joue sa chanson et demande si ça suffit. Dans le documentaire "The Slow Century" j'avais aussi eu cette impression du type pas très bon vivant, pas le meilleur camarade, le plus grand BUDDY que l'on puisse imaginer. Mais évidemment tout cela n'est que spéculation.
RépondreSupprimerQuant au terme "cagueux" il signifie "trouillard", cher lecteur !
Le type qui s'est occupé de ce concert à emporter n'a pas l'air d'apprécier bcp Malkmus. Pourtant (ou grace à ca) c'est la vidéo la mieux réalisé que j'ai pu voir sur la blogothèque. Dépourvue du côté un peu mièvre, et fanboy complaisant, présent sur les autres vidéos.
RépondreSupprimerLe côté renfermé, un peu géné complexifie le bonhomme. Ca me plait. :D
Fameuse théorie, pas pour me déplaire, tant il est vrai que la mièvrerie est le défaut inhérent aux CàE.
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RépondreSupprimerQue Malkmus recueille un max de commentaires, c'est une triste info pour ce blogm.
RépondreSupprimerBien au contraire mon cher Vinz
RépondreSupprimerça c'est de la zik !
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