Quand Owen Pallett a annoncé en 2006 qu'il commençait à réfléchir à la composition d'un album conceptuel intitulé "Heartland" après sa prouesse orchestrale "He Poos Clouds", il y avait quelque chose dans l'idée même de cet album qui impliquait une impatience irrépressible. Peut-être était-ce le titre, ou bien l'assurance d'avoir affaire à un type doué, mais il en restait simplement l'attente d'un chef d'œuvre, sans conditions ni compromis, tout ou rien. Owen s'est laissé le temps pour murir le projet, égrenant des indices sur ce magnum opus en puissance au fil des mois. Des interviews où il annonçait que l'album se déroulerait dans un monde imaginaire. De nouveaux morceaux incroyables en live. Et puis un excellent e.p. avec les musiciens de Beirut, "Spectrum, 14th Century" en 2008, imaginé comme des enregistrements venus de ce monde nommé Spectrum (sorte de Canada qui n'aurait pas été colonisé dans la violence), un monde dans lequel Owen Pallett est la divinité principale, ces chants de personnages imaginaires étant dirigés vers lui. Projet immense, concept incompréhensible, attente insupportable. Et finalement ce choix il y a quelques semaines, envisagé depuis des années mais que les événements ont forcé : changer son nom d'artiste, passer de Final Fantasy à son simple nom Owen Pallett. Choix pratique avant tout (pour éviter les confusions, l'album sortant un peu partout dans le monde), mais à la symbolique pas innocente.
(Midnight Directives)
Et soudain "Heartland", existant vraiment, en 12 morceaux qu'on n'imaginait pas entendre concrètement un jour. Et soudain "Heartland", et une écoute suffit à briser les spéculations : non, ce n'est pas le chef d'œuvre que l'on pouvait attendre. Et soudain "Heartland", qui prend l'auditeur par surprise, le laissant dans l'attente d'un terrain connu qui ne vient pas, ne viendra jamais. Et soudain "Heartland", et plusieurs écoutes suffisent à finalement comprendre : c'est le chef d'œuvre que l'on ne pouvait pas attendre, parce qu'on ne pouvait pas imaginer une oeuvre pareille, et c'est encore meilleur qu'on ne pouvait le penser. "Heartland" vient vers vous comme un grand tout qui fait mystérieusement sens en dehors même de son concept et qui ne peut être vu que comme une grande odyssée musicale de 46 minutes où le souffle d'un orchestre épique joue de toutes les variations dont il dispose, piano puis fortissimo, parfois en l'espace de quelques mesures. C'est l'un de ces albums avec lesquels chaque détail semble avoir fait l'objet d'une mure réflexion mais où tout est à sa place, aussi bancale soit elle.
Ce que propose Owen Pallett ici, c'est un savant mélange entre le classique et le populaire, la dissonance et la mélodie pop, l'acoustique et l'électronique. Certes, brillant arrangeur qu'il est, tout l'album est construit autour des ambiances déjà envisagées dans ses précédents essais, avec moult instruments à cordes et autres trompettes qui s'entrecroisent pour former un tissu orchestral dense, dense jusqu'à l'excès, des raffuts de marche militaire sur Flare Gun jusqu'à une véritable tempête musicale sur Mount Alpentine. Il l'a dit lui même, pour composer, il avait l'image d'une partition qui aurait été entièrement noircie par la masse de notes écrites - le résultat cependant n'est jamais lourd, bien au contraire, c'est là sa force. Mais inspiré par des amis à lui comme Simon Bookish ou Nico Muhly (qui a participé d'ailleurs à l'album et beaucoup conseillé Owen), il a aussi ajouté des touches électroniques qui parsèment l'album pour des mariages déroutants au premier abord mais qui se révèlent être pertinents, en particulier sur un morceau comme The Great Elsewhere. Et le plus passionnant dans tout cela, c'est que l'album ne semble jamais manquer d'originalité, au contraire, tout semble légèrement différent dans Heartland, décalé, déphasé, déconstruit, même les choses les plus simples.
Défigurer sa musique, Owen Pallett n'hésite pas à le faire, la frappant de dissonances auto-destructrices sur la fin de Lewis Takes Action par exemple, jouant sur des quarts de tons qui offrent à la musique un flou étrange, une insécurité tonale qui font passer même les morceaux les plus efficaces pour de mystérieuses étrangetés. Sur le début de Tryst With Mephistopheles, c'est comme si des éclats atonaux bourgeonnaient sur la rythmique métronomique. Détruire, souiller, ce sont des thèmes qu'Owen va jusqu'à développer au niveau des paroles. Véritable "cycle" allégorique, l'histoire à proprement dit de "Heartland" reste obscure dans les détails, mais narre l'histoire de Lewis, "fermier ultra-violent", et des relations qu'il a avec le Dieu qui l'a crée, à savoir Owen. Lewis, conscient de n'être qu'un personnage dans un album appelé Heartland décide un jour de quitter ses terres de Spectrum, se sentant enfermé avec ce Dieu qu'il a adoré et décide d'aller jusqu'au mont Alpentine pour tuer Owen, ce qu'il semble faire finalement à la fin de l'album (oh symbole !) mais peut être pas, qui sait vraiment ? Métaphore globale de la relation entre le créateur et sa création et à la fois texte cryptique aux multiples connotations (ayant trait autant à la notion de croyance qu'à l'idée de supprimer tout maître), avec des touches d'ironie et de haine de soi, "Heartland" contient tout ce qui rend un album unique, étrange, à jamais inexplicable.
(Lewis Takes Action)
Parce que le fait est là, pour autant que vous écoutiez cet album et posiez vos marques en lui, il semble qu'il vous surprendra toujours, par ses détails méticuleux un peu partout, par ses multiples nuances qui rendent les morceaux riches et puissants. Le mot semble galvaudé de nos jours, mais quel autre mot qu'épique peut-on employer à propos de Midnight Directives, qui ouvre l'album, ou bien l'impressionnant Lewis Takes Off His Shirt qui emporte tout sur son passage avec les "I'm never gonna give to you" que profère la voix d'Owen, toujours aussi douce et sensible mais encore plus assurée qu'avant. Et quand l'album s'aventure sur des terrains plus paisibles, cela donne E Is for Estranged, morceau d'une beauté incroyable, avec ses violons dissonants sur lesquels se pose un piano triste. Et finalement, l'album vous transporte dans cet ailleurs par la puissance des images qu'il a en lui, par la force de sa narration et son flot naturel qui passe d'un morceau à un autre pour ne former qu'un grand tout dans lequel on doit se plonger entièrement et l'ouïe affutée ; c'est bien ce que mérite un album aussi exigeant et chaleureux.
Car Heartland est un grand album, assurément le premier chef d'œuvre de la décennie naissante, il porte en lui de quoi nourrir des écoutes répétées, continues, maniaques. Et Owen Pallett, l'air de rien mais avec un talent surhumain, d'avoir condensé ce que la musique peut offrir de plus beau : une œuvre complexe mais dans laquelle il est facile et jouissif d'être emporté, noyé, broyé, encore et encore et encore.
Emilien.
Ajoutons que l'ensemble des paroles est visible ici :
RépondreSupprimerhttp://shzine.proboards.com/index.cgi?board=fantasy&action=display&thread=5675
(ça peut aider à mieux apprécier l'histoire de Lewis).
Et aussi, sachez que l'album sort au prix de départ de 10 euros, ce qui est extrêmement rare, et super bien !
D'hab ils sortent gratuitement sur soulseek!
RépondreSupprimer"changer son nom d'artiste, passer de Final Fantasy à son simple nom Owen Pallett. Choix pratique avant tout (pour éviter les confusions, l'album sortant un peu partout dans le monde), mais à la symbolique pas innocente." je capte rien à ça. En quoi ça évite les confusions? Les albums de FF sortaient pas "un peu partout" dans le monde? Tout le monde est censé tilter à "Owen Pallett" plus facilement qu'à "Final Fantasy"? Confusion avec le célèbre jeu vidéo?!
RépondreSupprimerc'est quoi le 'concept' de l'album?
RépondreSupprimerCher anonyme,
RépondreSupprimerConcernant le premier point, oui, le nom Final Fantasy EST une référence au jeu vidéo, depuis le départ. Le risque d'avoir choisi un nom pareil, c'est d'avoir des confusions venant des gens qui veulent de la musique de RPG et se retrouvent face à... autre chose. Avant, les albums d'Owen sortaient en Europe et au Etats-Unis, et la confusion pouvait déjà exister, et dès 2006, Owen Pallett parlait de l'idée de changer de nom, pour éviter tout ces problèmes. Si il ne l'a fait que maintenant, c'est sans doute parce qu'il a changé de label, il est chez Domino qui a une surface de distribution plus grande (ex : l'album sort au japon avec deux remixes bonus - truc classique pour les albums sortant au japon... - cela n'était pas arrivé pour ses albums précédents), donc dans l'optique d'un album qui se diffuse plus, autant éviter les confusions. Face à cela, il se peut que Square Enix, distributeur du jeu, ai demandé à ce qu'il change, c'est même fort probable. Et si il a changé le nom en Owen Pallett, c'est juste parce que c'est son nom... c'est pas pour que les gens tiltent plus, juste... pour changer simplement. D'une certaine manière, il n'est plus derrière un pseudo, il s'affirme en temps que compositeur unique.
Et le concept de l'album, il est expliqué dans l'article, avec l'histoire de Lewis, dans le monde de Spectrum, etc etc etc. C'est un album narratif, même si finalement assez mystérieux.
Première écoute : et ça m'a l'air fameux ! :)
RépondreSupprimerSuper article aussi ; c'est chouette d'avoir coups sur coups deux reviews d'albums, avec celle-ci puis celle de Malkmus.
Hé les parisiens, il passe à la maroquinerie le 24 le petit Owen ! Pour moins de 20 briques ! Déconnez pas.
RépondreSupprimerExcellente review, excellent album.
Les titres proposés, + le passif de final fantasy, je suis parti pour kiffer ma race mais maudite. Joe m'a dit "tu vas pas aimer". Nul doute qu'il a fait le top lecteur en prenant en compte mes gouts "supposés" et pas mes vrais gouts. Ah oui, le résultat est sur le site. Virez le!
RépondreSupprimerHey si ça te plait, c'est moi qui régale !
RépondreSupprimerIl a eu raison de changer de nom avant FF13 ca tombait bien mal pour sa promo (surtout que FF13 divise).
RépondreSupprimergeek !
RépondreSupprimerJ'ai eu besoin d'un Owen Elevateur pour déplacer mon Owen Pallett
RépondreSupprimerAu passage, super album, j'ai été l'acheter légalement sur itunes, pour l'écouter légalement sur mon ipod, et franchement il est top, il est bien ouais, il est plutôt très bien. Mais il fait caca des nuages est mieux.
RépondreSupprimerTsss je t'ai vu avec ton Owen Fenwick
RépondreSupprimerc'est sur combien les notes? sur 10? parce que c'est pas noté. y'a pas le slash 5, ou slash 10. (/5 /10) du coup je capte pas.
RépondreSupprimerparce que 5 à cet album, 4.5 à l'autre: on se croirait chez les teletubbies... :(
y'a t-il un barème dispo ququepart?
dites
Je n'ai pas peur de la route
RépondreSupprimerFaudrait voir, faut qu'on y goûte
Des méandres au creux des reins
Et tout ira bien
Le vent l'emportera
Ton message à la grande ourse
Et la trajectoire de la course
A l'instantané de velours
Même s'il ne sert à rien
Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera
La caresse et la mitraille
Cette plaie qui nous tiraille
Le palais des autres jours
D'hier et demain
Le vent les portera
Génétique en bandoulière
Des chromosomes dans l'atmosphère
Des taxis pour les galaxies
Et mon tapis volant lui
Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera
Ce parfum de nos années mortes
Ce qui peut frapper à ta porte
Infinité de destin
On en pose un, qu'est-ce qu'on en retient?
Le vent l'emportera
Clip Le vent nous po
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clip video Noir Désir Le vent nous portera
REGARDER LE CLIP
+ de paroles
* Le vent nous portera
* Aux Sombres Héros de l'Amer
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* L'homme pressé
* Tostaky
* A L'envers A L'endroit
* Bouquet de nerfs
* Ernestine
* Lolita nie en bloc
* Comme elle vient
Pendant que la marée monte
Et que chacun refait ses comptes
J'emmène au creux de mon ombre
Des poussières de toi
Le vent les portera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera
Les notes sont sur 5. Nous avons tendance à plus parler des choses qu'on aime en ce moment, donc oui, on a l'impression qu'on est très gentil. mais en fait non.
RépondreSupprimerClairement un des albums les plus réussis de ce début d’année ! Et pourtant j’ai eu du mal m’y mettre, mais je ne regrette pas l’effort !
RépondreSupprimerIl paraîtrait que le triste sir est lié à la BO de The Box, le dernier film de Richard Kelly (Donnie Darko, Southland Tales), qu'il aurait cosigné en compagnie d'Arcade Fire. La BO est tout ce qu'il y a de plus quelconque, dans un film qui traîne dans la boue Dick Matheson et nous inflige la grosse gueule crevée de l'actrice malade Cameron Diaz noyée dans un salmigondis à l'odeur de putréfaction pendant plus de 2 heures.
RépondreSupprimerJ'étais bien triste d'apprendre qu'il avait trainé dans ce merdier !
Le morceau "Lewis takes action" a la même intro que celui de Coeur de Pirate - "pour un infidèle", amusant non ? C'est une belle influence je trouve ;) !
RépondreSupprimerBien qu'étant très agréablement surpris par la qualité musicale de cet album, je dois néanmoins regretter que tout y soit gâché par la voix transparente et gentillette de ce chanteur. Il n'aurait dû faire qu'un album instrumental ou s'associer à un chanteur muni d'un vrai timbre.
RépondreSupprimerje suis assez d'accord avec toi franis
RépondreSupprimerj'ai écouté cet album quelques fois à sa sortie, mais je l'ai assez vite oublié
Owen a un vrai timbre. Il faut juste libérer son coté homo et hop on a tout de suite envie de lui faire des bisous.
RépondreSupprimerAprès, si le charme n'opère pas, c'est sûr que vocalement il est un peu limité. Néanmoins je trouve l'album très bon. Un vrai disque d'arrangeur : pas facile de rentrer dedans, mais une fois qu'on y est, c'est le bonheur. Un peu comme... je ne m'étendrai pas sur le sujet, ça vire à l'obsession.