C'est entendu.
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mardi 13 décembre 2011

[Alors quoi ?] Interview : 2011, l'année des Snobs

Avec la sortie en Janvier de l'album solo de Duck Feeling, "Die Ewigkeit Lieder", celle en Mars de leur nouvel album, "Rhythms of Concrete", et enfin celle en Septembre d'une collaboration avec le poète Steve Dalachinsky, mais aussi une mini tournée printanière et la publication de nouveaux courts métrages de Mad Rabbit, les Snobs ont retrouvé en 2011 une intensité créative que l'on n'avait pas vue déployée chez eux depuis les débuts sur les chapeaux de roues de 2003-2004. Le timing parfait pour soutirer des réponses à toutes les questions que nous nous sommes posées pour vous, à propos de leurs albums, de leur méthode de composition et de leur rapport à la scène, aux médias. Un timing pas si parfait que ça dans la mesure où l'interview ici présentée a été réalisée à la fin du mois de Mars et ne parait qu'aujourd'hui, après la parution de "Massive Liquidity", sans y faire aucune référence. Les aléas des plannings de publication étant ce qu'ils sont, nous nous excusons de ce manque d'exhaustivité mais vous invitons à découvrir tout de même l'envers du décor des deux autres disques publiés par les Snobs cette année, et d'écouter à cette occasion quelques unes de leurs influences.




Les rythmes du béton



C' est Entendu : Vous avez une nouvelle méthode de travail sur cet album.

Duckfeeling : J'en avais parlé sur Internet et j'ai peut-être un peu exagéré parce que c'était déjà un peu le cas sur "Albatross". On a simplement été plus loin dans le fait de ne pas composer en amont les chansons avant de les enregistrer et d'essayer de tester de nouvelles idées de sons, afin d'en faire des chansons.

Mad : Quand on se lance dans un album, on ne prend pas les chansons une par une mais on essaie plutôt d'avoir une idée globale, un thème et une méthode de composition. Déjà dans "Albatross", ça n'était pas des riffs puis des mélodies qu'on enregistrait après. On avait des riffs mais on expérimentait aussi. Les structures n'étaient pas forcément prévues. Là c'est poussé encore plus loin : on n'avait d'idée précise d'aucune des chansons avant de les enregistrer.

Duck : Par exemple avec "Albatross", pour H.E.L.P. et Mothergoose les parties de piano et de guitares ont été faites en une seule prise et la structure était déjà définie quand j'ai joué le piano ou la guitare, alors que cette fois-ci pour Ha Ha Dance, c'était une improvisation de guitare avec du delay et c'est ensuite qu'on a ajouté des voix de basses et des grooves mais ils sont venus après les textures. Pour Last Sound par exemple l'idée était d'avoir des textures d'orgue qui tremblent donc on les a fait passer dans un magnétophone pour les faire trembler mais on n'avait pas de structure. On a alors testé plein de choses et au bout d'un moment on s'est fixé là-dessus mais ça aurait pu être autre chose.



CE : Mais si vous avez enregistré sans avoir de parties préalablement composées, comment se fait-il qu'une chanson comme Ha Ha Dance, connue en live sous le sobriquet Disco Queen ait été été jouée il y a déjà plusieurs mois sur scène ?

Duck : Elle était déjà enregistrée !

CE : Les morceaux sont organisés en trois parties, elles-même composées de trois sous parties et vous n'aviez peut-être pas encore enregistré les deux autres tiers accompagnant Ha Ha Dance...

Duck et Mad : Non non, on les a enregistrés en dernier.

CE : ... mais alors pourquoi avoir organisé les morceaux en triptyques ?

Mad : Pour le deuxième morceau, c'est plus évident, c'est une sorte de longue chanson. Un peu comme Mountains (NDLR : sur "Albatross"). Si on avait fait Mountains aujourd'hui, on l'aurait découpée en plusieurs pistes. Pour les autres, c'est par rapport aux ambiances et aux thèmes que ça évoquait pour nous. Ça n'est peut-être pas si évident que ça de rassembler 8 to 12 puis MidFlight Cabaret puis Last Sound sous une même bannière parce que ce sont des ambiances différentes mais pour nous, sur les cassures-même que cela provoquait, c'était intéressant de le voir comme un tout. Pour la dernière série de chansons, c'était la partie de l'album la plus inspirée par un certain nombre de trucs de funk au sens très large. En tout cas la partie la plus rythmée. Et du coup, même si Ha Ha Dance et les deux suivantes sont séparées par une cassure, il y a quand même une idée de musique qui groove.

CE : On avait l'impression que les deux parties suivant Ha Ha Dance avaient été composées ensemble.

Duck : le collage est moins brutal mais non, elles ont été produites séparément.

Mad : On avait dans la tête que le sitar et le riff de basse continuerait, c'est un enchainement avec une note persistante, contrairement à d'autres sur l'album, à la Faust, avec des cassures.

Duck : D'ailleurs tout ça n'est pas une règle absolue et sur le CD on a séparé les pistes parce que ça fonctionnait aussi comme de courtes chansons. Depuis "Albatross" on a continué sur l'envie de composer des choses plus longues...

Mad : ... pour être moins dans l'instantané et le côté rapide des chansons que l'on faisait avant. Ce n'est pas faire long pour faire long mais plutôt que les idées qu'on avait fonctionnaient mieux sur un format long.

Duck : En réaction à "Albatross" on avait essayé de soigner les enchainements pour qu'ils soient les plus fluides et naturels possibles. On avait envie que l'album soit un peu plus froid, violent, plus sec.

CE : Ah tiens, nous on avait l'impression que sur "Rhythms of Concrete", les chansons s'enchainaient toutes assez bien. Mieux que dans "Albatross" qui était encore un album "à chansons", même si vous aviez fait ce genre d'emboitements dans une chanson comme Carribean.

Duck : Oui, cette chanson était une première étape vers le nouvel album.

Mad : Et puis même si les enchainements fonctionnent, sur "Rhythms of Concrete", c'est davantage sur des contrastes que sur quelque chose de mouvant. Par exemple, sur Carribean, contrairement à n'importe laquelle des suites de "RoC", il y a des résonances, des fade in, des sons qui naissent et amènent à d'autres, comme des magmas de sons.

CE : En ce sens, Carribean est plus "prog" que "Rhythms of Concrete" : il y a des thèmes qui se répondent. Alors que cette fois-ci, les enchainements sont plus classiques.

Mad : Oui, et en même temps il y a quand même des choses qui se répondent, même si c'est moins évident, en tout cas dans notre esprit.

Duck : Ça vient de plus loin, c'est extra-musical, ça fait sens pour nous mais pas forcément pour l'auditeur.

Mad : Ça n'est pas tel motif qui répond à tel autre, c'est plutôt une histoire racontée avec un début, un milieu, une fin.

CE : Question subsidiaire. Vous avez tout composé sur le moment : avez-vous des outtakes ?

Duck : Non.

Mad : On garde tout ce qu'on a, et si des bouts doivent aller à la poubelle, ils y vont vraiment.

CE : Question ultra subsidiaire : pensez-vous encore produire des Dustbin (NDLR : En parallèle de leurs disques "officiels", les Snobs entretiennent une discothèque secondaire regroupant leur enregistrements les plus foutraques, un peu à la manière des Sonic Youth Recordings) ? En effet, le nouvel album solo de Duck Feeling, contrairement à son premier essai, n'est plus un Dustbin.

Duck : En fait si ! Il est tout de même référencé comme tel. Les dustbin étaient au départ destinés aux déchets de The Snobs mais au final c'est pour tous les trucs affiliés aux Snobs auxquels au moins un Snobs a participé mais qui ne sont pas un album de The Snobs.

Mad : Il y aura donc d'autres dustbin (NDLR : le disque enregistré avec Steve Dalanchinsky et paru en Septembre est un dustbin).

CE : N'est-il pas dur pour vous d'envisager le live alors que vous devenez de plus en plus un "groupe de studio" ? Vous arrive-t-il, quand vous enregistrer de penser à la scène ("Celle-là, pourra-t-on la faire ?") ?

Mad : Jamais. Au moment où on crée en studio, on n'a absolument pas en tête le live. C'est ensuite quand on se dit "que va-t-on jouer ?" que l'on regarde ce qu'on a et on réapprend notre chanson pour la jouer devant un public, en général en la simplifiant et en mettant en avant un aspect particulier de la chanson parce que l'on n'a pas les moyens, à deux, de tout reproduire.

Duck : Et ça c'est vrai depuis les débuts du groupe. Parfois on a de bonnes surprises et la chanson est faisable, même avec seulement une guitare et une voix. Par exemple sur "Rhythms of Concrete", on avait l'envie de mettre moins de couches qu'auparavant, d'avoir un son plus nu.

Mad : En tout cas on ne veut pas créer en fonction de ce que l'on peut jouer parce que ça serait une limitation.

Duck : Un peu comme dire, en exagérant, qu'on créerait une chanson pour qu'elle ait du succès.

Mad : Disons créer une chanson en ne se fixant pas comme objectif la réussite artistique de la chanson mais sa potentielle viabilité en live.

Duck : On pourrait transformer ça en contrainte artistique volontaire mais naturellement on se trouve d'autres contraintes qui nous correspondent davantage, comme le fait de ne pas chercher à composer avant le processus d'enregistrement et aussi le fait de s'interdire toute explosion avec des couches successives qui se rajoutent. Ou en tout cas à exploser de façon plus froide et nue qu'on aurait fait avant.




A PROPOS DU CANARD




CE : Dans les notes de pochette de "Die Ewigkeit Lieder", Madrabbit est remercié. Quid ?

Duck : Deux raisons : d'abord c'est lui qui s'est occupé des réglages pour les photographies de l'artwork, et puis d'autre part j'avais envie de le remercier, tout comme Schizoid Fox qui joue du violoncelle sur la première chanson. Remercier mes deux frères faisait sens quand j'ai sorti l'album.

CE : Avait-il accès en temps réel à la musique de ton album, au cours de son enregistrement ?

Duck : Pas vraiment, si ce n'est que j'avais décidé avec cet album de mettre ma voix davantage en avant et qu'il m'a fallu du coup lui demander son opinion en lui proposant de très courts extraits. Je ne voulais pas lui gâcher la surprise.

Mad : J'ai d'ailleurs découvert l'album à sa sortie, comme tout le monde. Et je n'ai absolument pas participé à la conception de la musique, ni même donné de conseils.

CE : Les Snobs n'ont donc pas inspiré l'album de Duck ?

Mad : A partir du moment où Duck est le guitariste des Snobs... Et puis "Die Ewikgeit Lieder" a été enregistré alors que nous travaillions sur notre album. Forcément il y a eu influence.

CE : Les deux ayant cohabité, l'un a-t-il plus influencé l'autre ? Par exemple cet orgue sur "Die Ewigkeit Lieder" que l'on retrouve sur "Rhythms of Concrete"...

Duck : Ça c'est facile : dès que l'on récupère un nouvel instrument, on en met partout. Tout le monde doit fonctionner comme ça. C'est la même chose pour l'idée d'utiliser du métal pour les percussions. Et puis on pense un peu de la même façon, on écoute la même musique, il y a donc des connections qui se font naturellement.

Mad : L'orgue et les bruits de métal se retrouvent aussi sur la musique de mon dernier film, qui a été enregistrée au même moment.

Duck : J'en ai mis beaucoup sur mon disque parce que c'est quelque chose que j'aimais particulièrement et puis parce que "Die Ewigkeit Lieder" n'a pas du tout été composé comme "Rhythms of Concrete". Les chansons étaient composées avant l'enregistrement mais sur les deux albums les envies de sons étaient les mêmes et les deux se sont nourris l'un l'autre.

CE : Allez-vous jouer des chansons de Duck ensemble ?

Duck : Ça n'est pas prévu parce que l'on considère qu'il est important de ne jouer que nos chansons à tous les deux. Et même si l'on a joué des reprises par le passé, c'étaient des chansons que l'on aimait tous les deux. De plus, techniquement, Mad n'est pas instrumentiste et ce serait bizarre si je chantais et jouais les chansons de voir Mad dans un rôle fantôme. Par contre, j'aimerais bien jouer des morceaux de mon disque et il faudrait alors augmenter avec d'autres musiciens comme Devil Sister ou d'autres personnes. Mais alors dans des cadres particuliers. Il faudrait une installation avec des bidons, ça ne pourrait pas se faire dans un cadre rock. Il faudrait un lieu spécial, comme cet atelier-grange où l'on avait joué à Montreuil. j'en ai envie mais pour l'instant ça n'est qu'à l'étape d'idée.

CE : Tu disais que dans ton album, la voix était davantage mise en avant. J'ai l'impression qu'il y a aussi plus de fond, à travers les paroles, et que quelque chose passe par elles, plus qu'avec The Snobs.

Duck : S'il y a plus de sens dans les paroles, il n'y a pas forcément plus de fond.

CE : Par fond, entendons "un point de vue, une sorte d'idéologie".

Duck : En fait je pense surtout être moins subtil que nous ne le sommes à deux. Les thèmes sont sensiblement les mêmes d'ailleurs mais ils se disséminent plus dans la musique et la façon que nous avons de la jouer dans The Snobs alors que c'est plus "classique" quand je suis seul, c'est à dire une ambiance instrumentale et les paroles qui vont avec.

CE : Mais vraiment, la question tenait essentiellement aux paroles.

Duck : C'est surtout qu'avec mon précédent disque, les paroles étaient du n'importe quoi et cette fois-ci je voulais essayer d'être... Pas forcément sérieux... Mais de raconter des choses et puis aussi parce que c'était une période où j'avais envie de dire des choses particulières. C'est une forme de catharsis. C'est effectivement plus direct que The Snobs puisque Mad est super détaché de ses paroles.

Mad : Quand j'écris des paroles, même si j'aime ce que j'écris, ça n'est jamais autobiographique et ça aide à être plus détaché. C'est comme d'écrire un scénario.


CE : Et nous entendons d'ailleurs souvent les paroles des Snobs comme si on regardait un film de genre. Tout comme dans les films de Mad, c'est quasi-systématiquement le même thème.

Mad : Du coup, j'imagine qu'il est moins facile de s'identifier, comme on aime le faire avec des chanteurs.

CE : Pas forcément puisqu'à t'écouter, on t'entend, toi, t'identifier à d'autres chanteurs qui t'ont influencé et on peut très bien perpétuer la chaine.

Mad : Je ne sais pas si je suis le meilleur placé pour parler de mes paroles parce que pour moi, ce processus est important mais ça n'est pas l'essentiel et les mots ont des sens moins abstraits que la musique. J'en ai déjà dit bien assez en disposant les mots tels qu'ils sont mais je préfère me concentrer sur la musique pour "dire quelque chose". Sur "Rhythms of Concrete", tous les mots sont là où je les voulais et où ils ont un sens pour moi. Pour autant, ça n'est pas ce que l'on mettra en avant, ni au mixage, ni lorsque nous parlons de notre musique.

CE : Il me semble que le nouvel album est celui où la voix est le plus traitée. Il y a beaucoup de passages où il est quasiment impossible d'entendre les paroles. Notamment le trémolo sur la voix dans le deuxième morceau. On se demande s'il y a vraiment des paroles.

Mad : Pour le coup, il y en a.

Duck : On tenait à saboter les voix sur ce morceau. C'est une entreprise de sabotage.

Mad : De toute façon dans cette chanson, il y a suffisamment d'indices dans les paroles du début pour avoir l'essentiel, même si l'on ne comprend pas la fin.

CE : Dans l'album de Duck, les paroles semblaient être dans l'idée de départ du disque.

Duck : Clairement, certains thèmes l'étaient.

CE : Est-ce que le succès critique (NDLR : en tout cas auprès de C'est Entendu) de "Die Ewigkeit Lieder" te donne envie d'enregistrer autre chose en solo ?

Duck : Quand j'ai fini l'album j'avais déjà d'autres idées. Ce ne seront peut-être pas les thèmes que je garderai mais ce sera pour un autre disque tout seul. Comme on avait d'autres choses à faire avec The Snobs, j'ai mis ça de côté mais je réenregistrerai. Je n'ai aucune idée de quand, par contre. Quand j'ai sorti "I like to kraut", j'avais prévu de faire un disque après, c'est juste que je n'ai pas réussi et qu'il m'a fallu deux ans pour que ça arrive. Cette fois-ci j'espère y arriver plus vite.





Du futur et des influences


CE : L'enregistrement de "Rhythms of Concrete" a commencé en Octobre 2009, soit 5 mois après la sortie d'"Albatross". Qu'avez vous fait pendant cinq mois ?

Mad : Les grandes vacances sont le moment où je peux tourner mes films. Après ça, on enregistre les musiques de film, on prépare les ciné-concerts...

Duck : On a aussi réfléchi à ce que l'on voulait faire. On a toujours marché comme ça. Avec "Brûle en Bikini" on voulait faire notre album "pop" avec des chansons courtes et des refrains, etc.

Mad : Et puis entre deux chansons de "Rhythms of Concrete", il y a parfois eu trois mois pendant lesquels nous n'avons rien fait d'autre.

Duck : C'est normal, plus on avance et plus on met de temps à essayer de se renouveler. Tout comme on a mis très longtemps avant de se lancer dans "Albatross".

CE : D'ailleurs "Albatross" était votre album sur lequel il y avait le moins de sample. Le premier avec une vraie batterie. J'ai l'impression que sur "RoC" il y a davantage de samples.

Mad : En fait on les entend peut-être davantage mais il n'y en a pas plus.

Duck : Il y a un sample de trompette mais il y en avait un aussi dans "Albatross", voire deux. Peut-être que les samples étaient plutôt là comme des cassures sur "Albatross" alors qu'ils sont davantage intégrés à la composition cette fois-ci mais en terme de quantité, ça revient au même. Sur Carribean, toute la partie du milieu fonctionnait sur un sample de voix de György Ligeti (NDLR : compositeur roumano-hongrois du 20ème siècle proche de Stockhausen), mais ça s'entend sûrement moins qu'un sample de trompette chez Miles Davis, c'est vrai.



(Ligeti - Lux Aeterna)

CE : On se demandait d'ailleurs s'il y avait du Ligeti dans MidFlight Cabaret.

Duck : Les voix ? Non, c'est Land Of Kush (NDLR : un groupe signé sur le label canadien Constellation Records), pas tel quel mais ça vient de là.


(Land of Kush's Egyptian Light Orchestra - Monogamy, 2010)

CE : On a aussi pensé à Olivier Messiaen, ou plutôt à la réinterprétation de Messiaen par Jonny Greenwood, lorsque le piano arrive.

Duck : On n'y avait pas pensé mais c'est une comparaison valable. Il y a un côté "Quatuor pour la fin du Temps" dans les ambiances.


(Jonny Greenwood - Moon Trills, sur "Bodysong", 2003)

Mad : On aime Messiaen mais on ne l'écoute pas énormément.

CE : Alors à quoi pensiez-vous ?

Mad : Au niveau du pastiche, ça ne s'entend même pas dans le résultat mais par exemple les premières paroles font référence à Schoenberg.



(Arnold Schoenberg - Pierrot Lunaire, extrait)

Duck : C'est un peu potache, c'est pour ça. Schoenberg a créé le sérialisme, comme chacun sait, avec une série de douze demi-tons, et j'ai voulu enregistrer une voix de basse comme ça mais je n'ai pas réussi et il n'y en a que huit. Les paroles disent que huit ça n'est pas assez et qu'il faut aller jusqu'à douze...

CE : Sinon, outre le fait que vous ayez beaucoup écouté Miles Davis...


(Miles Davis - One on One, sur "On the Corner")

Duck : Oui ! Et surtout "In the corner". On a été très marqué le fait que ça groove sans jamais partir. C'est anti-efficace comme groove avec beaucoup d'attente, mais des soli aussi, et du coup l'efficacité est là malgré tout. On aussi beaucoup écouté Magma. C'est toujours la même idée de transe rythmique rock. Avant on écoutait que ça, mais là la dynamique jazz-rock a du s'insinuer.

Mad : En terme d'influence, il y a les sons industriels, de bidons cognés ou autres, qui nous vient de Einstürzende Neubauten, et d'autres, et qui s'entend surtout sur le disque solo de Duck, mais que l'on peut aussi entendre en ouverture de "Rhythms of Concrete", avec ce yiiiiiii agressif, que l'on retrouve d'ailleurs aussi chez Miles Davis, parfois.



(Einstürzende Neubauten - Halber Mensch)

Duck : Il y a aussi Broadcast et la trilogie berlinoise de Bowie, bien sûr, comme d'habitude, qui nous ont permis de rester sur des idées de sons cosmiques.

CE : Justement nous nous demandions si vous étiez encore influencés par un groupe "pop" ou si vous étiez définitivement passés "de l'autre côté".

Mad : Stereolab est notre groupe pop préféré, on les écoute toujours autant.

Duck : Récemment, c'est plutôt le dernier Evangelista qui nous a plu. Des choses intenses.

Mad : De manière générale je n'aime pas la pop, mais la pop sixties et ses descendants. Une certaine façon d'envisager les choses. Même Blur descendent des Kinks.

Duck : Cela dit ce que je préfère chez Blur ou Radiohead, c'est ce moment un peu magique où c'est plus de la pop mais ça reste des chansons. C'est ça qu'on recherche. On peut toujours facilement s'y retrouver grâce au format.

CE : D'ailleurs, c'est la première fois que l'on pense autant à Portishead à l'écoute de l'un de vos disques.

Duck : Merci ! On les écoute encore plus que Stereolab. "Third" était plus qu'un grand disque, c'était un modèle de renouvellement.

Mad : Souvent, quand on aime un groupe, on se rend compte que leur démarche nous correspond.

CE : Comment envisagez-vous l'album par rapport à vos précédents ?

Duck : On est très fiers de ce qu'on a fait depuis "Brûle en Bikini". Avant ça, il y avait un son moins parfait. On ne trouve pas le nouvel album plus abouti mais il représente davantage ce qu'on est maintenant, alors on l'aime plus, maintenant. On aime toujours autant "Albatross" et on n'y changerait rien mais on n'avait pas envie de refaire "Albatross".

CE : Avez-vous déjà envisagé de splitter ?

Duck : Jamais. Pour tout te dire, j'ai un souvenir d'un moment un peu tendu en 2003 quand j'étais petit parce qu'il avait fait tout seul les pianos sur Louie Louie et ça m'avait un peu énervé.

CE : Votre meilleure chanson d'ailleurs ! (rires)

Duck : C'est pour dire qu'il arrive que nous ne soyons pas d'accord mais on discute et puis au fond, on est frères, alors il ne peut pas y avoir d'amitié qui se casse.

CE : Certes mais vous ne vivez plus ensemble, Mad a un boulot et est marié.

Duck : Ça ne change que le rythme de travail, puisque c'est moins pratique, mais ce qui pourrait changer, c'est surtout que l'on ne soit plus sur la même longueur d'onde.

Mad : Et puis quand on n'est pas d'accord on relativise parce que je n'ai pas de souvenir où, sur un point de désaccord, la solution commune n'a pas été meilleure que celle individuelle. L'autre a toujours bien fait de mettre la mauvaise idée de l'un à la poubelle. C'est l'idéal d'une collaboration. L'autre solution c'est quand les gens convergent vers une solution médiane (et moyenne) parce que l'idée originale de l'un ne plait pas à l'autre.

Duck : Et puis c'est trop important pour nous pour qu'on arrête. On a déjà l'idée pour un autre album. On va toujours de l'avant. j'ai beaucoup apprécié de faire mon disque tout seul mais je ne pourrais pas faire que ça. On a la même vision. On est complémentaires et on se ressemble assez pour avoir les mêmes envies globales.



Propos recueillis par Thelonius H. et Joe Gonzalez le 23 mars 2011 dans l'appartement de Mad Rabbit (Paris, XIIIème)

lundi 19 septembre 2011

[Vise un peu] Thundercat - Shenanigans pt.1 / The Golden Age Of Apocalypse



Shalom ! Stephen bruner, alias Thundercat, prodige de la guitare basse et nouveau fer de lance de Brainfeeder (le label bien connu de FlyLo), s'est enfin réveillé. Bassiste d'Erykah Badu ainsi que du groupe de metal Suicidal Tendencies, il avait également participé à certains morceaux de son copain Steven Ellison, comme MmmHmm sur "Cosmogramma", mais n'avait encore rien sorti sous son propre nom de scène. C'est désormais chose faite avec "Shenanigans pt.1", une mixtape produite par les bons soins de Flying Lotus et sortie le 5 août, comme pour préparer le terrain à "The Golden Age Of Apocalypse", le premier LP du chat de foudre, qui fut porté aux yeux et aux oreilles de tous le 30 du même mois. Une double opération de com' rondement menée. À la question " Comment s'y prendre pour faire émerger un artiste intelligemment et en moins d'un mois ? , on peut désormais répondre "Demandez donc aux gars de chez Brainfeeder." Bien, procédons par ordre. Tout d'abord, voici à quoi ressemble "Shenanigans pt.1" :


(les six premières minutes offrent un bon aperçu)


Cette mixtape illustre le travail commun de FlyLo et Thundercat. On y retrouve des morceaux déjà connus comme on y découvre des inédits ; en trente minutes, force est de constater que l'auditeur est plongé dans l'univers onirique changeant, parfois funky et un peu sombre, qui naît de la collision entre les deux géants. Cette dualité est fabuleusement exploitée et on oscille entre un producteur/arrangeur/compositeur de génie et ses électronicités débordantes d'inspiration autant que d'innovations et un bassiste virtuose, s'amusant à déstructurer les mesures au gré de ses improbables sautes d'humeur musicales. Comme on pouvait s'y attendre, l'élaboration des lignes de basses est soignée, et pour nous mettre encore d'avantage l'eau à la bouche, Thundercat achève "Shenanigans pt.1" avec ce qui s’avérera être une version alternative du single For Love I Come, présent sur l'album qui devait suivre, "The Golden Age Of Apocalypse".













Le premier contact est établi, et en plus d'une mixtape de qualité, les deux confrères renvoient encore et toujours cette image démesurément cool de l'approche musicale qui règne à L.A., à savoir cette grande communauté d'artistes bossant tantôt avec les uns, tantôt avec les autres, participant ainsi à la réalisation d'un énorme patchwork-témoin du mélange des styles le plus complet. De par chez nous, on en redemande...

Vingt-cinq jours plus tard, le 30 août, "The Golden Age Of Apocalypse" creuse sa place dans les bacs, à grand renfort de pochette aux teintes jaunes-dorées. Thundercat s'y exprime plus entièrement encore, il peint une aquarelle mais mélange volontairement ses couleurs avec un peu trop d'eau, de manière à ce qu'elles débordent les unes sur les autres. Ainsi, un vrai cocktail de genres s'installe, et l'auditeur est entraîné dans un courant de funk, d'electro, ou encore de soul aux arrangements multiples, aux rythmiques mouvantes et asymétriques. Comme prévu, le travail est impeccable sur les basses, les six cordes de Thundercat se mariant parfaitement avec les synthétiseurs utilisés.


(Walkin')

En plus d'une réelle propension au groove, on dénote une simplicité de composition assez flagrante, mais qui n'est pas déplaisante. Interprétés par des musiciens plus que talentueux, les morceaux sont fluides, libres mais conservent une certaine maîtrise, surtout lorsque Thundercat y dépose sa voix claire et haut-perchée. "The Golden Age Of Apocalypse", c'est trente-sept minutes de décontraction pure et simple mais innovante. Un très bon moment, tellement bon que je ne peux pas vous laisser sans un autre extrait. Li Khaïm !


(Jamboree)



Hugo Tessier

samedi 20 août 2011

[Grasse mat'] Jamiroquai - Cosmic Girl

Je vous ai bien eus. Blague à part je n'avais pas réécouté Jamiroquai depuis des plombes. Avec des oreilles aguerries, je veux dire. Quiconque a vécu la fin des années 90 (comme un calvaire) se souvient comment Virtual Insanity et tous les autres tubes de Jamiroquai passaient en boucle à la radio, à la téloche, partout et comment on les a encaissés en braves esclaves de notre condition. C'était une époque maudite. Les techniques de sampling du hip hop, les débuts de la circulation massive de l'information et tous ces trucs caractéristiques de la période 96-99 ont presque logiquement amené les musiciens d'alors à mélanger tout ce qu'ils avaient pu entendre auparavant. De toute façon la fin du Monde était pour bientôt, alors les exégètes pouvaient se brosser. On a du coup eu droit à de plutôt bonnes idées (le trip hop), d'autres plus stupides (la lounge pop à la St Etienne) et certaines carrément connes :





Le plus drôle avec Jamiroquai (au passage, c'est le nom du groupe, et pas du chanteur, lui c'est Jay Kay) reste les genres musicaux auxquels sa musique est associée. L'acid jazz, on l'entend dans le synthé syncopé dégueulasse au tout début. La nu-disco est résumée par la basse et la batterie. Le funk, c'est la guitare wah wah qui s'en charge. Et puis Jay assure le côté dance-pop avec son chant-soupe si facile à reproduire. Cette chanson, comme tout ce qu'a pu produire Jamiroquai, est une bouse. Elle a le mérite d'être la preuve historique que pendant un court instant, ce genre de mashup impensable a existé et a même été la norme. Tout plutôt qu'un revival.


Joe Gonzalez

mardi 28 juin 2011

[Réveille-Matin] Labi Siffre - I Got The

Il y a quelques mois, Joe Gonzalez avait demandé à chaque lecteur de C'est Entendu de donner un top 5 de ses chansons préférées (tous artistes confondus). Histoire de présenter un peu ses goûts en la matière, même si, bien sûr, ce top pourrait changer selon les humeurs et les découvertes.

Mon top chansons n'a jamais tout à fait ressemblé à mon top artistes, et j'avais cité en bonne place I Got The de Labi Siffre, un artiste dont je n'avais quasiment jamais parlé et qui n'a surtout rien à voir avec les genres que j'écoute habituellement. Mon top serait sans doute différent aujourd'hui, mais I Got The en ferait toujours partie — alors que j'écoute toujours aussi peu de soul… Je n'ai appris que par la suite que cette piste formait aussi la base de My Name Is d'Eminem (*) et de Streets Is Watching de Jay-Z (franchement, je les ai écoutées pour voir, et ces pistes doivent quasiment tout à Siffre) — et je ne me suis rendu compte que tardivement que Kill All Hippies de Primal Scream reprenait aussi, bien plus habilement, une partie de la mélodie dans son intro. (Il ne s'agit d'ailleurs pas des seules utilisations de la piste sous forme de sample, et j'avais découvert I Got The sur le deuxième volume de Shaolin Soul, compilation de pistes samplées par le Wu-Tang Clan.)


Mais peu importe le sampling au final ; aucune de ces réutilisations ne rivalise à mes oreilles avec la chanson originale (elles ne font que souligner quelques-unes de ses qualités). I Got The ne serait "qu'"une chanson de funk/soul très bien ficelée mais classique, avec un rythme et une voix funky à souhait, parlant d'amour et de blues sur un refrain juste assez mélancolique pour toucher sans casser le rythme… si celui-ci et tout le reste ne s'arrêtait pas de manière prématurée, justement, au bout de deux minutes, pour repartir sur un tempo plus marqué avec des paroles à la fois plus amères et plus passionnées sur ce qui n'est qu'une montée en puissance progressive (mais quelle montée !) pour tout le reste de la piste. Même le fondu à la fin devient pardonnable vu le reste.

Je ne m'y connais toujours que peu en soul, mais des pistes comme ça me donneraient envie d'en écouter toute la journée… Promis, un jour, je m'y mettrai !


— lamuya-zimina


(*) Pour la petite histoire, sachez qu'Eminem a dû changer les paroles de My Name Is (à l'origine misogynes et homophobes, un comble quand on sait que Siffre est ouvertement homosexuel) afin d'avoir le droit d'utiliser le sample d'I Got The.

jeudi 26 août 2010

[Réveille Matin] Bobby Byrd - You Got To Have A Job

Vous ne le savez peut-être pas, mais vous connaissez tous la voix de Robert Howard Byrd. Et il n'y a aucun doute possible tant son iconique "Get on up !" en réponse au "Get up !" de James Brown est gravé dans votre mémoire auditive et comme tout le monde, vous aussi avez tenté d'adapter cet énigmatique cri en un fameux yaourt des plus inavouables.



Proche collaborateur de James Brown depuis 1956, date à laquelle ce dernier réussit à l'intégrer à son groupe plutôt que de subir sa concurrence (de son propre aveu), il est certes resté dans l'ombre du Godfather of Soul. Tantôt choriste, compositeur et producteur, il a toujours fait partie de l'entourage de JB, ce dernier ne lui devant rien de moins que sa sortie du centre de détention juvénile dans lequel ils se sont rencontrés.

Mais trêve de potins, je suis là pour vous offrir une bonne de tranche de funk pour accompagner votre petit déjeuner. Oui bon je vous entends déjà "du funk ? Mais je suis un garçon romantique moi !" Allons, allons, le funk est un style formidable mon cher, la fondation sur laquelle s'est bâti le hip hop (entre autres), et puis je n'entends que rarement du rock aussi riche en conseils pratiques que ce You Got To Have A Job (judicieusement sous-titré If You Don't Work, You Can't Eat) en ces temps d'incertitudes économiques. Alors si comme moi, vos matinées consistent à consulter des offres d'emplois, quoi de mieux comme fond sonore pour vos démarches qu'une section de cuivres parfaite et une batterie qui fait taper du pied à en réveiller vos voisins ? Croyez-moi, c'est l'assurance du succès.


Thomas Goo