C'est entendu.
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mercredi 25 janvier 2012

[Vise un peu] Chairlift - Something

Trois ans et demi après un album séduisant, inégal mais sous-estimé, une collaboration avec Apple et des accointances avec toute la scène indépendante bouillonnante de Brooklyn, Chairlift revient avec "quelque chose". Un euphémisme que l'on accordera aux deux musiciens bien conscients d'avoir là l'occasion de dévoiler le fond de leur pensée. En effet, "Something" n'est pas une collection de chansons enregistrées ça et là au fil des longs mois le séparant de son prédécesseur ("Does You Inspire You", 2008), c'est la déclaration d'intention pop-culturelle d'un duo qui a mis le temps mais qui a défini les contours de son personnage.

D'abord, il y a eu le départ d'Aaron Pfenning (guitariste et parfois chanteur aux débuts du groupe et qui officie désormais sous l'alias Rewards) et la personnification de l'image du groupe autour de la seule Caroline Polachek. Ensuite, il y a eu de nombreuses aventures extracurriculaires. Pour Polachek, la réalisation de clips (pour Violens, le groupe de son petit ami Jorge Elbrecht, entre autres), la création d'une chorale féminine à Brooklyn, la collaboration avec Washed Out ou Holy Ghost! et toujours plus de séances photos à croquer. Pour Patrick Wimberly (multri-instrumentiste et producteur), la mise en forme du premier album de Das Racist, "Relax". Toutes ces expériences ont affiné la volonté et les désirs de Chairlift au point que lorsqu'est survenu le clip du premier single de "Something", Polachek a mis d'un clin de fesses en justaucorps tout le monde d'accord.



(Amanaemonesia)


Le parti-pris de Polachek en tant que parolière rejoint celui de Chairlift en tant qu'entité sonore : en pur produit de la pop-culture (celle de MTV, de Bowie et Lady Gaga), les paroles, les mélodies et les sons du groupe servent un tout, l'entité Chairlift. L'album est ainsi bien plus homogène et direct que son prédécesseur. Les relations amoureuses des divers avatars de Polachek sont le sujet et le quelque chose ressenti à l'écoute du disque a sans doute quelque chose à voir avec l'universalité de son propos, qui à travers ces différentes saynètes (Caro roule sur les trottois, Caro ressent un apaisement tel qu'elle en oublie tout, Caro compare une relation à un procès, Caro assume tout...) ne peut que toucher tout un chacun.

De la même façon, le son plus puissant et plus tangible (essayez un peu d'écouter l'album à un volume sonore élevé et vous comprendrez en quoi les introductions de Met Before ou Sidewalk Safari ont tendance à vous paraitre physiquement présents dans la pièce) est marqué par de superbes basses vivantes, qui semblent chanter des mélodies tout autant que Caroline. Parallèlement, les batteries de Wimberly offrent une propulsion aux popsongs de Polachek et couplées à une propension bienvenue à remplir l'espace (sans donner dans l'ennuyeux shoegaze), donnent à l'auditeur la sensation d'être enseveli sous les mélodies et les arrangements.


Pourtant, c'est de façon assez simple que sont construites les chansons. Les mélodies sont surtout assurées par des synthétiseurs qui rappellent les années 80 sans jamais les évoquer tout à fait : le son est si moderne qu'il s'agit davantage d'une synthèse réussie de l'indie pop synthétique moderne que d'une tentative de recracher le passé. Le chant de Polachek, lui, lui confère enfin la place à laquelle on l'imaginait depuis des mois, voire des années (et on n'était pas les seuls : c'est Columbia qui a signé le groupe pour ce nouvel album et qui a réédité le précédent) : celle d'une popstar. Virtuose de la mélodie, surprenante mais toujours dans le sens du poil, Polachek explore tous les registres vocaux qui lui étaient permis, du spoken word déshumanisé d'Amanaemonesia aux volutes embrumées de Turning, de la voix suave de Guilty as Charged aux hauteurs évoquant le R&B sur Take it Out on Me. On pense même à Feist avec Ghost Tonight .

L'identité forte que s'est trouvée le groupe ne passe d'ailleurs pas que par le son, l'image et la voix et "Something" est une profession de foi pop-culturelle au même titre que le troisième album de St Vincent en était une (*), un dictionnaire pop personnel, une démonstration d'aisance à travers des variations sur un même thème.



(Met Before. Notez les "Palala Pa Paaa" indispensables à tout bon disque de pop. Ils y sont !)


Tout comme "Strange Mercy", sans être un véritable chef d’œuvre, a pu affirmer Annie Clark comme une artiste accomplie, Chairlift n'a pas encore produit la perfection faite album (mais encore une fois, il est si rare de trouver de tels joyaux dans le jardin de la synth-pop !) et quelques uns de ses atours manquent peut-être d'éclat, mais en parlant de façon aussi directe à nos oreilles, nos tripes et nos cœurs, le groupe a su se bâtir en même temps qu'il a su si superbement ciseler un disque qui méritait que ses créateurs prennent le temps de le travailler et de savoir où ils voulaient en venir parce qu'aujourd'hui, une chose est certaine, Chairlift a réussi quelque chose.


Joe Gonzalez


(*) : On trouve d'ailleurs une certaine similarité dans la démarche vocale des deux chanteuses, même si leurs styles sont très différents, et à ce titre, le Guilty as Charged de l'une pourrait évoquer le Dilettante de l'autre, tout comme l'usage d'un maximalisme synthétique est une constante sur les deux albums.

mardi 18 octobre 2011

[Comptez pas sur moi] Björk - Biophilia

Nous sommes en 2011 et Björk vient de franchir un cap fatidique. Pas celui du fameux "album de la maturité". Celui, plus triste, de "l'album que personne ne va vraiment écouter". Posons-nous sérieusement la question : qui écoute encore Björk en 2011 ? Les gens comme moi, ceux qui l'ont écoutée dans les années 90, et encore, pas tous ; "Medúlla" puis "Volta" sont passés par là, et en ont découragé plus d'un à acheter les yeux fermés le nouveau Björk.

Non pas que ceux-ci fussent mauvais, loin de là, "Medúlla" étant d'ailleurs mon Björk préféré, inventif, sombre et ludique. Plus discutable, "Volta" contenait ses moments de gloire comme l'immense Declare Independance, apocalyptique, sans aucun doute son morceau le plus violent à ce jour. Il a cependant scellé l'avenir de Björk en exprimant clairement à son public : "N'espérez pas me revoir faire un Homogenic", sans que sa nouvelle direction parvienne à convaincre.

"Mon prrrochain alböume serrrá dýrrrectement implanté dans vos ësprrrits"

Attention, attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : bien sûr que le fait que Björk ne souhaite pas rabâcher ses précédents albums en prenant une direction différente à chaque fois est une très bonne chose. Mais pour "Biophilia", c'est un rond-point qu'elle a pris, la mère Björk, et manifestement elle ne sait pas se placer pour en sortir. L'ex-fan peut jouer au jeu des 7 erreurs avec chacun de ces "nouveaux" titres : oh un bout de "Vespertine" par ci, hop une tranche de "Medúlla" par là, avant de se rendre compte que le jeu des 7 erreurs, c'est l'album lui-même (qui comporte 10 titres, ouch). Et franchement, personne n'aime jouer à ce jeu.

Björkphilia ? C'est le fil conducteur de cet album. Tu aimes écouter Björk ? Tu aimes écouter Björk s'écouter faire du Björk ? Tu aimes quand elle chante sans fard, de sa voix la plus sèche, distribuant ses "altsemankay" et autres interjections syllabiques irritantes à gogo ? Ça tombe bien : de la Björkphilia, il t'en faudra pour supporter cet amalgame souvent douteux de tout ce qui est Björk, de tout ce qui a fait Björk ces dernières années ; et ce n'est pas le délire jungle 90's (probablement signé Mark Bell) greffé à la fin d'un pénible Crystalline comme un pacemaker sur des restes humains encore chauds qui suffira à te satisfaire.

(Björk se caresse pas mal le coquillage sur "Biophilia")


La cause, peut-être faut-il la chercher du coté du concept. "Biophilia" est un "concept-album" ; plus précisément, un "concept-dont-on-se-fout-album". Toute cette histoire fumeuse d'iPad n'est d'ailleurs pas sans rappeler le terrible dernier album de Gorillaz, "The Fall", tellement gadget qu'ils avaient hésité un peu avant de le vendre. Sans déconner : qu'est ce qu'un iPad peut décemment permettre de plus qu'un ordinateur classique ? En exhibant sa fascination pour cet objet peu fascinant au-delà du raisonnable, Björk se comporte comme un enfant devant une console V-Tech, pire, comme une mamie découvrant avec émotion la webcam par les coucous dans le coin supérieur droit de son écran de ses petits-enfants qui ne viennent plus la voir. Björk vieillit, et ça fait mal.



(Cosmogony)


Mais cela n'explique pas tout, et certainement pas l'existence de Cosmogony, abominable ballade pour documentaire animalier, la chanson qui va clouer le bec à tous ceux qui voudraient défendre "Biophilia" comme étant un album sacrifié par Björk sur l'autel de l'expérimentation. J'en ai entendu des bouses cette année, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit Björk, ma Björk - feue ma Björk devrais-je peut-être me résigner à dire, qui m'en inflige la synthèse.



(Hollow)


Hollow, dans un genre différent, rappelle l'une des ambitions premières de Björk : utiliser la pop comme vecteur pour faire passer des idées de composition inspirées de Stockhausen, de Schönberg, ou d'autres compositeurs germaniques en "S". Ici, Björk a visiblement poussé cette ambition à son paroxysme en contraignant un chaton mourant à marcher pendant près de six minutes sur son orgue Bontempi, la chanteuse lui ayant au préalable brisé les pattes à l'aide d'un rouleau à pâtisserie. Je vous laisse juges ; personnellement tout cela me paraît extrêmement dérivatif, surtout après le "One Pig" de Matthew Herbert.

Blague à part, tout n'est pas à jeter dans cet album, et ses meilleurs moments sont justement ceux, rares, qui semblent aller de l'avant : Sacrifice et ses rythmiques aussi soudaines que saisissantes, ou même le réjouissant Virus qui nous rappelle que Björk est encore capable de composer des chansons simples et belles. L'audace n'est pas nécessairement synonyme de torture auditive. On peut jouer avec l'auditeur sans constamment lui dire "Hé, on s'amuse bien, pas vrai ?". L'audace, c'est d'en avoir sans la montrer.
2/5

Joseph Karloff

jeudi 28 avril 2011

[Comptez pas sur moi] Destroyer - Kaputt

Avant de recevoir le CD, je ne connaissais pas du tout Destroyer. L'association de ces deux mots "Destroyer" et "Kaputt" me laissait imaginer un album bien violent, genre hardcore punk ou death metal. Puis, la pochette m'a plutôt orienté vers un faux post-rock bateau (*1) à la Mogwai. Inutile de vous dire que cette anticipation follement erronée a peut-être bien biaisé mon écoute initiale et celles qui ont suivi.

D'après ce que j'en ai lu, Destroyer est un monsieur, Daniel Bejar, qui aime bien faire des albums très différents les uns des autres. C'est tout à son honneur. Pour cet album (son neuvième et c'est la première fois que j'entends parler de lui : c'est fou la quantité phénoménale d'artistes installés que l'on n'écoutera probablement jamais. Surtout quand on est un monomaniaque capable de passer la moitié de l'année à n'écouter que deux ou trois albums en boucle : comme Joe, je suis plutôt décontenancé par "The King of Limbs", mais ça ne m'a pas empêché de lui consacrer tout ce début d'année - à TKOL, pas à Joe (*2). Si ce n'était pas que de la musique, c'en serait pathétique), pour ce neuvième album disais-je, c'est visiblement la variété 80's qui a eu les faveurs de super Dany.



(Kaputt ; lu dans les commentaires Youtube sur cette chanson : "Thumbs up if you think Mcgyver would love this shit")


Pour tout vous dire, plus j'écoute "Kaputt" et plus je me dis qu'il aurait pu être un album de The xx si ces derniers n'avaient pas eu la bonne idée de la jouer sobre dans la vénération eighties. Car à l'instar de Philippe Léotard au rayon piquette de sa supérette, ou de Patrick Wolf un jour de remise à Le Temps des Cerises , "Kaputt" ne connait pas la sobriété. Je soupçonne même l'effrayante unanimité critique autour de cet album de n'être qu'une conséquence supplémentaire de la gloubiboulguisation des esprits qui n'en finit pas de devenir la norme chez le trentenaire civilisé.

(Dans "Hélène et les garçons", le vrai artiste c'était clairement José)

"Kaputt" balance tellement de vilaines références passéistes à la seconde qu'on dirait Eric Zemmour. Tout est là, la voix cheesy qui s'écoute, la batterie électronique, la réverb, le synthé kitsch, les ambiances lounge et le saxophone, oh oui le saxophone, ça pour être là il est là. Je vous parlais récemment du saxophone de Gentil Dauphin Triste : visiblement le gars n'est pas au chômage, Daniel Béjar est allé le chercher directement avec sa Delorean et lui a donné carte blanche pour engluer un album qui n'en avait même pas besoin.



(Savage Night at the Opera)

Écoutez Savage Night at the Opera, il y a même un riff qui cite ostensiblement Enola Gay de Orchestral Manoeuvres In The Dark. Non mais sérieusement, on ne fait pas ça, sauf dans une parodie. A moins que "Kaputt" ne soit effectivement une parodie. Si c'est le cas, c'est un chef d’œuvre, bravo, j'applaudis ; en appuyant sur le bouton "applause" de mon synthé Casio.


Joseph Karloff


(*1) Destroyer, bateau, vous saisissez ?
(*2) C'est pas faute d'avoir essayé.

lundi 3 janvier 2011

[Réveille-Matin] DM Stith - Braid of Voices

DM Stith est sans conteste l'un des singer/songwriters avec qui il faudra compter dans la décennie à venir. Je dis cela avec aplomb alors que je suis le premier à reconnaitre que son premier album "Heavy Ghost" est bourré de lourdeurs, quand il ne se noie pas carrément dans son ambition d'être le plus gros album folk de tous les temps.




Mais au milieu de toutes ces chansons imparfaites, il y a cette perle nommée Braid of Voices qui déchire le cœur. Oh, celle-là non plus n'est pas parfaite, elle finit en eau de boudin, avec un encore qui sonne comme une liaison mal-à-propos avec le morceau suivant (alors qu'il est pourtant ÉVIDENT que Braid of Voices aurait dû être la chanson finale). DM Stith a dû se dire qu'il cédait à la facilité avec toute cette émotion qui nous submerge au moment des "From the back of my head, tied, to the back of my head, tied" ; il a dû se dire que ce n'était pas honnête de faire ça. Alors il a essayé de saboter sa propre chanson, pour qu'elle ait l'air prétentieuse comme le reste de l'album, mais il n'y est jamais vraiment arrivé.

Pardon de vous réveiller avec ça, c'est vrai qu'il reste une journée à affronter après. Mes excuses.


Joseph Karloff

dimanche 25 octobre 2009

[Fallait que ça sorte] Van Dyke Parks - Song Cycle

"I thought for once I'd keep this off a list, but, I'm a good boy, so it's time to do penance at the altar of the greatest album ever made. Yes. EVER. No, I still haven't changed my mind. This is still so ahead of it's time, it'll be some work for some folks, and that's cool and all. Everyone I know who loves this, myself included, finds a new association, a new layer, a new lyrical twist every time. A richer album you can not find. And it's probably only 10 bucks!"

- Jim O'Rourke, dans une liste de ses albums préférés en 2004, parlant de "Song Cycle", de Van Dyke Parks.


"Song Cycle" n'est pas un album facile.

Non.

Je vous le dit de but en blanc pour que l'on soit clair. "Song Cycle" est un album qui demande des efforts de la part de celui qui veut l'écouter. Pourtant, musicalement, quand on dit que c'est un album quasiment de easy-listening alternatif, on se dit "que peut-il y avoir de si étrange dans un album rempli jusqu'a outrance de violons ?" On peut se dire "Van Dyke Parks, il a bossé avec les Beach Boys, surtout sur "Smile", il a même écrit les paroles de Surf's Up, ça doit être de la pop sympa." Mais ce serait trop facile. Comparer cet album à "Smile" est absurde et inutile, ici nous sommes ailleurs. Il suffit d'écouter Vine Street, composé par le alors débutant Randy Newman, pour tout de suite le comprendre. Débutant abruptement dans de la country folle, le morceau bascule par fade-out dans une musique étrange, entre cabaret poussiéreux, arrangement baroques et pop music lumineuse, portée par la voix sur-aiguë et nasillarde de Van Dyke Parks qui explique "That's a tape that we made !" : vous venez d'entendre un morceau au sein du morceau et les paroles vous expliquent ce que c'était, vraiment. Pourtant, il n'y a rien de si étrange musicalement. Nous avons des accords majeurs, aucune dissonance, mais la musique de cet album réussit parallèlement à caresser l'oreille de l'auditeur tout en étant complexe et difficile d'accès. Et ça ne va pas en s'arrangeant tout au long de l'album. C'est à ce temps T de la première écoute que des gens disent "bof" et s'en vont généralement, et c'est ce qui arriva en 1968, au grand dam de Warner Bros. qui avait à l'époque sorti ce qui était l'album le plus cher jamais produit et qui fut un flop monumental bien que totalement compréhensible (attention cependant, ce n'est pas le gouffre financier que l'on semble dépeindre, et Van Dyke insiste la dessus : l'album a été remboursé intégralement en 3 ans). Warner allant jusqu'a donner deux copies pour le prix d'une à un moment, pour montrer au monde entier que cet album se devait d'être écouté par tous, dans des campagnes de pub très drôles avec des phrases comme "Vous en faites pas pour nous, on gagne de l'argent en vendant des disques de Peter, Paul & Mary, on peut se permettre un Van Dyke Parks, et on vous le conseille!". Mais malgré ça et des critiques élogieuses, le public n'a même pas écouté ce machin, vu qu'à l'époque les Beatles sortaient des disques monstres et que les goûts du public allaient trop vers le psychédélisme pour s'ennuyer avec un truc pareil, ce marécage chic incompréhensible?


(Palm Desert)

Pourtant, aussi incroyable que cela paraisse, après plusieurs écoutes, toute la difficulté de "Song Cycle" disparait de manière tout à fait complète. Une fois que l'auditeur à posé ses repères dans ce dédale, tout devient clair et simple. L'excentricité devient le dénominateur commun de l'ensemble, le nombre prodigieux d'instruments est un carnaval de sons (Cuivres, Violons, Accordéons, Chœurs, Pianos, Harpes et j'en passe se superposent!) et les changement de tonalités si brutaux pour le néophyte (je ne souhaite à personne d'avoir à analyser l'harmonie d'un morceau comme Pot Pourri) deviennent des à-coups passionnants qui amplifient la richesse harmonique, qui rendent l'accessible inaccessible. Comme son nom l'indique, cette œuvre est un cycle. Loin des pompeux concepts-albums, nous sommes ici dans une odyssée, et le monde dans lequel nous fait plonger son ambitieux créateur mi-génie mi-savant fou de la composition, c'est l'Amérique, ou plutôt une certaine mythologie de l'Amérique et de ses musiques populaires, de ses lieux mythiques, de ses histoires hors du temps.

"C'est une tentative pour inclure le pouvoir du Cliché dans la pop. Par "Pop", je veux dire un mode d'expression calqué sur les Arts Visuels typiques des sixties (Warhol, Lichstenstein ou Rauschenberg) dans lesquels les images sont réduites à d'irréductibles (ré)interprétations d'elles-mêmes. Dans "Song Cycle", ces images sont des détails orchestraux."
- Van Dyke Parks.


Il faut sentir le frisson d'un monde qui s'ouvre dans Palm Desert quand, presque hors du rythme, Van Dyke Parks nous chante "I came west unto Hollywood ! Never never land !" et que soudainement, la musique se transforme en hommage incroyable à un monde irréel ou révolu, comme on visite une reconstitution. Mais là ou il aurait pu tomber dans l'hommage sans relief, Van Dyke Parks saisit l'essence via une écriture riche et terriblement efficace, à la fois universelle et personnelle, riche et implacable, et surtout unique et sans âge, et le tout avec beaucoup d'humour et de distance (Il chante "Nearer My God To Thee" sur des bruits d'eau pour évoquer le Titanic, symbole formidable de l'album, mais rajoute aussi des bruits de bombardement en pleine guerre du Viet-Nam). Moments épiques sur des morceaux comme The Attic avec son final incroyable façon musique militaire à Broadway, porté par une dernière mélodie de trompette parfaite. Violons bourdonnants qui se mélangent de façon incroyable un peu partout (40 ans plus tard, c'est Joanna Newsom qui en profitera). Dans Laurel Canyon Blvd., il y a l'agitation de la rue, les bruits, les sons qui viennent de partout à la fois, mais mis en musique par un orchestre étrange qui sonne de manière unique. Car aucun autre album ne ressemble à "Song Cycle," et ne mêle autant d'influences, de vues sur le passé, la culture, les lieux, les situations, le tout couplé avec des paroles tout à fait brillantes ("The widows walk and wail among the willows. Windows walk ado walk on", j'en passe et des plus incompréhensibles, inspirées par les beatnicks et James Joyce dixit Parks), a la fois cryptiques et claires. Tout l'enjeu de l'album est là. De rapprocher un monde avec ses images, de l'interpréter, de le mettre en musique tout en ne lui ôtant ni son mystère ni sa complexité. Clarifier en cryptant dans une œuvre monumentale mais jamais superlative. C'est tout à fait ce que parvient à faire "Song Cycle" en seulement une petite demie-heure, avec un talent tout à fait impressionnant qui ravira tous les amateurs d'arrangements classiques, d'americana revisitée et habitée et de pop music complexe et brillante, à cent lieues au dessus de la plupart des albums sortis cette même année (et pourtant, Dieu sait que la concurrence était rude).

Si vous vous sentez prêts à un tel voyage et si vous êtes assez persévérants pour entrer dans ce pur chef d'œuvre, vous découvrirez quelque chose de précieux et de parfait, complètement casse-gueule mais tenant incroyablement la route. Si vous vous sentez prêt, vous pourriez découvrir le meilleur album du monde en fait.


Émilien Villeroy



N.B. : il paraîtrait que Van Dyke Parks et sa famille auraient récupéré les prises de Song Cycle et préparerait une réédition en 5.1 de folie pour bientôt. Si ça se fait, pensez-bien qu'on sera les premiers à vous en parler et à compter les jours pour vous.