L'enfance. Le temps béni où tout n'est que découverte et émerveillement : oh que le monde est beau, oh j'ai des pouces opposables, oh qu'est-ce que je me sens bien quand je secoue mon zizi, oh qu'est-ce que j'aime écouter ce 45 tours sur la platine de Mamie, etc. Heureusement, plus tard, les choses rentrent dans l'ordre, on se mange 20 ans de réalité dans la face, on est déprimé, on a une vie de merde et Sarkozy est président. Mais pour l'heure, car j'espère bien que cet article vous volera littéralement une heure de votre vie, revenons-en au sujet initial.
C'est durant l'enfance que l'on connait ses plus grands chocs émotionnels, parce que ce sont les premiers. Si je n'avais pas été percuté par des albums comme "OK Computer" ou "Mellon Collie" durant mon adolescence, je ne serais probablement pas en train de vous causer là maintenant. Ils m'ont construit, ont érigé les fondations de mes goûts musicaux pour les décennies à venir. Mais quouide des chocs d'enfance, de la vraie enfance, candide et pré-acnéique ? De ces chocs que l'on a tenté de refouler au plus profond de soi pour un jour, et je ne désespère pas d'y arriver avant d'avoir résolu mon premier Rubik's Cube, devenir un adulte ?
(l'originale, jamais égalée. Jamais imitée cela dit.)
La réponse, vous l'avez en vous. On n'en sort jamais. Ils n'ont rien construit et ne construiront jamais rien : ce sont des bombes à retardement terrées dans votre subconscient, un tas de merdes entassées comme pour préparer un vide-grenier du Sou des écoles, et qui ressurgissent telles quelles, sans prévenir. Montrez-moi un Amstrad CPC 6128 avec Fruity Frank et je pleure. Mettez-moi le sketch de Fernand Raynaud sur les timbres et je hurle de rire. Faites-moi réécouter Gentil dauphin triste de Gérard Lenorman, je suis étendu sur le sable de Port-Barcarès (le summum de l'exotisme en milieu rural).
Ainsi, je suis aujourd'hui capable de soutenir que Gérard Lenorman vaut largement un Michel Polnareff, et en plus je me trouve convaincant. Les arrangements sont naïfs, certes, mais pas plus que ceux de Michmuche. Le pont, particulièrement, me serre le cœur de par son ouverture inattendue, introduisant une tension qui, heureusement, sera résolue quelques mesures plus tard, une fois que Gérard, se laissant flotter sur des frises de steel drum (*), aura transmis toute sa tristesse à l'auditeur de 7 à 77 ans. Notez également le saxophone introduit à partir du deuxième couplet, subtil comme une pomme de terre dans le slip de bain d'un nouveau-né.
(Gérard et son inoubliable visage d'échappé de l'asile)
Quoi, les dauphins. Deerhoof écrit bien sur les pandas et le basket. Croyez-le ou non, Gentil Dauphin Triste est une féroce diatribe anti-Hollywoodienne. "Vous allez chercher quoi au cinéma ?" demande Gérard, avant de répondre lui-même avec toute la perspicacité qu'on lui connait : "Du sang et du malheur, des larmes et de la peur, vous feriez mieux d'apprendre à être heureux". Quel est le fumier qui oserait dire le contraire ? En première ligne dans le collimateur de Gérard, Les Dents de la mer : "Tu n'oses plus te baigner dans la mer à cause de ce requin que les Américains ont inventé pour faire peur à ton père". Ce petit salopard de Spielberg a ruiné les vacances de milliers de petits Gérards pour se faire une montagne de fric, et Lenorman n'est pas dupe. En plus il sait que le requin, c'est pour de faux. Alors saisissez la main qu'il vous tend et courez avec lui contre les vagues, ça lui ferait tellement plaisir.
Joseph Karloff
(*) N'importe quoi moi, ça doit plutôt être du marimba. Pardon aux mélomanes.
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