C'est entendu.
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mercredi 19 octobre 2011

[Réveille-Matin] Faust - Picnic on a frozen river / Giggy Smile

A réécouter Miles Davis, Pink Floyd, King Crimson, Can, Ornette Coleman, ou même les Beatles, aujourd'hui, on se rend compte aisément que l'attention de l'avant-garde rock a changé de point focal entre les années 70 (soit entre 1968 et 1978 environ) et notre Ère (de 2005 à 2011 si vous n'avez pas la télé). Aujourd'hui, ce qui prime, forcément, quand il s'agit d'aller de l'avant, c'est la technique, ses avancées, et son utilisation tordue ou ingénieuse par le musicien. La technique seule permet au musicien moderne d'aller de l'avant en faisant évoluer le son, car c'est le son et lui seul qui peut démarquer les limites de l'avant-garde. En tout cas depuis 2005. Avant ça on avait encore quelques sentiers à battre du côté de l'arme favorite de l'avant-garde précédente : la structure. Radiohead, Björk pour l'art-pop, quelques autres noms s'y essayaient mais c'est surtout du côté des musiques électroniques et concrètes que la dernière bataille de la structure a eu lieu, où le collage, l'ambient, le UK garage et toutes ces histoires de tempos dominaient les débats et menaient de front la nouveauté et l'excitation de la découverte. Depuis, Björk comme Radiohead l'ont montré, la vulgarisation du dubstep l'a prouvé : c'est une histoire de son et rien d'autre.



A une autre époque, avant que la technique ne permette ces amusements soniques, avant que les ressources de modulations structurelles ne soient grandement épuisées par les forages répétés des chercheurs d'or, l'avant-garde jouait sur le terrain de la surprise rythmique, de l'extraordinaire construction et le voyage spirituel dépendait du chemin emprunté et pas seulement de la voix du guide. En 1973, le groupe franco-germanique de krautrock Faust publiait "IV", un album multistructurel où le drone psychédélique côtoyait les ballades bucoliques et où l'on pouvait aussi trouver une composition comme celle de ce matin, mobile, mouvante, plus proche du free jazz que du rock'n roll et dont l'incroyable construction n'empêchait absolument pas de prendre un pied monstre en se l'envoyant à fond la caisse avec en tête une envie d'ailleurs.


Joe Gonzalez

lundi 27 juin 2011

[Fallait que ça sorte] Mott the Hoople ou le lumpenprolétariat du glam

Début des années soixante-dix. Ca sent déjà le roussi pour Mott the Hoople.
Petit retour en arrière.

Originaire d’un coin paumé du nord du Pays de Galles, le jeune Ian Hunter, que rien ne prédisposait à porter un jour des vestes lamées argent, fut un adolescent difficile subissant la férule d’un père sévère, d’où une échappée précoce vers les clubs de rock du coin où le futur Mott se frottera au skiffle et au blues-rock, tout en commençant à pointer à l’usine. Car non, Ian Hunter n’est jamais passé par une art school où il aurait croisé, par exemple, Bryan Ferry. Hunter sera, a priori, l’erreur de casting dans la fabuleuse histoire du glam. A priori seulement.

(Ian Hunter, second en partant de la gauche, avec ses bouclettes et ses shades)

C’est à la fin des années soixante que Guy Stevens, qui produira les Clash sur "London Calling", amène Hunter à rencontrer ses quatre futurs collègues, qui font alors vivoter un groupe du num de Silence (sic). Repéré comme futur frontman, Hunter s’appliquera pourtant à considérer le groupe, devenu entretemps Mott the Hoople, comme une véritable équipe solidaire. De toutes les façons, au vu des contributions importantes du guitariste Mike Ralphs au répertoire du groupe, on imagine mal une formation du genre Ian Hunter et ses Mott ou un truc du style. Tout est alors paré pour glisser comme sur du velours pour le quintet, sauf que pas du tout. Malgré un carré d’albums de bonne tenue, le succès ne vient pas, les tournées minables passant par l’Autriche s’enchaînent, les musiciens se marchent sur les pieds sur les scènes minuscules qui veulent bien les accueillir (quand il y a une scène !), et Hunter annonce qu’il jette l’éponge et qu’il retourne, non pas bosser à l’usine, mais à ses premières intentions, celles de devenir un songwriter respecté, comme Dylan, qui l’obsède.

Et Bowie vint….

Au fait, qui est Bowie en 72 ? Peut-être pas encore LE Bowie que les magazines de mode s’arracheront. Entre deux mutations génétiques, le beau David s’est déjà réincarné en Ziggy Stardust avant le virage glam définitif sur "Aladdin Sane". Le coup de veine de Mott est que si le groupe n’a pas beaucoup de fans à l’époque, Bowie en fait partie. Parti proposer ses services aux Spiders from Mars, le bassiste Overend Watts se voit offrir, à la place du job, une nouvelle chance pour Mott en la matière d’un titre que Bowie offre gracieusement au groupe. Ian Hunter ayant repoussé dédaigneusement Suffragette City (l’ingrat !), ce sera, comme chacun sait, All the Young Dudes, titre qui, en plus de relancer la carrière de Mott, deviendra ironiquement l’étalon glam absolu en matière de single.


(All the young dudes)

Alors que Mott s’était jusqu'alors vu repousser par toutes les bonnes boîtes, le groupe signe chez CBS et peut enfin enregistrer son LP de référence. A la réécoute, "All the Young Dudes" ne sonne pas si glam que ça, à l’exception du titre éponyme, sur lequel la patte de Bowie est si manifeste… qu’on dirait du Bowie, lequel s’égosille sur son sax à plusieurs reprises. Le reste du disque est constitué d’une solide collection de rocks francs du collier, souvent stoniens (One of The Boys). L’album est carré, réussi d’un bout à l’autre et produit au poil, dans la rudesse, réservant sa meilleure part à la guitare grasseyante de Mick Ralphs. Pour filer la métaphore stonienne, on est un peu entre "Beggar’s Banquet" et "Sticky Fingers". Mais All the Young Dudes (la chanson) annonce le tournant à venir…

Good morning America !

1972 marque pour Mott the Hoople le commencement des brèves années fastes. Afin de défendre l’album, Tony de Fries, le manager de Bowie, qui prend un peu le groupe en mains, décide d’une tournée américaine en plein hiver. Mott, plutôt habitué aux salles de bals de Croydon, découvre le grand large.

Le témoignage émerveillé de cette tournée par Ian Hunter constitue la matière du désormais fameux "Diary of a Rock Star", paru en 74, et enfin publié chez nous sous le titre "USA 72, à travers l’Amérique avec Mott the Hoople". Qu’il ait fallu attendre trente-cinq ans pour voir éditer ce classique en France en dit long sur l’estime que l’Hexagone concède à ce groupe…

Parcourir les Etats-Unis avec Mott, c’est se joindre à une bande de braves OS du binaire qui, pour un rien, s’émerveillent des commodités qu’offre l’Amérique (description méticuleuse des équipements d’hôtels, de la diversité des programmes sur les chaînes de télé en couleurs et des services fournis par les compagnies aériennes). C’est à croire que c’est la première fois que Hunter et sa bande prennent l’avion (dans lequel, soit dit en passant, Mick Ralphs, pas habitué, flippe systématiquement, ce qui constitue un autre point commun avec Bowie). L’attention aux détails, chez Hunter, ne s’arrête d'ailleurs pas à la trivialité, comme en témoignent de multiples allusions à ses embarras intestinaux. La vie en tournée, c’est en principe le morceau de bravoure du groupe de rock n’roll qui se respecte. Or ceux qui seraient tentés de prêter une réputation sulfureuse aux Mott en seront pour leurs frais. Ces hommes sont de braves garçons. Pas une destruction de chambre d’hôtel à déplorer, c’est tout juste s’ils emportent le shampoing de temps en temps.

Sex ? Les membres du groupe sont fidèles à leurs régulières (Ian Hunter a déjà deux mômes à l’époque) et fuient les groupies comme la peste (il faut dire qu’ils ont le chic pour attirer les moches). Drugs ? Vous n’y êtes pas du tout. Juste quelques mandies pour récupérer du décalage horaire et une ou deux petites cuites pour faire bonne mesure. Rock n’roll ? Ah là, oui, du reste on est venu pour ça, mais on ne dira pas non plus, à la lecture de ces pages, que Mott donne l’impression de vénérer fanatiquement le genre. Il y a chez eux quelque chose d'artisans consciencieux, régleurs méticuleux de balances, qui s’appliquent, chaque soir, à délivrer le meilleur set possible, mais jamais dans la folie. Précisons que lors de cette tournée, Mott n’est jamais tête d’affiche, ce qui limite les débordements. On voit du reste le quintet partager le programme avec des groupes improbables, à mille lieues de son style, comme Dr Hook ou, carrément, les countrysants New Riders of The Purple Sage, dont le guitariste émerveille un Ian Hunter connaisseur par son jeu de slide. A l’époque, on voit bien que ce que l’on appelle grossièrement le rock n’est pas forcément subdivisé en multiples chapelles qui s’ignorent et que, du moment que des amplis sont branchés sur scène, le public y trouvera son compte, peu importe la différence des styles. Mott the Hoople, groupe qui n’a jamais défendu un unique genre, et ce en dépit de quelques exubérances vestimentaires, ne jure jamais dans le tableau. Le groupe fait donc son boulot et le fait bien, mais pas comme des fonctionnaires non plus, avec le sentiment d’une intense satisfaction une fois sorti de scène. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mott the Hoople apparaît dans ce livre comme un groupe mesuré et exigeant, qui n’hésite pas à annuler si les conditions de concert dépassent les bornes.

(En 1972, Hunter avait déjà 33 ans et avait passé l'âge des conneries)

En revanche, là où le groupe semble plus fidèle à sa réputation, c’est dans le goût des beaux objets. Les fringues, certes, mais pas tant que ça. Dès qu'ils ont un instant de libre, ils se retrouvent à fureter chez les prêteurs sur gages, à la recherche d’une énième pédale d’effets ou de l’une de ces fameuses guitares vintage que Hunter aimait arborer sur scène (ah, la gratte en forme de croix de malte !), risquant l’excédent de bagages au retour.

Mott the Hoople, groupe glam ?

C’est triste à dire, mais Mott ne fera quasiment pas mieux que la tournée américaine de 72. Pourtant, c’est dans la foulée que la réputation glam du groupe s’affirmera en Europe, avec deux albums beaucoup plus baroques et arrangés que "All The Young Dudes". "Mott" en 73 puis "The Hoople" en 74 (pourquoi pas "Led", puis "Zeppelin" ?), sortent précisément au moment des grandes années du genre, une époque chronologiquement très courte qui s’est imposée à la force d’un poignet gourmetté entre les derniers feux du prog et les premiers assauts des punks, ce qui nous met entre 1972 et 1975, pas une éternité, on en conviendra.



(All the way to Memphis)

Là, Mott va se lâcher complètement et si on veut entendre du glam, c’est sur ces deux albums qu’il faut se précipiter : arrangements de cordes pompiers, piano Rachmaninov (je cite) sur Hymn for the Dudes, tentations symphoniques, chœurs en fusion, et surtout, Ian Hunter qui force sa voix au-delà du raisonnable, comme sur le grandiloquent Marionette où les garçons annoncent carrément Bohemian Rhapsody avec deux ans avant que Queen n'y songe ! Mott the Hoople joue ces deux albums sur le fil, toujours entre franche réussite (à titre personnel, "Mott" est mon favori) et foirades grandioses. Car derrière les affèteries du glam, que Mott ne maîtrisera toujours que moyennement, subsiste ce côté prolo et viril qui rend l’entreprise tout de même hasardeuse. Mott, c’est la tache de cambouis sur la chemise en soie ouverte sur un poitrail poilu. Du reste, Ian Hunter est trop gros, il l’a toujours dit.


(Marionette)

Personnellement, j’ai toujours considéré Mott avant tout comme un fichu groupe de rock et secondairement comme un représentant du glam. Et du reste, c’est quoi le glam exactement ? Parce que si c’est juste une question de platform-boots en faux serpent, Deep Purple n’est pas loin d’être glam (mais il est vrai que les leurs ne remontaient pas jusqu’aux cuisses…). La vérité, c’est que le genre, même si on en souligne la simplicité, est musicalement indéfinissable. Qui est glam ? Roxy Music ? C’est du dandysme progressif. Slade ? C’est du bon vieux rock des stades. Sweet ? C’est de la merde. Lou Reed ? Hors-sujet. Nous restent donc Marc Bolan et Bowie. Et Mott.

(Hunter en grande conversation avec Freddy Mercury)

On va dire que le glam est une question d’attitude, mais on a vu que l’attitude en question, les Mott l’ont adoptée par surcroît, parce que c’était le meilleur moyen de continuer à turbiner ce précieux rock n’roll que le groupe a toujours su jouer à la perfection.

Post-coïtum

Bizarrement, Mott the Hoople n’a pas survécu à la disparition prématurée du glam. Pour assurer la transition avec l’époque qui venait, il fallait s’appeler les New York Dolls. Pour Hunter et sa bande, les choses vont se dégrader rapidement avec une application confondante. Pas parce que le groupe serait subitement devenu démodé. Il y avait chez Mott des ressources insoupçonnées et une formidable capacité d’adaptation, comme il l’avait montré en 72. Le glam n’était qu’une passade qui avait permis à Hunter de sortir de l’ornière, l’essentiel était clairement ailleurs.


Le problème est que la solidarité au sein du groupe va se défaire. Passe encore que l’organiste Verden Allen ait plié les gaules après la tournée américaine. Mais c’en est trop quand Mick Ralphs attrape la grosse tête et abandonne ce vaisseau merveilleux pour aller former le médiocre Bad Company (avec l'ex-chanteur de Free). Avant d’atteindre la mort clinique, Mott va tout de même tenter de survivre en opérant des changements de personnel, recrutant à la guitare l’incompétent Luther Grosvenor, rebaptisé pour l’occasion Ariel Bender (on se croirait chez Kiss !) remplacé à son tour par Mick Ronson (ex-acolyte de Bowie), et puis sombrer corps et biens, autorisant Ian Hunter à commencer enfin, à plus de trente cinq ans, sa carrière de Dylan frisotté.


AGM

vendredi 6 août 2010

[Réveille Matin] The Velvet Underground - Louise

Je déteste les gens. Ils sont horribles. Tous. Ils ont l'air gentils comme ça, ils ont l'air un peu innocent, mais ils sont capables de choses vraiment infâmes. Il y a une part de sadisme chez nous tous qui parfois me donne envie de me trancher la jugulaire, ce qui n'entrainerait pas ma mort puisqu'on ne peut pas mourir de ça, mais qui exprimerait assez bien mon opinion sur le sujet. Je veux dire, OK, d'accord, le Velvet Underground n'était plus du tout le même groupe une fois que John Cale, Sterling Morrisson et Lou Reed étaient partis, laissant à bord de ce vaisseau fantôme une Maureen Tucker qui n'allait pas tarder à retourner à son métier de comptable et un Doug Yule un peu paumé. Mais tout de même, il y a une de ces haines modernes contre le cinquième album maudit du groupe, ou plutôt le premier album solo de Doug Yule, "Squeeze" que ça me fout le bourdon. Il voulait pas ça Doug. Il voulait sortir ça sous son nom, mais la maison de production, ayant pu enfin se faire un peu d'argent sur le dos du Velvet après les singles Rock & Roll et Sweet Jane, lui a dit non, lui a dit tais-toi idiot, lui a dit d'utiliser toujours la même appellation alors que c'est lui qui composait tout et jouait de quasiment tous les instruments. Et voilà ce pauvre album, oublié, maudit, rejeté, conchié par tous, jamais réédité. Pas que ce soit grave, c'est pas un chef d'œuvre. Mais bon sang, ce matin, j'ai envie de le consoler cet album, de lui dire que c'est pas grave, que c'est pas sa faute, qu'il a pas eu de chance.


"Squeeze" est un album passable, mais surement pas nul. Il est juste bancal, gauche, un peu stupide, un peu inutile, et n'arrive jamais à la hauteur du pied de la cheville du talon du moindre album précédent du groupe, évidemment. Et puis dans le genre de la pop 70's un peu niaise, mielleuse et plaisante qui s'écoute d'une oreille distraite, on a entendu bien pire, laissez-moi vous le dire. Pour vous le prouver, autant écouter le dernier morceau de ce pauvre naufrage, Louise. Tout est un peu raté ici : les paroles qui traitent d'une fille qui a vieilli (parfois, à la place de Louise, j'ai l'impression d'entendre "Lou Reeeeeed") et qui ne peut plus danser le "hoochie-coo" ("Can't shake it like you used to do," ahem), le piano qui semble pompé sur Remember de Lennon, la descente harmonique clichée, la fin baroque pop un peu risible, la basse en pompe, les falsetto sans conviction. Mais il y a une espèce de charme idiot qui mérite une profonde indulgence, un je-ne-sais-quoi qui est pas mal et qui fait que quand on me parle de cet album, je peux pas m'empêcher de le défendre un peu, pas beaucoup, rien qu'un peu, face au grand froid du monde extérieur. Et puis il y a cette pochette, cette main qui tient l'Empire State Building comme un grand phallus. Rien que pour ça, Doug Yule, toi le paria, toi l'oublié, toi le type qui n'a même pas été invité quand le Velvet a été intronisé dans le ridicule Rock & Roll Hall of Fame, toi qui chantais de ta voix si douce Candy Says ou O Sweet Nothing, je te tends la main, je te tire vers moi, je te claque une bise sur les deux joues et je te dis merci, ouais, mec, merci.


Emilien Villeroy

lundi 26 avril 2010

[Réveille Matin] Faces - Glad and Sorry

On ne présente plus vraiment les Faces, mais le groupe semble avoir été un peu oublié, depuis quelques temps. Pourtant, ce matin, j’ai eu très envie de vous proposer Glad and Sorry (groovesharké dans le lecteur de gauche) que l'on trouve sur leur quatrième et dernier album, sorti en 1973, intitulé "Ooh La La", et dont l'immonde pochette vous est gracieusement proposée plus bas.

Glad and Sorry est une ballade pop tout à fait charmante et qui, en y réfléchissant, possède tous les ingrédients nécessaires pour être un "tube" : la durée adéquate, le chant aérien, le piano cajoleur, le rythme posé, le solo de guitare placé sous une fine couche de reverb, et la basse confortable. Et bien entendu le petit tambourin impeccable. L’ensemble sonne quelque peu mélancolique, et les overdubs au tout début, achèvent de donner à Glad and Sorry une douce sympathie. Et puis tout de même, il y a une particularité assez cruciale à noter au niveau du chant. Passez-vous un album des Faces, et vous serez à coup sûr interpelés par la voix enrouée de Rod Stewart, cette voix si spéciale qui fait qu'on aime ou pas. Eh bien avec Glad and Sorry le chant est amplement adouci, ce qui, selon moi, est fort judicieux.


Dernière chose. Souvenez-vous du 45 Tours de Joe, concernant The Marshall Tucker Band, publié courant juillet 2009. Le rapport est simple : les deux titres figurent sur la (très chouette) BO du film "Blow", de Ted Demme, sorti en 2002, et que j'ai vraiment beaucoup aimé.

Hugo Tessier.

jeudi 25 mars 2010

[Réveille Matin] Faust - Chère Chambre

Mes amis, il fallait bien que ça arrive, je devais vous parler de krautrock ici un jour ou l'autre. On a tous un artiste, un album, un morceau même qu'on trouve absolument exemplaire, qui paraît tellement au-dessus de tout le reste qu'on l'utilise un peu comme l'étalon de la perfection, comme l'évidence sans laquelle rien ne pourrait tenir correctement. Et de temps en temps, une fois par an, peut-être moins, on se sent obligé d'y revenir, on retombe dedans sans se poser de questions, en se laissant engloutir comme si c'était la première fois. On passe alors quelques jours voire plus à la limite de l'obsession, à ne plus pouvoir penser autre chose que "Ah bon sang, j'oublie toujours à quel point c'est bon." Et bien moi tout ceci m'arrive mais avec un genre entier, ce fameux rock choucroute. Il est un brin difficile de définir clairement ce qui est plus souvent une question d'état d'esprit que de musique à proprement parler, mais on pourrait présenter le krautrock brièvement de cette manière : de 1969 à, disons, 1976, une grosse poignée de groupes allemands expérimentent à différents niveaux une musique unique, un rock bien loin des conceptions anglo-saxonnes et basé en partie sur la répétition. Mais au fond, dire ça c'est déjà oublier l'essentiel, à savoir que le kraut a été un mouvement incomparable qui est parvenu à être aussi bien sensuel, puissant, cosmique et punkoïde, parfois tout à la fois et mieux que personne.

Une des mille et une raisons d'aimer le kraut, c'est l'identité visuelle vraiment fascinante de certains groupes dont les noms sont des slogans et les pochettes des icônes immédiates. On pense bien sûr à NEU! (en français nouveau, prononcer "noy") et ses trois albums immortels dont les pochettes minimalistes vous hurlent au visage, mais les trublions de Faust et leur producteur Uwe Nettelbeck ont eux aussi fait preuve d'une inventivité bluffante dans l'art de se faire remarquer dans les bacs des disquaires. En 1971, le packaging entièrement transparent de leur premier album éponyme avait de quoi marquer, mais c'est deux ans plus tard qu'ils réalisent leur plus gros coup en se faisant signer sur le label Virgin tout en veillant à ce que leur troisième opus, "The Faust Tapes," soit vendu le moins cher possible. Et voici comment cet album-collage sans queue ni tête, assemblage de sessions d'enregistrement (où des fragments de morceaux s'enchaînent sans suivre aucune tracklist), devint un énorme succès en Grande-Bretagne (et fut probablement jeté quelques heures plus tard par la moitié de ses acheteurs) pour la simple raison qu'il était vendu au prix d'un single.

Le morceau de ce matin, à l'écoute dans le lecteur à votre gauche, conclut l'album et me fait toujours un effet indescriptible. Le temps semble s'arrêter autour de ces arpèges de guitares lumineux et doux qui montent et descendent lentement sans jamais sortir de leur cours paisible tandis qu'un spoken word (en français !) probablement improvisé égrène des mots sans aucun sens. Il n'en faut pas plus pour créer une ambiance ambigüe, à la fois mystérieuse et rassurante. Après avoir été interrompu par une voix allemande venue réciter sa liste de course, Jean-Hervé Péron reprend la parole de sa voix laiteuse avec la phrase "Chère chambre, tu m'as longtemps regardé quand j'étais nu sur le lit, quand je restais sans rien dire longtemps," et ce moment est à mes oreilles le plus beau de toute la carrière de Faust, allez savoir pourquoi.


Thelonius.

mercredi 24 mars 2010

[Réveille Matin] Antônio Carlos Jobim - Águas de Março

Águas de Março, c'est le monde mis en musique. J'ai l'air d'exagérer. Je suis terriblement sérieux. C'est le mélange d'à peu près tout dans un morceau bossa nova qu'on pourrait trop facilement qualifier de musique d'ambiance, alors qu'il est avant tout un délice sonore délicat, parfait, quoique doucement troublant par sa profondeur. Il y a une confusion des sentiments, une certaine joie qui empiète sur la mélancolie, un entrain qui vient se mêler avec la plus lourde des contemplations statiques, et finalement, à aucun moment l'ensemble n'est triste ou heureux, il est juste là, avançant, non pas neutre mais de tous les partis, complètement fascinant dans son naturel inexplicable qui inclut en lui des sentiments contradictoires. Et ce n'est pas la voix mystérieuse et sombre d'Antônio Carlos "Tom" Jobim, légende brésilienne à qui l'on doit les standards The Girl From Ipanema, Agua de Beber ou Desafinado, qui viendra donner des indications, au contraire, il est là, à chantonner sa mélodie qui monte et descend doucement. Derrière, l'orchestre finalement composé, qui apparait de manière sporadique puis continue, fait plus qu'accompagner la suite d'accords qui semble être une grande descente harmonique qui continue sans fin, encore et encore. L'orchestre se fond dans cette descente et l'accentue, et l'on n'en finit pas de tomber doucement, et par moment, des notes graves viennent étouffer la guitare acoustique pour créer comme une gravité, tandis que le mélange entre la flûte et le piano qui virevolte dans l'air met un sourire sur le visage, et tout est là, ensemble, paradoxalement.



Les mots dans cette langue si moite et chantante qu'est le portugais évoquent des suites de choses, comme un collage qui commence inexorablement par "É", en français "c'est", comme des respirations. Se succèdent alors des bouts de bois, des mystères, des pierres, des arbres, tout une nature qui vit et avance dans le temps pendant qu'arrivent ces "eaux de mars" qui signifient au Brésil la fin de l'été et des pluies torrentielles. Et le tout a vraiment ce côté aquatique, cyclique, n'en finissant pas de couler, un ruisseau, un torrent oui, même si l'image semble éculée et vaguement risible, il y a de ça, avec toute la naïveté et la gravité de l'image, "c'est la vie, c'est la mort", Jobim chante ça à un moment, et il a raison, car c'est le cas, c'est les deux en même temps, et c'est ça qui est vraiment magnifique avec cette chanson qui est peut-être son chef d'œuvre. Il l'a reprise plus tard avec Elis Regina pour l'album "Elis & Tom," classique du genre, mais c'est sur son album solo "Matina Pêre," dans sa version originale que Águas de Março est le plus beau. J'imagine que j'aurais pu vous en dire plus sur la bossa nova ou la carrière de Jobim. Mais vraiment, pas ce matin, non, ce matin, juste Águas de Março, et c'est tout, juste ces 4 petites minutes de perfection.


Emilien

jeudi 9 juillet 2009

[45 Tours] The Marshall Tucker Band - Can't you see (1973)

C'est l'une de ces chansons que l'on entend souvent passer, dans un film, dans une série télé, à la radio, et à chaque fois, l'on se dit "Qu'est-ce qu'elle est cool cette vieille rengaine post hippie ! Je me demande bien à quel fameux groupe on la doit..."
Et en effet, personne ne connait le Marshall Tucker Band. Pas si vous n'avez pas vécu les seventies ou n'avez pas fouillé le net, en tout cas. Si l'on m'avait parlé "blues rock post hippie du sud des Etats Unis, circa 1973," j'aurais certainement cité Creedence Clearwater Revival, voire Jethro Tull ou autres, mais il me manquait les clés pour entrevoir l'auteur de ce hit radio d'antan, avec son introduction si familière, à la flute, et ce refrain fédérateur. Régalez-vous de ce live, à la qualité d'image fort louable :