Début des années soixante-dix. Ca sent déjà le roussi pour Mott the Hoople.
Petit retour en arrière.
Petit retour en arrière.
Originaire d’un coin paumé du nord du Pays de Galles, le jeune Ian Hunter, que rien ne prédisposait à porter un jour des vestes lamées argent, fut un adolescent difficile subissant la férule d’un père sévère, d’où une échappée précoce vers les clubs de rock du coin où le futur Mott se frottera au skiffle et au blues-rock, tout en commençant à pointer à l’usine. Car non, Ian Hunter n’est jamais passé par une art school où il aurait croisé, par exemple, Bryan Ferry. Hunter sera, a priori, l’erreur de casting dans la fabuleuse histoire du glam. A priori seulement.
C’est à la fin des années soixante que Guy Stevens, qui produira les Clash sur "London Calling", amène Hunter à rencontrer ses quatre futurs collègues, qui font alors vivoter un groupe du num de Silence (sic). Repéré comme futur frontman, Hunter s’appliquera pourtant à considérer le groupe, devenu entretemps Mott the Hoople, comme une véritable équipe solidaire. De toutes les façons, au vu des contributions importantes du guitariste Mike Ralphs au répertoire du groupe, on imagine mal une formation du genre Ian Hunter et ses Mott ou un truc du style. Tout est alors paré pour glisser comme sur du velours pour le quintet, sauf que pas du tout. Malgré un carré d’albums de bonne tenue, le succès ne vient pas, les tournées minables passant par l’Autriche s’enchaînent, les musiciens se marchent sur les pieds sur les scènes minuscules qui veulent bien les accueillir (quand il y a une scène !), et Hunter annonce qu’il jette l’éponge et qu’il retourne, non pas bosser à l’usine, mais à ses premières intentions, celles de devenir un songwriter respecté, comme Dylan, qui l’obsède.
Et Bowie vint….
Au fait, qui est Bowie en 72 ? Peut-être pas encore LE Bowie que les magazines de mode s’arracheront. Entre deux mutations génétiques, le beau David s’est déjà réincarné en Ziggy Stardust avant le virage glam définitif sur "Aladdin Sane". Le coup de veine de Mott est que si le groupe n’a pas beaucoup de fans à l’époque, Bowie en fait partie. Parti proposer ses services aux Spiders from Mars, le bassiste Overend Watts se voit offrir, à la place du job, une nouvelle chance pour Mott en la matière d’un titre que Bowie offre gracieusement au groupe. Ian Hunter ayant repoussé dédaigneusement Suffragette City (l’ingrat !), ce sera, comme chacun sait, All the Young Dudes, titre qui, en plus de relancer la carrière de Mott, deviendra ironiquement l’étalon glam absolu en matière de single.
(All the young dudes)
Alors que Mott s’était jusqu'alors vu repousser par toutes les bonnes boîtes, le groupe signe chez CBS et peut enfin enregistrer son LP de référence. A la réécoute, "All the Young Dudes" ne sonne pas si glam que ça, à l’exception du titre éponyme, sur lequel la patte de Bowie est si manifeste… qu’on dirait du Bowie, lequel s’égosille sur son sax à plusieurs reprises. Le reste du disque est constitué d’une solide collection de rocks francs du collier, souvent stoniens (One of The Boys). L’album est carré, réussi d’un bout à l’autre et produit au poil, dans la rudesse, réservant sa meilleure part à la guitare grasseyante de Mick Ralphs. Pour filer la métaphore stonienne, on est un peu entre "Beggar’s Banquet" et "Sticky Fingers". Mais All the Young Dudes (la chanson) annonce le tournant à venir…
Good morning America !
1972 marque pour Mott the Hoople le commencement des brèves années fastes. Afin de défendre l’album, Tony de Fries, le manager de Bowie, qui prend un peu le groupe en mains, décide d’une tournée américaine en plein hiver. Mott, plutôt habitué aux salles de bals de Croydon, découvre le grand large.
Le témoignage émerveillé de cette tournée par Ian Hunter constitue la matière du désormais fameux "Diary of a Rock Star", paru en 74, et enfin publié chez nous sous le titre "USA 72, à travers l’Amérique avec Mott the Hoople". Qu’il ait fallu attendre trente-cinq ans pour voir éditer ce classique en France en dit long sur l’estime que l’Hexagone concède à ce groupe…
Parcourir les Etats-Unis avec Mott, c’est se joindre à une bande de braves OS du binaire qui, pour un rien, s’émerveillent des commodités qu’offre l’Amérique (description méticuleuse des équipements d’hôtels, de la diversité des programmes sur les chaînes de télé en couleurs et des services fournis par les compagnies aériennes). C’est à croire que c’est la première fois que Hunter et sa bande prennent l’avion (dans lequel, soit dit en passant, Mick Ralphs, pas habitué, flippe systématiquement, ce qui constitue un autre point commun avec Bowie). L’attention aux détails, chez Hunter, ne s’arrête d'ailleurs pas à la trivialité, comme en témoignent de multiples allusions à ses embarras intestinaux. La vie en tournée, c’est en principe le morceau de bravoure du groupe de rock n’roll qui se respecte. Or ceux qui seraient tentés de prêter une réputation sulfureuse aux Mott en seront pour leurs frais. Ces hommes sont de braves garçons. Pas une destruction de chambre d’hôtel à déplorer, c’est tout juste s’ils emportent le shampoing de temps en temps.
Sex ? Les membres du groupe sont fidèles à leurs régulières (Ian Hunter a déjà deux mômes à l’époque) et fuient les groupies comme la peste (il faut dire qu’ils ont le chic pour attirer les moches). Drugs ? Vous n’y êtes pas du tout. Juste quelques mandies pour récupérer du décalage horaire et une ou deux petites cuites pour faire bonne mesure. Rock n’roll ? Ah là, oui, du reste on est venu pour ça, mais on ne dira pas non plus, à la lecture de ces pages, que Mott donne l’impression de vénérer fanatiquement le genre. Il y a chez eux quelque chose d'artisans consciencieux, régleurs méticuleux de balances, qui s’appliquent, chaque soir, à délivrer le meilleur set possible, mais jamais dans la folie. Précisons que lors de cette tournée, Mott n’est jamais tête d’affiche, ce qui limite les débordements. On voit du reste le quintet partager le programme avec des groupes improbables, à mille lieues de son style, comme Dr Hook ou, carrément, les countrysants New Riders of The Purple Sage, dont le guitariste émerveille un Ian Hunter connaisseur par son jeu de slide. A l’époque, on voit bien que ce que l’on appelle grossièrement le rock n’est pas forcément subdivisé en multiples chapelles qui s’ignorent et que, du moment que des amplis sont branchés sur scène, le public y trouvera son compte, peu importe la différence des styles. Mott the Hoople, groupe qui n’a jamais défendu un unique genre, et ce en dépit de quelques exubérances vestimentaires, ne jure jamais dans le tableau. Le groupe fait donc son boulot et le fait bien, mais pas comme des fonctionnaires non plus, avec le sentiment d’une intense satisfaction une fois sorti de scène. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Mott the Hoople apparaît dans ce livre comme un groupe mesuré et exigeant, qui n’hésite pas à annuler si les conditions de concert dépassent les bornes.
En revanche, là où le groupe semble plus fidèle à sa réputation, c’est dans le goût des beaux objets. Les fringues, certes, mais pas tant que ça. Dès qu'ils ont un instant de libre, ils se retrouvent à fureter chez les prêteurs sur gages, à la recherche d’une énième pédale d’effets ou de l’une de ces fameuses guitares vintage que Hunter aimait arborer sur scène (ah, la gratte en forme de croix de malte !), risquant l’excédent de bagages au retour.
Mott the Hoople, groupe glam ?
C’est triste à dire, mais Mott ne fera quasiment pas mieux que la tournée américaine de 72. Pourtant, c’est dans la foulée que la réputation glam du groupe s’affirmera en Europe, avec deux albums beaucoup plus baroques et arrangés que "All The Young Dudes". "Mott" en 73 puis "The Hoople" en 74 (pourquoi pas "Led", puis "Zeppelin" ?), sortent précisément au moment des grandes années du genre, une époque chronologiquement très courte qui s’est imposée à la force d’un poignet gourmetté entre les derniers feux du prog et les premiers assauts des punks, ce qui nous met entre 1972 et 1975, pas une éternité, on en conviendra.
(All the way to Memphis)
Là, Mott va se lâcher complètement et si on veut entendre du glam, c’est sur ces deux albums qu’il faut se précipiter : arrangements de cordes pompiers, piano Rachmaninov (je cite) sur Hymn for the Dudes, tentations symphoniques, chœurs en fusion, et surtout, Ian Hunter qui force sa voix au-delà du raisonnable, comme sur le grandiloquent Marionette où les garçons annoncent carrément Bohemian Rhapsody avec deux ans avant que Queen n'y songe ! Mott the Hoople joue ces deux albums sur le fil, toujours entre franche réussite (à titre personnel, "Mott" est mon favori) et foirades grandioses. Car derrière les affèteries du glam, que Mott ne maîtrisera toujours que moyennement, subsiste ce côté prolo et viril qui rend l’entreprise tout de même hasardeuse. Mott, c’est la tache de cambouis sur la chemise en soie ouverte sur un poitrail poilu. Du reste, Ian Hunter est trop gros, il l’a toujours dit.
(Marionette)
Personnellement, j’ai toujours considéré Mott avant tout comme un fichu groupe de rock et secondairement comme un représentant du glam. Et du reste, c’est quoi le glam exactement ? Parce que si c’est juste une question de platform-boots en faux serpent, Deep Purple n’est pas loin d’être glam (mais il est vrai que les leurs ne remontaient pas jusqu’aux cuisses…). La vérité, c’est que le genre, même si on en souligne la simplicité, est musicalement indéfinissable. Qui est glam ? Roxy Music ? C’est du dandysme progressif. Slade ? C’est du bon vieux rock des stades. Sweet ? C’est de la merde. Lou Reed ? Hors-sujet. Nous restent donc Marc Bolan et Bowie. Et Mott.
On va dire que le glam est une question d’attitude, mais on a vu que l’attitude en question, les Mott l’ont adoptée par surcroît, parce que c’était le meilleur moyen de continuer à turbiner ce précieux rock n’roll que le groupe a toujours su jouer à la perfection.
Post-coïtum
Bizarrement, Mott the Hoople n’a pas survécu à la disparition prématurée du glam. Pour assurer la transition avec l’époque qui venait, il fallait s’appeler les New York Dolls. Pour Hunter et sa bande, les choses vont se dégrader rapidement avec une application confondante. Pas parce que le groupe serait subitement devenu démodé. Il y avait chez Mott des ressources insoupçonnées et une formidable capacité d’adaptation, comme il l’avait montré en 72. Le glam n’était qu’une passade qui avait permis à Hunter de sortir de l’ornière, l’essentiel était clairement ailleurs.
Le problème est que la solidarité au sein du groupe va se défaire. Passe encore que l’organiste Verden Allen ait plié les gaules après la tournée américaine. Mais c’en est trop quand Mick Ralphs attrape la grosse tête et abandonne ce vaisseau merveilleux pour aller former le médiocre Bad Company (avec l'ex-chanteur de Free). Avant d’atteindre la mort clinique, Mott va tout de même tenter de survivre en opérant des changements de personnel, recrutant à la guitare l’incompétent Luther Grosvenor, rebaptisé pour l’occasion Ariel Bender (on se croirait chez Kiss !) remplacé à son tour par Mick Ronson (ex-acolyte de Bowie), et puis sombrer corps et biens, autorisant Ian Hunter à commencer enfin, à plus de trente cinq ans, sa carrière de Dylan frisotté.
AGM
AMG, je t'ai toujours trouvé ultra calé question zik, et cet article en est la méga preuve. :)
RépondreSupprimerNous aussi nous avons évoqué David Bowie dans notre première critique du dossier Bryan Signer, saurez-vous le retrouver ?
http://ilaose.blogspot.com/2011/06/usual-suspects.html
Super article qui me donne envie de donner une deuxième chance à Mott The Hoople : déjà le nom du groupe est à chier, et "All The Young Dudes" je trouve ça balourd comme des vieilles bourses de cowboy qui tombent de part et d'autre d'un canasson fatigué.
RépondreSupprimerMais la deuxième chanson que tu proposes sonne bien !