Águas de Março, c'est le monde mis en musique. J'ai l'air d'exagérer. Je suis terriblement sérieux. C'est le mélange d'à peu près tout dans un morceau bossa nova qu'on pourrait trop facilement qualifier de musique d'ambiance, alors qu'il est avant tout un délice sonore délicat, parfait, quoique doucement troublant par sa profondeur. Il y a une confusion des sentiments, une certaine joie qui empiète sur la mélancolie, un entrain qui vient se mêler avec la plus lourde des contemplations statiques, et finalement, à aucun moment l'ensemble n'est triste ou heureux, il est juste là, avançant, non pas neutre mais de tous les partis, complètement fascinant dans son naturel inexplicable qui inclut en lui des sentiments contradictoires. Et ce n'est pas la voix mystérieuse et sombre d'Antônio Carlos "Tom" Jobim, légende brésilienne à qui l'on doit les standards The Girl From Ipanema, Agua de Beber ou Desafinado, qui viendra donner des indications, au contraire, il est là, à chantonner sa mélodie qui monte et descend doucement. Derrière, l'orchestre finalement composé, qui apparait de manière sporadique puis continue, fait plus qu'accompagner la suite d'accords qui semble être une grande descente harmonique qui continue sans fin, encore et encore. L'orchestre se fond dans cette descente et l'accentue, et l'on n'en finit pas de tomber doucement, et par moment, des notes graves viennent étouffer la guitare acoustique pour créer comme une gravité, tandis que le mélange entre la flûte et le piano qui virevolte dans l'air met un sourire sur le visage, et tout est là, ensemble, paradoxalement.
Les mots dans cette langue si moite et chantante qu'est le portugais évoquent des suites de choses, comme un collage qui commence inexorablement par "É", en français "c'est", comme des respirations. Se succèdent alors des bouts de bois, des mystères, des pierres, des arbres, tout une nature qui vit et avance dans le temps pendant qu'arrivent ces "eaux de mars" qui signifient au Brésil la fin de l'été et des pluies torrentielles. Et le tout a vraiment ce côté aquatique, cyclique, n'en finissant pas de couler, un ruisseau, un torrent oui, même si l'image semble éculée et vaguement risible, il y a de ça, avec toute la naïveté et la gravité de l'image, "c'est la vie, c'est la mort", Jobim chante ça à un moment, et il a raison, car c'est le cas, c'est les deux en même temps, et c'est ça qui est vraiment magnifique avec cette chanson qui est peut-être son chef d'œuvre. Il l'a reprise plus tard avec Elis Regina pour l'album "Elis & Tom," classique du genre, mais c'est sur son album solo "Matina Pêre," dans sa version originale que Águas de Março est le plus beau. J'imagine que j'aurais pu vous en dire plus sur la bossa nova ou la carrière de Jobim. Mais vraiment, pas ce matin, non, ce matin, juste Águas de Março, et c'est tout, juste ces 4 petites minutes de perfection.
Emilien
Emilien
Merci pour ce réveil matin.
RépondreSupprimerC'est exactement ce dont j'avais besoin.
Beleza ! J'adore cette version et sa construction, du dépouillement au symphonique (enfin presque).
RépondreSupprimerJ'en profite pour vous dire tout le bien que je pense de votre site et de son ouverture d'esprit. Saravah !
Je connaissais pas cette version, elle est sympathique :)
RépondreSupprimerMerci Émilien pour cette découverte,je découvre un peu la disco du bonhomme et j'aime beaucoup :)
RépondreSupprimerAh, j'en suis ravi Olivier!
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