C'est entendu.
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jeudi 8 décembre 2011

[Alors quoi ?] Rappel historique et esthétique : le garage-rock 60's

"Garage" est un terme que l'on trouve souvent dans les chroniques, parfois avec un beau contre-sens à la clef d'ailleurs, et qui mérite donc quelques explications. Il faut d'abord préciser qu'ici, on évoquera le "garage-rock", à ne pas confondre avec la house-garage et le UK-garage. Ces deux sous-genres de la musique électronique tirent leur nom d'une célèbre boite de nuit qui passait de la house à New York : le Paradise Garage, un temple dédié à la musique électronique. Le garage qui nous intéresse ici tient son qualificatif de la légende selon laquelle de nombreux groupes amateurs des années 60 répétaient dans le garage de leurs parents, faute de mieux !



(The Count Five - Psychotic Reaction)

Historiquement, le garage-rock est un genre strictement nord-américain, tout au mieux on pourra éventuellement évoquer plus largement les pays du continent sud-américain et l'Australie... En effet, le rock des anglais de la même époque, celui des Kinks, Stones, Yardbirds, Who et compagnie n'est PAS du garage mais de la beat music ou si l’on veut être encore plus précis on pourra parler de mod, british-R&B, etc. En ce qui concerne le reste de l'Europe on parle également plus volontiers de beat music même si parfois les groupes sonnent davantage comme le garage-rock américain... C’est certes compliqué et un peu pointilleux sur les bords, mais vous allez comprendre le pourquoi du comment.



(The Kingsmen - Louie Louie)

Le garage-rock est la réponse du loup à la bergère. Qu'allaient pouvoir faire les ados américains buveurs de coca-cola face à l'invasion britannique ? Se laisser faire ou réagir? Ils ont décidé de prendre les armes (guitare-basse-batterie et clavier) et de combattre l'assaillant en essayant de placer des 45 tours dans les charts plutôt qu'en pratiquant la politique de l'autruche... Les anglais avaient été influencés par la Motown et Buddy Holly ? Les américains le seraient par les groupes anglais. Certains prennent les Beatles en modèle (Byrds ou Remains) mais la plupart des groupes seront surtout séduits par la musique sexuelle des Stones, les riffs vengeurs des Kinks et les délires proto-psyché des Yardbirds (groupe ayant beaucoup tourné sur les terres du Nouveau Monde). Forcément les américains digèrent ces influences et y ajoutent une couleur locale. En plus du rock’n roll il ne faut pas oublier le rôle fondateur du frat-rock (les Kingsmen, par exemple) ou du surf-rock (comme celui des Trashmen). Louie Louie est probablement le premier morceau garage rock : hyper facile à jouer et avec un texte possiblement cochon (*1), c'était alors la chanson parfaite en guise de bande son pour les beuveries étudiantes des fraternités.



(Remains - Why do I cry)

Le garage-rock démarre donc vers 1963 mais connaitra son pic artistique entre 1965 et 1967. C’est plus ou moins lorsque les autres genres en vogue à l’époque déclinent (surf et rock’n roll) que le garage fait ses classes et s’installe dans les cœurs. A son tour il laissera d’ailleurs sa place à des choses peut être plus chiadées mais nettement moins fun : le prog, la musique psyché, etc. Deux approches du garage-rock coexistent et se recoupent partiellement : historique et esthétique.

La biographie des musiciens est presque toujours la même : une bande de potes de lycée habitant dans le même quartier et répétant dans un garage ou dans le salon de la maison familiale. Le manager est souvent le papa du batteur tandis que le grand frère conduit le van pour mener le groupe à son concert pour le bal de promo du lycée de la ville d'à coté. De ce point de vue, des groupes très "pop" comme les Remains ou les Knickerbockers ont été considérés comme garage par ceux qui considèrent que ce qui compte c'est surtout l'origine géographique et l'époque.



(The 13th Floor Elevators - You're gonna miss me)

D’un point de vue esthétique, certains passionnés ont essayé de définir l'essence de ces groupes, ce qui faisait leur homogénéité : c'est un job loin d'être évident d'autant plus qu'à l'époque (au milieu des années 60), on n’avait aucune notion, aucune case dans laquelle ranger les groupes en question. On en est donc arrivé à une définition en terme de style : le garage est une musique directe et crue (pas de production trop policée ou d'arrangements compliqués), l'énergie très présente et pas tout à fait maitrisée (il faut que ce soit sauvage !), les guitares doivent être aigrelettes (présence d'une fuzz souhaitée), et enfin, élément très distinguant/distingué : un orgue-combo rital (*2).



(Love - My little Red Book)

Outre les sus-mentionnés groupes de la British Invasion, du rock’n roll et compagnie (surf, frat), le garage s'est enrichi au contact du folk-rock et de la musique psychédélique. Le premier album de Love est un bon exemple de cette fertilisation croisée, un pied dans le garage le plus brutal (leur reprise de My little red book) et l'autre dans le folk rock des Byrds.


(La compilation "Nuggets" de Lenny Kaye permettra au garage-rock d'inspirer les générations suivantes)

Vers 1967-68 le garage s'éteint de lui-même. Il y a eu l'évolution de certains musiciens vers une pratique onaniste de leur instrument (la technique au détriment de la spontanéité). Il y a eu les nombreux appelés au Viet'. Et puis il y a eu le passage du temps et les adolescents d’hier ont dû se trouver une responsabilité et un job régulier, et les rangs garagistes se sont épuisés. Cette rupture de stock fut néanmoins temporaire, car si en 1972 lorsque Lenny Kaye compile ses "Nuggets" (une compilation de singles plus ou moins obscurs de rock garage ou psychédélique et de beat-music et merseybeat, NDLR) sur le label Elektra tout le monde a l’air de l’ignorer, il n'en sera pas de même quand Sire rééditera les légendaires pépites en 1976. La seconde moitié des 70’s voit alors un regain d’intérêt pour le rock des 60’s (*3) tandis que dans les années 80, un revival s'organise autour de labels comme Voxx, Get Hip ou Moxie (*4). En 2011 le garage se porte très bien, merci pour lui.


Alex Twist



D'autres titres à écouter d'urgence :

? and the Mysterians - 96 Tears
The Sonics - Psycho
The Seeds - Don't push me too hard
Music Machine - Talk talk
Paul Revere and the Raiders - Just like me
The Standells - Dirty water
The Castaways - Liar, liar
The Electric Prunes - I had too much to dream last night
The Brogues - I ain't no miracle worker
The Chocolate Watchband - Sweet young thing
The Bob Seger system - 2+2=?
Thee Midnighters - Jump Jive & Harmonize
The Tamrons - Wild man
The Unrelated Segments - Cry, cry, cry
Teddy and his Patches - Suzy creamcheese
The Litter - Action woman
The Squires - Going all the way
The Jesters of Newport - Stormy
The Driving Stupid - The horror asparagus story
The Monks - I hate you
The Third Bardo - I'm five year ahead of my time
The Five Americans - I see the light
The Other Half - Mr Pharmacist
Mouse and the Traps - Maid of sugar maid of spice
The Sparkles - No friends of mine
The Leaves - Hey Joe




(*1) : Une chanson écrite par Richard Berry & the Pharaohs, elle était un "classique" des groupes du coté de Seattle en live et notamment les Wailers. Les Kingsmen en feront le tube que l'on connait lors d'une session d'une heure à la fin d'une journée de studio. Les paroles difficilement intelligibles ajoutent du piment, certains y entendant des paroles cochonnes ou des messages subliminaux... Le FBI malgré de nombreuses recherches fera cependant choux blanc. A noter que d'autres chansons de Richard Berry trouvèrent une seconde vie entre les mains de groupes garage du coin comme les Sonics (Have love will travel).

(*2) : Tels que le farfisa ou le voxx pour les plus riches. Il faut écouter par exemple 96 tears de ? and the Mysterians ou Liar liar des Castaways pour comprendre la nature profonde de ce son : bon marché, criard et agressif ! Ne dites jamais à un amateur de garage puriste que vous aimez le Hammond il vous rigolera au nez en vous mentionnant Deep Purple ou Emerson Lake & Palmer. Certes, le B3 est réservé aux bourgeois et un lycéen ne pouvait pas se le payer en 1965. On n’est pas là pour la chaleur mais bel et bien pour trouver un truc qui bourdonne dans les oreilles.

(*3) :
La série Pebbles voit le jour en 1978, son nom est une référence directe aux Nuggets (Pépites/Cailloux). Bam Caruso est fondé en 1983. Les Compilations "Back From The Grave" apparaissent en 1983. Le premier Ugly Things est édité en 1983.

(*4) :
Voxx est le label fondé par Greg Shaw après Bomp, avec une orientation 60’s. Get Hip est un label fondé par les Cynics de Pittsburgh, toujours en activité (et plutôt en forme). Moxie est le label des Miracle Workers. Quelques groupes du revival des années 80 : Droogs, Fleshtones, Fuzztones, Crawdaddys, Tell-Tale-Hearts, The Creeps, The Pandoras, The Lyres, DMZ, The Optic Nerve, Chesterfield Kings, Les Playboys, Los Negativos …

mardi 12 avril 2011

[Réveille-Matin] The Association - Along Comes Mary

Salut la compagnie ! Ce matin, je sais d'avance que ce que j'ai à vous proposé vous plaira, car cela fait maintenant un an et quatre mois que je suis VRP ici, et que je sillonne les routes du web à la recherche de toujours plus de cool à vous présenter quand j'ouvre ma mallette devant vos yeux ébahis (ou encore bouffis de sommeil). Depuis le temps, des liens se sont tissés, de la relation vendeur-client, on a évolué vers quelque chose de plus humain. Alors ayez confiance, je n'arnaque jamais, ou presque.

(Along Comes Mary)

Si on jette un œil sur le descriptif de la chose, on ne peut évidemment pas être déçu : six gars originaires de Californie, les années 60, la sunshine pop en plein boum, et les sourires aguicheurs de Jim Yester, bref, nombre d'éléments se donnent rendez-vous chez The Association pour satisfaire tant vos pupilles que vos tympans, de plus en plus exigeants avec le temps.

Deux temps, dans ce show télévisé. Tout d'abord la présentation du groupe par Brian Cole, bassiste (vous noterez les zooms quand il se présente lui-même), qui fait un rapprochement entre le sextet et une improbable machine composée de pièces mécaniques diverses et qui serait capable de produire, voire de fabriquer le son. Tout ça sur fond d'engrenages en guise de décor. Délicieuse mise en bouche.

Vient ensuite le moment où l'Association machine trouve sa cadence de fabrication optimale, et c'est alors un régal de pop efficace, d'arrangements on ne peut plus dans le ton, de refrains accrocheurs et de légèreté qui se met à défiler le long des chaînes de production, en continu pendant un peu plus de quatre minutes. Le chant ultra dynamique de Yester passe la dernière couche de finition, pour offrir un travail soigné, léché, en quelques mots, un monument de la pop.

C'est à prendre ou à laisser, le prix n'est pas négociable (même si je vous fais la même ristourne que d'habitude hein), et si ça ne vous intéresse pas, je remets mon chapeau et je remonte dans ma Renault BX noire. Dans le cas contraire, croyez-moi, vous faites le bon choix !


Hugo Tessier

mardi 4 janvier 2011

[Réveille Matin] The Bobby Fuller Four - I fought the Law

Ce qui m'a toujours plu avec ce vieux simple que tout le monde connait un peu sans jamais savoir qui l'a chanté, où et quand, c'est, je l'avoue, le son de la guitare de Bobby Fuller.



En 1966, la plupart des kids américains déchainaient leur fureur guitaristique dans le garage de leurs parents, formant sans le savoir ce que l'on viendrait plus tard à appeler proto-punk et qui serait compilé par Lenny Kaye sur les compilations "Nuggets". L'énergie et les guitares au maximum de leur puissance d'alors, des gamins comme Count Five, 13th Floor Elevators et tant d'autres rugissaient comme pas possible leur fougue juvénile sur des stratocasters acnéiques.

("Un bon 45 tours est un 45 tours jauni", m'a dit un jour un brocanteur.)

Pendant ce temps, Bobby Fuller, originaire de l'état du Tegzas, se rebellait à sa façon en évitant soigneusement la country territoriale et en lorgnant vers la surf music californienne de groupes comme les Surfaris. Ergo cette belle guitare au son clair menant la chanson vers l'Ouest, au rythme des paumes clappées, tandis que Bobby entonne ce refrain (repris des années plus tard par Lou Reed sur la chanson Dirt de l'album "Street Hassle") : "I fought the law and the law won / I fought the law and the law won". Fuller n'était peut-être pas le plus malicieux, le plus vil, le plus crasseux des proto-punks, mais au moins il savait reconnaitre sa défaite.


Joe Gonzalez

jeudi 29 avril 2010

[Réveille Matin] Chantal Goya - Tu M'as Trop Menti

Jean-Luc Godard est un un homme de talent ! Je ne parle même pas ici de son sens de l'image, de sa perversion surprenante des codes, de son audace, rien de tout ça ! J.-L. G. est un homme de talent car il a réussi à porter avec brio Chantal Goya à l'écran. Le résultat : elle y est comme on ne l'a jamais imaginée... jolie ! Je me souviens encore de la première fois que j'ai vu "Maculin, Feminin" (1966), je n'en croyais simplement pas mes yeux. Cette jolie jeune fille au regard naïf, dont j'étais un peu amoureux, allait devenir la chanteuse de Bécassine ...



Ce matin je vous propose donc de vous réveiller avec Chantal Goya. Ne partez pas tout de suite... Essayez ! Voyez, à l'instant où les premières cordes de la basse frissonnent, un parfum des années 60 envahit la pièce où l'on se trouve. Il suffit d'un riff de basse, d'une batterie et de deux, trois chœurs pour donner envie de danser frénétiquement. Et puis il y a cette joie simple et tellement naïve, cette joie si communicative.

Tu M'as Trop Menti est la chanson phare du film (on peut d'ailleurs l'entendre pendant la bande annonce du film, qui vaut le coup d'œil) et figure bien évidemment sur la bande originale aux cotés de cinq autre chansons de Goya. Je ne peux que vous recommander l'écoute de cet album. On y découvre la facette méconnue d'une personne qu'on ne pensait capable de chanter que des niaiseries telles que Pandi-Panda. La surprise y est agréable. Et si vous n'avez jamais visionné le film, faites le : si vous n'y trouvez pas Goya si belle que ça, vous prendrez peut-être conscience si ce n'est déjà fait que Jean-Luc Godard a du talent.


Julien Masure

mardi 27 avril 2010

Sunny Roads Session #1

par Hugo Tessier
art par Jarvis Glasses

Nous y voilà. Voici la première Sunny Roads Session, rubrique dont le leitmotiv sera de vous faire sonder un coin particulier de l’histoire musicale : les décennies 60’s et 70’s du point de vue américain. Vous trouverez en ces lignes une recrudescence de marginaux sympathiques et autres énergumènes alternatifs qui côtoieront immanquablement certaines figures emblématiques, bien souvent issues de cette Californie presque mythologique qui fut le berceau du mouvement hippie. Il s’agira, en quelque sorte, d’un plongeon dans le passé, pour s’immerger dans la période, par le biais de sa musique, principalement, mais aussi de ses films, qui, en plus d’avancer sur le chemin de l’éloignement, du questionnement sur soi, et d’apporter la critique sociale que l’on sait, au travers de leurs bandes originales, posent différentes questions (Comment la BO sert-elle le film ? Dans certains cas, les rôles s’équilibrent-ils, s’inversent-ils ?). Sunny Roads Session, à raison d’une fois par mois, se proposera de vous apporter sur un plateau cette once de nostalgie d’une époque fondamentale ou bon nombre de choses étaient permises. Comment l’Amérique de la révolution culturelle continue-t-elle de fasciner ? Telle est la question première, celle qui sera le fil conducteur. Pas de cri de désespoir façon "hier c’était mieux, aujourd’hui c’est naze," mais plutôt un retour aux sources, un retour sur image. En l’occurrence, sur une vielle photo décolorée, prise à la plage, sous un soleil de plomb, par une bande de barbus aux cheveux longs, aux yeux rêveurs, accompagnés de filles pieds-nus, arborant des sourires d’un autre temps.


The Youngbloods passent à l'Ouest


La baie de San Francisco fut témoin, entre le milieu des années 60 et la fin des années 70, d’une vague musicale sans précédent, et qui contribua à donner à la Californie ce visage qui fait tant rêver, cette aura hippie, en un mot. Pour cette première parution, il s’agit de dépoussiérer The Youngbloods, un groupe méconnu et pourtant issu du San Francisco Boom. Le point commun à tous les artistes dont je compte vous parler est résumé en deux phrases par Robert Hunter, le parolier de Grateful Dead, figure incontournable de cette scène alternative (et que Sunny Roads Session, dans l’avenir, ne se privera pas de traiter) : "l'un des aspects les plus significatifs du San Francisco Sound, à ses débuts était l'orientation traditionnelle des musiciens. Presque tout le monde ne s'est collé au rock qu'après un solide parcours folk." (1) Ce fut bel et bien ce qui se passa pour Jesse C. Young, qui forma The Youngbloods (ci-dessus) en 1966, après une carrière folk solo couronnée d'insuccès, en compagnie d’autres musiciens de bonne réputation dans le milieu, mais tous aussi peu connus du grand public.

Au départ, The Youngbloods était une formation de la côte Est, qui quitta New York en 1967 après y avoir enregistré deux albums cette même-année. Sur le premier subsiste par moments une influence pop londonienne, qui trahit à n’en pas douter les références des musiciens, (The Beatles, Moby Grape) mais il s'y développe par ailleurs une identité forte, comme au travers du single Get Together, une reprise de Chet Powers (que vous avez pu entendre sur la Bande Originale de Forrest Gump, par exemple) s’édifiant sur une douce contemplation, et renforcée par un refrain puissant. Sur leur deuxième rejeton, "Earth Music," c'est avec des morceaux tels que All My Dreams Blue, ou encore l’excellent Sugar Babe que les Youngbloods frappent fort (ces chansons-là convaincraient le plus fervent opposant à la cause hippie). Et puis, ils ne se privent pas de certaines petites blagues envers l'auditeur, comme avec The Wine Song, au titre, je pense, suffisamment explicite.

(Get Together)

Leur troisième album, "Elephant Mountain," sortit en 1969, après l'installation du groupe à San Francisco et la production en ressort plus épurée, avec des sonorités encore plus attachantes, des rythmes encore plus posés, et se rapproche ainsi de l'easy-listening (On Sir Francis Drake, avec cette fameuse blague de Young au tout début). Pour autant, le groupe évite de trop s'éloigner de ses racines blues, et on trouve même des lueurs bossa-nova délicieuses, avec Sunlight, et son épilogue, Double Sunlight. Et puis, quand l'auditeur est guidé vers la sortie par six minutes et demie d’easy-listening presque naïve, d’une rare pureté (Ride The Wind), alors on peut dire sans trop craindre de se tromper que l'exode vers l'Ouest aura été une réussite et que les Youngbloods n’y ont rien perdu de leur originalité, ni de leur créativité. Cette traversée du pays entraina cependant la perte du guitariste Jerry Corbitt, qui fit sécession durant les enregistrements de l’album. Et visiblement, le coup fut assez rude à encaisser pour le trio restant.

(Sunlight)

En effet, l’écoute de "Good and Dusty," sorti en 1971 après la parution de deux albums live, s’avère différente. On y trouve un peu plus de blues, un peu moins de folk, bien qu’Hippie From Olema No. 5 et Will The Circle Be Unbroken soient présents, et cela reste dans l'ensemble un peu moins dynamique, un peu moins frais. En somme, c’est une partie de l’identité propre au groupe qui semble s’être évaporée avec le départ de Corbitt, et lorsqu'arrive 1972, les choses tournent au vinaigre avec la sortied'un ultime album, "High On A Ridgetop," qui fut un implacable échec commercial après lequel les Youngbloods se séparèrent.

De leur discographie inégale, il faut retenir qu'au sein d'une assemblée en surnombre, les Youngbloods ont su faire leur trou, s'immisçant au mieux dans le bain du San Francisco Sound. Ils illustrent aussi un phénomène assez intéressant, celui de la transition Est-Ouest. Ce n'est qu'après avoir traversé le pays pour se rapprocher du Pacifique et de "leur" scène que les influences britanniques se sont dissipées, et dès 69 et "Elephant Mountain", leurs compositions prirent un net virage. C'est alors l'autre visage des Youngbloods qui se révèle, lorsqu'ils deviennent un groupe ensoleillé. Il est vrai que l'on naviguerait presque dans les eaux du easy listening, mais il n'est jamais question de naïveté, mais plutôt de l'envie la plus pure d'offrir une musique agréable, tranquille. Forts de leur expérience New Yorkaise, Young et sa bande détenaient un recul, par rapport à la scène hippie grouillante, et cette richesse fit leur particularité. Aucune velléité révolutionnaire, pas d'ambitions expérimentales, tout se fit dans la simplicité, et voilà pourquoi The Youngbloods semblaient tous désignés pour amorcer l'approche de ce bouillonnement musical, dont j'aurai le plaisir de vous reparler, dans un tout petit mois, au travers d'un autre groupe.

D'ici là, bonne route!




(1) Barney Hoskyns Beneath the diamond sky,Haight-Ashbury 1965-1970 Simon Schuster Editions, New-York 1997

mardi 24 novembre 2009

[Réveille Matin] The Lovin' Spoonful - Summer In The City

Plan sur le pont de Brooklyn, tôt le matin. L'image est très sombre, mais rouge. On sent que c'est l'été. Bruits des voitures. Un orgue résonne soudain, étrange et sombre. Le coup de batterie fait apparaître les mots "DIE HARD" en petit à l'écran. Puis un autre coup de batterie amplifié et BAM, un grand "WITH A VENGEANCE" barre l'image. Enfin, hop, dernier coup de batterie, changement de plan, sur New York et ça démarre. La musique est détendue, groovy, un peu mélancolique au départ, le chanteur lance "Hot town ! Summer in the city !" Rapidement, on arrive sur le refrain, et là, ça devient plus lumineux, on sent les sixties et la chaleur. A l'écran, vous avez des plans sur les gens de la ville : ils sortent du métro, ils arrosent le trottoir, ils sont dans les embouteillages. Tout est parfait. Puis un plan insistant sur un grand magasin. Subitement, la musique s'arrête, et BOUM, tout explose, il y avait une bombe, un camion s'envole, un vrai raffut, beaucoup de fumée et hop, le film est lancé.


Vous savez pas l'effet que m'a fait ce début quand je l'ai vu pour la première fois, avec cette musique trop cool et inconnue derrière, à 9-10 ans sur Laserdisc (oui, on avait des laserdisc à la maison, les vynils du cinéma, mais en moins cool ; je ne crois pas qu'on puisse dire que "le laserdisc rend l'image plus chaude," ou être friand du "plaisir de changer de face en plein milieu du film"). Je passais des heures à me mater ce troisième épisode de Die Hard en boucle. Bruce Willis était parfait et avait des répliques cinglantes. Il formait un duo génial avec Samuel L. Jackson. Et puis Jeremy Irons en méchant sadique qui fait des devinettes (je me souviens toujours par coeur des énigmes et de leurs réponses, et je les refaisais à des amis dans la cour de récréation), c'était parfait pour moi. Et ça l'est toujours, ce film repassant sur mon lecteur dvd au moins deux fois par an, restant le meilleur film d'action du monde.

Récemment, j'ai écouté un best-of des Lovin' Spoonful, un groupe un peu quelconque des 60's à qui on doit une poignée de morceaux convenables sur des albums oubliables qui n'ont rien révolutionnés, mais l'ont au moins fait gentiment. Et je suis tombé par hasard sur leur morceau "Summer In The City". Choc considérable. Les images qui reviennent en tête, instantanément, liées à jamais à la musique. "Mais ! Mais ! Je connais ça !" Et, soudain, le morceau en lui-même qui apparaît comme un tube ultime, léger et magique. La façon dont l'autoharpe sublime le refrain. Et surtout, la découverte du reste du morceau. Bah oui, dans le film, le morceau se coupe brutalement sur l'explosion et il n'y a pas la suite. Il se coupe quand le chanteur dit "bus stop" pour être précis. Imaginez un peu cette sensation tordue : un morceau dont on connaît le début par cœur, mais dont on n'a jamais écouté la fin. Le petit break à la rythmique rigolote avec les bruits de voitures qui klaxonnent rajoutés pour créer une atmosphère d'été dans la ville. Et qui donne sur le retour du clavier principal et sa descente harmonique délicieuse. Et oui, il manquait tout ça. Mais maintenant, c'est réparé, allez écouter ça dans le player pour commencer la journée de manière merveilleuse. Et en l'écoutant, réfléchissez à ça : vous avez un bidon de 3 gallons et un bidon de 5 gallons, les deux n'étant pas gradués. Comment faire pour avoir 4 gallons d'eau tout juste dans le bidon de 5 ? Vous avez 3 minutes.


Emilien.

jeudi 29 octobre 2009

[Réveille Matin] The Beatles - Got to Get You Into My Life

Bonjour à tous ! Ce matin, pas d'archéologie dans les tréfonds soldés des disquaires indépendants à la recherche de la perle rare, on ne prend pas de risques et on se réveille en terrain connu de tous, à savoir l'Angleterre beatlemaniaque de 1966 où quatre liverpuldiens à l'accent prolo viennent d'enchaîner en trois ans six albums (qui sont bien plus que des variations peu inspirées sur les mots you, her, me et love, ce à quoi on les réduit trop souvent), deux films et un nombre titanesque de tournées. Ce qui, vous l'avouerez, n'est pas franchement le plus aéré des emplois du temps.

La musique pop commence à sentir bon l'herbe qui rend sot quand les Beatles sortent l'album de la décennie, si ce n'est du siècle. Certes "Rubber Soul" l'année précedente, en plus d'être le premier chef d'oeuvre du groupe, était déjà un sacré défi lancé à la pop, mais "Revolver" fait bien plus que poursuivre cette évolution. Véritable kaleidoscope de styles et de thèmes, on y voit le groupe jongler de manière virtuose avec tous les moyens de production mis à sa disposition afin de rendre chaque morceau inventif, riche et complet. Malgré ses influences, l'album est absolument unique quand bien même son spectre musical s'étend du rock rageur à la pop song solaire, de la fable sociale rêche à la comptine enfantine, de la ballade amoureuse au psychédélisme le plus dense.



(Got to Get You Into My Life)

Et parmi tout ce foutoir, Got to Get You Into My Life, petit tube soul pop (les labels Stax et Motown sont des inspirations revendiquées) à la production épurée, mais pourtant plein d'idées dans les nuances de la batterie métronomique de Ringo, dans les surgissements inattendus de guitares psychédéliques ou même dans la maîtrise partielle du chant de Paul. En tant que fanatique du groupe en phase terminale, pensez bien que je n'ai pas hésité quand j'ai vu débarquer les superbes éditions remasterisées qui ont fait grand foin il y a bientôt deux mois. Je vous propose donc ce tube cuivré dans sa version mono, évidemment essentielle pour les maniaques en tous genres puisque son fade out plus lent offre sept secondes de trompettes hurlantes supplémentaires.


Thelonius.