C'est entendu.

vendredi 25 novembre 2011

[Fallait que ça sorte] Les Pourvoyeurs de Powerpoptimisme #4

Souvenez-vous, après l'énorme succès des Knack, tous les labels voulurent trouver LEUR groupe powerpop pour se lancer sur un marché de plus en plus saturé par des dandys à cravates fines... Il fallait que ça arrive : la crise ! Pour encore compliquer les choses les 80’s marquent un énorme bond en avant en matière de technologie dans la musique, le digital n'est plus très loin mais surtout les synthèses sonores ont beaucoup progressé en réalisme : la tentation de remplacer des musiciens payés par des machines est plus que séduisante dans la tête de nombreux pontes de l’industrie. Au début, les synthétiseurs étaient l'apanage de pionniers, de frondeurs, d’expérimentateurs, mais lorsque certains de ces aventuriers (The Human League, Depeche Mode…) parviennent à rencontrer le succès populaire avec des sonorités synthétiques modernes il n'en faut pas plus pour attirer dans l'arène les plus cyniques des producteurs.


(The Human League)

Loin de moi l'idée de vouloir confronter guitares et synthés, ce n'est pas du tout le propos : l'un et l'autre ont une personnalité propre et ne sont pas substituables. Or, c'est précisément dans ce travers que s'est engouffrée une bonne partie de la production 80’s mainstream : vouloir remplacer presque à l'identique des instruments analogiques par de l'électronique. Quand les premiers groupes électro-pop cherchaient à explorer de nouvelles sonorités, les opportunistes faiseurs de modes voulurent au contraire s'approcher des sons déjà existants, comme les trompettes ou les pianos électriques. On croit alors, dans les hautes sphères, dur comme fer à des productions qui ne nécessiteraient plus ces coûteux musiciens pour venir poser une batterie ou une ligne de basse, alors que suffisent un compositeur et une chanteuse, si possible bien gaulée, un peu de studio d'enregistrement et beaucoup de studio photo et vidéo... C'est l'ère de MTV, des premiers vidéo-clips couteux et élaborés, avec leurs mini-scénarios aux montages agressifs inspirés de la pub, histoire d'être efficace et de bien claquer. Les chaines musicales vidéos détrônent les radios dans le cœur des adolescents. Les groupes ne peuvent plus se contenter de faire de la super musique, il faut qu'ils présentent bien. Les Beatles étaient certes déjà en partie populaires pour les mêmes raisons mais avec MTV c'est comme si l'on passait de l'artisanat à l'industrie lourde : un énorme précipice.

(Donna Summer et Giorgio Moroder)

Ce contexte est difficile pour la pop à guitares. Il est presque devenu ringard alors que de faire jouer une 6 cordes sur un morceau ; désormais ce qu’il faut c’est un keytar, des reebok freestyle aux pieds et un brushing sur la tête. Pourtant, loin des grands médias la résistance va s'organiser. Le début des 80’s marque une sorte de rupture pour la pop à guitare : on a essayé de faire de la bonne musique et ça ne prend pas ? Tant pis, ne cherchons plus à séduire tout le monde et faisons les choses dans notre coin à notre petite échelle... REM et les Smiths ne sont certes pas les inventeurs de la démarche indie mais ils donnent une sorte de légitimité à cette musique ainsi qu'une relative popularité. Des tas de gens ne se reconnaissent pas dans la pop mainstream déshumanisée des Bananarama, Phil Collins et autres suppôts de la médiocrité, mais ils se retrouvent dans ces deux groupes qui deviennent une alternative crédible. En 1983 quel est le vrai défi ? Imiter des cuivres sur un DX7 ou bien tisser des arpèges carillonnants sur sa Rickenbacker ? Le début des années 80 marque l'émergence de multiples courants indie comme le Paisley Underground ou la twee-pop et si presque rien ne transpire jusqu'au grand public à part un tube de temps en temps (le Walk like an Egyptian des Bangles, par exemple), chez les passionnés c'est une ébullition de groupes. Sont-ils à la hauteur de leurs aînés ? Rien n'est moins sûr mais le propos n'est pas là. Ce qu'il faut, c'est monter des franchises, défendre la musique que l'on aime face à l'insipide soupe de MTV. Dans la tourmente, quelques francs tireurs mais aussi de véritables scènes vont voir le jour et assurer l'intérim entre les anciens et le futur. Ces héritiers feront plus que gérer les actifs de la powerpop, ils y incluront aussi leur propre sensibilité (souvent d'obédience 60's). Certains se révélant même être des formations essentielles du genre.



Powerpoptimisme #4 : "Résistance humaine au pays de MTV", les années 80


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LES FRANCS-TIREURS


(The Smithereens - Behind the Wall of Sleep)

Les Smithereens font figure d'exception dans le paysage musical des radios étudiantes 80's avec leur rock terriblement classique et pétri d'influences 60's. Pat Dinizio ne s'est jamais caché de son admiration pour les Fab Four et les Smithereens ont été d'excellents messagers du groupe liverpuldien. Dans un journal local le jeune Pat passe une annonce au début de la décennie, après avoir écumé des covers bands divers et variés (notamment des groupes de metal !) il veut monter une formation pour jouer une musique qui lui ressemble : Buddy Holly, Costello, Nick Lowe, les Clash. Fin 1980 sort le premier EP des nouvellement formés Smithereens, mais il faudra attendre 1986 et l'album "Especially for You" produit par Don Dixon (*1) pour que le groupe sorte de son statut de "favori-des-critiques-mais-inconnu-du-public". Ce disque est une totale réussite, tout comme son successeur le presque-aussi-bien "Green Thoughts" sorti en 1988. La suite est décevante mais le groupe continuera de sortir aux cours des années des albums fidèles à leurs racines et profondément honnêtes.




(The Sneetches - A Good Thing)

Autres outsiders dans l'univers college rock des années 80 les Sneetches sont pourtant l'un des plus beaux trésors cachés de cette époque. Ce groupe qui continuera d'exister au début de la décennie suivante sort plusieurs disques remarquables (*2) notamment sur le label Creation Records (*3) en Angleterre : excusez du peu ! Originaires de San Francisco mais fortement anglophiles (un batteur anglais, tout comme le second bassiste Alec Palao) , les Sneetches prennent forme vers 1985. Leur goût pour les reprises (Colin Blunstone, Buffalo Springfield, Easybeats, Monochrome Set, Zombies etc.) ne les empêche pas d'enregistrer des titres originaux qui n'ont pas à rougir face à ces monuments. Le succès les a éludé et c'est terriblement injuste car aussi bien sur des morceaux nerveux comme In your car que sur un terrain plus pop comme avec le très raffiné et particulièrement émouvant A good thing, les Sneetches étaient un vrai bijou qui n'a pas trouvé son écrin. Chose plutôt amusante Alec Palao (bassiste non-fondateur) fera par la suite carrière dans la réédition de vieux disques des années 60. Autre détail rigolo, Chris Wilson, membre éminent des Flamin Groovies (et des Barracudas) enregistrera aussi quelques morceaux avec eux.




(The Barracudas - His last Summer)

Formés quelque part à Londres autour du duo Jeremy Gluck et Robin Wills et de leur amour pour le garage rock à la fin des 70's, les Barracudas sortent leur premier single en 1979. Au début des années 80 ils se lancent dans la surf music dynamitée à la powerpop à mi chemin entre le punk et les Beach Boys et ils obtiennent un petit succès dans leur île avec le délicieusement rétro Summer fun. En 1982 leur premier album "Drop out with" parachève le délire surf avec des titres comme His last Summer ou Surfers are back. A coté de ses délires plagistes, le groupe signe des classiques powerpop comme le génial I wish it could be 1965 again ou I can't pretend et des titres plus sombres et garage comme I saw my death in a dream last night (*4). Les albums suivants sans être aussi irrésistiblement catchy et addictifs sont très bons, mais ils sont plus sérieux, le délire surf a été abandonné, les Barracudas officient alors dans un style powerpop / garage aux teintes folk rock. Robin Wills produira en parallèle quelques disques dont l'excellente compilation françaises "Snapshots" qui comporte des titres de Gamine, Coronados, ou encore les géniales Calamités.

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OCEANIE


Si ces trois groupes étaient assez isolés ou à part dans leur environnement, l'Australie peut se targuer d'avoir développé quelque chose se rapprochant d'une scène, ou du moins d'un tir groupé de groupes powerpop de bonne tenue.



(Sunnyboys - Alone with you)

Les Sunnyboys débarquent au début des années 80 avec deux albums sous le bras (1981 et 1982) qui rentreront tous les deux dans le top 30 australien. Leur musique est élégante et fière, et touche au sublime sur des titres comme Alone with you tonight. Ils sont les cousins éloignés géographiquement mais pas musicalement de formations comme les dB's ou les Bongos, capables de mettre un peu d'angle dans les rondeurs de la powerpop sans en trahir la substance. Trois ans plus tard, les Hoodoo Gurus sortiront aussi deux albums populaires et réussis, remplis de tubes powerpop aux refrains imparables. C'est ensuite Dom Mariani qui va se révéler être l'une des grandes figures du genre via ses projets successifs. Les Stems démarrent très garage mais dévient progressivement vers le grand amour de l'australo-italien : la powerpop, et leur premier et unique album ("At First Sight Violets Are Blue" sorti en 1987) confirme cette dualité. Deux bombes feront fondre les cœurs les plus froids: le morceau titre At first sight et son riff carillonnant de rickenbacker et le non moins génial For always. Ensuite Dom Mariani va multiplier les projets comme DM3 ou les Someloves, peut-être sa contribution la plus notable à la powerpop, aidé par Darry Mather et Mitch Easter (à la production) le groupe sort un unique et excellent album en 1989 ("Something or other"), à recommander aux amateurs.


(The Stems - At first sight)



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ETATS UNIS


(The dB's - Black & White)

Je ne m'en suis aperçu que très récemment : le second album de Big Troubles (chez Slumberland) est produit par Mitch Easter. A l'écoute pas de doute possible, le son Easter dans toute sa gloire et son emphase : une grosse production qui, loin de dénaturer la musique, donne puissance et éclat à ces (très bonnes) mélodies pop. Autant dire que Mitch n'est pas le genre de producteur à laisser indifférent, on aime ou on déteste mais dans tous les cas on ne peut pas nier que le bonhomme a un son bien à lui. Après s'être fait un nom en produisant le premier EP de REM, Mitch Easter parvient à faire signer son propre groupe, Let's Active sur IRS. Suivront trois albums, tous intéressants, qui exposent les principes de production et la conception de la pop d'Easter. Ces disques un peu inégaux contiennent de jolis moments et méritent que l'on s'y penche. Avant d'avoir son propre groupe, Easter fut aussi dans les Sneakers avec un certain Chris Stamey, qui allait par la suite fonder l'un des plus beaux groupes powerpop des 80s' : les merveilleux dB's. Les dB's jouent dans la cour des grands, et Black & white est une chanson absolument géniale avec cette guitare à la fin (qui me rend littéralement fou, c'est pour moi l'un des meilleurs titres à faire écouter lorsque me vient l'envie de démontrer ce qui me fait vibrer à propos des six cordes). Le groupe se forme à la fin des années 70 et le premier single (crédité à Chris Stamey & the dB's) parait en 1978. Cette même année, Peter Holsapple rejoint Stamey et c'est comme si Lennon avait trouvé son Macca : Holsapple amènera les mélodies mémorables, en passeur d'une certaine tradition tandis que Stamey sera l'avant-gardiste, l'aventureux. L'association de ces deux talents fait des étincelles et deux magnifiques albums : "Stands for Decibels" (1981) et "Repercussion" (1982). Puis Stamey part et Holsapple garde le cap avec deux autres disques, réussis mais pas aussi mémorables. Le premier figure encore aujourd'hui dans les grands classiques de l'indie rock. Figurez-vous que pas plus tard qu'il y a un mois, un mec de Clap your hands and Say Yeah le citait comme l'un de ses disques fétiches : il faut dire que les dB's ont su trouver un équilibre fascinant entre modernité et mélodies intemporelles, créant une musique nouvelle mais consciente de l'héritage qu'elle porte dans ses gènes.

Les Bongos, d'Hoboken (*6) sont un peu moins connus et cités mais leur premier album "Drums along Hudson" est un chef d'œuvre de pop moderne, pas si loin spirituellement que ça des dB's. Si l'architecture de ces derniers est construite autour de deux personnalités distinctes, l'ossature des Bongos repose en grande partie sur les épaules du talentueux Richard Barone. Le groupe tourne dans les mêmes clubs que les Feelies et partage avec eux une philosophie oblique et déviante de la pop, mais les Bongos gardent peut être plus d'affinité avec le format ramassé, ces chansons balancées dans la gueule en trois minutes montre en main. La musique des Bongos est fascinante, elle garde toute sa hargne sans jamais négliger les mélodies ni l'inventivité. "Drums along Hudson" souffre de ne pas toujours être cohérent (le disque est la réunion de plusieurs singles et EPs), mais ce petit défaut est bien vite compensé par l'avalanche de chansons monstrueuses comme In the Congo, Clay midget, Glow in the dark ou Zebra Club (*7). La suite ne sera pas aussi exceptionnelle mais peu importe car ce premier album est un véritable trésor caché de la pop 80's qui ne demande qu'à être redécouvert.

Mitch Easter a aussi l'occasion de travailler (tout comme Richard Barone des Bongos d'ailleurs !) avec les Windbreakers une formation de Jackson dans le Missouri. Autour du duo de songwritters Bobby Sutliff et Tim Lee le groupe a sorti 5 albums entre 1985 et 1991 dont les meilleurs morceaux sont compilés sur la très bonne anthologie "Time Machine" sortie chez Paisley Pop en 2003. Les Windbreakers y proposent une power/jangle-pop de très bonne qualité qui plaira aux amateurs du son Mitch Easter bien que tous les morceaux ne soient pas produits avec la contribution de ce dernier.


(The Bongos - Clay Midget)


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EPILOGUE

Durant les années 80 la powerpop s'est aussi vu associée à l'éphémère mais passionnante scène Paisley Underground. Les groupes de ce tout petit mouvement étaient basés à Los Angeles et ses alentours, ils étaient tous fanatiques à des degrés divers de pop 60’s et s'en sont donc tous inspirés. Si certains sont allés du coté du Velvet Underground (comme les géniaux The Dream Syndicate) ou vers le country-rock terroir (comme les Long Ryders en bons héritiers de Gram Parsons) d'autres ont exploré des voies plus proches de la powerpop et notamment les 3 O' Clock de Michael Quercio (*8) sur des titres comme Jet Fighter, ou encore les Bangles. Ces dernières étaient gagas des Beatles, des Merry-Go-Round d'Emitt Rhodes (*9) ou encore de Big Star (*10) et leur premier album est précisément la rencontre de tout ces sons, un très très bon disque de pop, loin de l'image "papier glacé" que l'on peut se faire du groupe généralement. La suite est il faut le dire plus aléatoire mais Susanna Hoffs n'a jamais cessé d'aimer la bonne musique comme en témoigne sa collaboration avec Matthew Sweet (*11).

Les 80’s furent donc vous l'avez compris une période de transition pour la powerpop, une époque de changements, de nouvelles approches en guise de transition avant un second âge d'or. Mais qui se serait douté qu’il surviendrait en 1989 ?


Alex Twist


(*1) : Don Dixon est un des grands producteurs indie des années 80. Outre les Smithereens il a contribué au son de REM, Guadalcanal Diary ou encore Let's Active.

(*2) : Discographie principale du groupe:
- "Lights Out with The Sneetches" (1988)
- "Sometimes that's all we have" (1989)
- "Slow" (1990)
- "Blow out the Sun" (1994)

(*3)
: Creation Records fut par la suite le label qui relança la pop britannique grand public avec notamment les Stone Roses (et plus tard Oasis).

(*4)
: J'offre un caramel mou à celui qui a capté la référence !

(*5)
: Où est Charly ?

(*6)
: Comme les Feelies ou les Individuals (ces derniers ayant été produits par l'un des dB's justement) ou Yo La Tengo plus tard.

(*7)
: Dont il existe une excellente reprise par le groupe bordelais Gamine.

(*8)
: Danny Bennair, le batteur du premier album n'est autre que celui des fameux The Quick. Jason Falkner sera dans le line-up vers la fin du groupe avant de contribuer à former Jellyfish.

(*9)
: Les Bangles ont repris Live qui est sur le premier album, dans une super version, largement à la hauteur de l'originale.

(*10)
: Les Bangles ont repris September gurls sur leur second album, dans une version pas trop mal, mais en dessous de l'originale. Elles ont connu Big Star par l'intermédiaire du groupe angelno The Pop que nous avions mentionné dans une précédente partie.

(*11)
: Dont on va reparler dans notre prochaine partie consacrée aux 90's !



Résistance humaine dans les années 80, la mixtape :

01 Three O Clock - Jet Fighter
02 The Sneetches - In my Car
03 Let's Active - Everyword means No
04 Hoodoo Gurus - I want you back
05 The Stems - at first sight
06 Sunnyboys - alone with you tonight
07 The dB's - black & white
08 The Bongos - Clay Midget
09 The Barracudas - I Can't Pretend
10 Windbreakers - I'll Be There

4 commentaires:

  1. J'aime beaucoup les dB's, je les avais découvert à travers une chouette compilation de musique alternative 80's :

    http://rateyourmusic.com/release/comp/various_artists_f2/left_of_the_dial__dispatches_from_the_80s_underground/

    Et sinon, j'avais jamais vu à quoi ressemblaient les Smithereens, et diantre, si le chanteur des Hoodoo Gurus ressemblait à Pierre Palmade, celui des Smithereens ressemblait plutôt à... rien.:D

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  2. Euh, les Stone Roses n'ont jamais été sur Creation, mais sur Silverstone puis Geffen. Voilà.

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  3. Bien vu ! Il s'agit d'une coquille et il s'agissait bien sûr de Primal Scream.

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  4. Super dossier, Alex Twist ! Ça donne envie de réécouter plein de trucs !

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