C'est entendu.

mercredi 2 mars 2011

[Fallait que ça sorte] Blind date avec l'Océanie des années 80 : Hoodoo Gurus au firmament de la pop des antipodes

Cela vous est-il déjà arrivé d'entendre la voix d'un chanteur et de vous imaginer son visage, instantanément, de le faire vôtre, tout comme chacun construit le visage d'un même personnage à la lecture d'un roman, suivant le principe acousmatique dont avait parlé Julien Masure il y a quelques semaines ? Oh allez, je suis certain que si. Prenez Bradford Cox, de Deerhunter, ou James Murphy de LCD Soundsystem. Je suis certain que comme moi, si vous avez découvert la musique avant le groupe vous les imaginiez autrement, pas vrai ? C'est exactement comme ça qu'a commencé mon aventure avec les Hoodoo Gurus, comme un rendez-vous à l'aveugle.


(Like, now - Wipeout !)

En 2005 Like, now - Wipeout ! figurait (avec I want you back) sur la mine d'or qu'est la compilation en quatre volumes "Children of Nuggets Original Artyfacts From the Second Psychedelic Era". Cette gigantesque mixtape se donnait pour ambition de documenter la pop psychédélique et garage directement héritée des pionniers des années 60, tous ces groupes en "The" que Lenny Kaye avait soigneusement assemblé sur les "Nuggets". Le résultat, un bel échantillon de la production anglophone plus ou moins underground entre 1976 et 1996, avait le mérite de placer côte à côté la power pop et le Paisley underground, les Smithereens et les La's, les Flamin' Groovies et Julian Cope, et au milieu de cette bibliothèque j'ai découvert un groupe Australien, Hoodoo Gurus.

Le fameux coffret "Children of Nuggets"

A l'écoute des deux chansons des Gurus présents sur la compilation, s'est alors formée dans mon subconscient l'image d'un très jeune éphèbe au visage enluminé, surmonté d'une chevelure plaquée en arrière, en accord avec des fringues elles aussi représentatives d'un amour (très à la mode au milieu des années 80, de Bashung à Jeffrey Lee Pierce en passant par Alan Vega et Huey Lewis) retrouvé pour les fifties américaines et leur lot de rock'n roll glamour. Une sorte de beau gosse stéréotypé digne des séries AB1 (Hélène et les garçons), finalement. Voilà Dave Faulkner, et à travers lui tout le groupe, tel que je le dessinais, avec pour seul modèle le son de sa voix.

Hoodoo Gurus au début des années 80. A droite, Dave Faulkner.

Évidemment, la réalité était toute autre (et tant mieux). Âgé de 25 ans en 1982, Faulkner est un grand type, sec, le menton creux, les cheveux d'abord portés à la Brian Jones puis très vite laissés libres de boucler (avant la calvitie des années suivantes), plus proche du style des ancêtres troglodytes issus de garages familiaux que d'une sitcom branchée. Autant pour les impressions trompeuses.

Au mois d'Août 1982, les Gurus première mouture publient leur tout premier single, Leilani, l'histoire d'un jeune surfeur amoureux de la fille d'un chef de tribu primitive (la chanson est bourrée d'anachronisme mais touchante de naïveté) et dont le couple est brisé lorsque Leilani se laisse sacrifier par son peuple en offrande à quelque Dieu, plongée dans la lave d'un volcan.

En dépit du peu de maturité de ses paroles, la chanson n'est pas sans intérêt puisque la new wave servant de socle à la musique des Gurus, et influencée par des groupes américains comme X, le Gun Club ou les Flamin' Groovies, est servie accompagnée d'une dose d'humour potache et de références culturelles désuettes que ces groupes ne proposent pas. Qui plus est la durée inhabituelle (plus de cinq minutes) de ce single l'éloigne des standards établis quelques années plus tôt par le punk et le jeu des musiciens lors du sacrifice de la princesse (imitant les "sauvages" en beuglant des "Katoomba, Hey! Macumbah, Ho! / Umgawah! Hey! Ho! Hey-eh! Ah..." plutôt marrants) donne une dimension supplémentaire à ce qui n'est d'emblée pas qu'un "autre groupe de new wave".


(Leilani)

Lancés dans l'enregistrement de leur premier album, les Gurus préparent sa sortie avec la publication de deux singles supplémentaires, qui en sont issus. Sorti en Juin 1983, le plus conventionnel (et un brin rasoir) Tojo, nommé d'après une bombe que les japonais prévoyaient de lancer sur Sydney pendant la Seconde Guerre Mondiale, a au moins deux mérites : d'abord il termine de placer les Gurus comme un groupe australien, certes influencé par l'Occident mais voué à ne pas copier ses modèles, et ensuite il est l'inauguration du nouveau look de Dave Faulkner, probablement inspiré par Siouxsie Sioux et Robert Smith. Malgré tout, le single est bien moins attractif que Leilani, et en Octobre 1983, My girl continue d'assombrir l'espoir. Cette ballade s'adresse à un chien, ou plutôt une chienne, et son clip ne fait qu'accentuer la mièvrerie qu'elle empeste. A partir de là, je suppose (puisqu'à l'époque je ne marchais pas) que les gens ont dû commencer à se poser des questions. C'est facile, aujourd'hui, de juger d'un album ou d'un groupe en tenant pour acquis l'intégralité de leur musique, mais si l'on se replace dans le contexte (et c'est là que c'est excitant), je dois dire que j'aurais probablement lâché l'affaire à ce moment-là...

... pour mieux devenir accro quelques mois plus tard, lorsqu'un troisième single extrait de l'album parait, juste avant ce dernier.



(I want you back)

Voué à devenir le plus grand succès des Gurus (et l'un des rares singles océaniens à avoir été jusqu'à traverser le Pacifique pour atteindre les charts américaines), I want you back est la preuve que Faulkner pouvait écrire une chanson d'amour autrement plus convaincante que My Girl, plus réaliste que Leilani, et si vous me passer l'expression, plus couillue. Les cris de rage poussés sur le refrain et les très belles harmonies vocales sont la démonstration enfin pleinement convaincante que les Gurus n'étaient pas inoffensifs. Truffé de dinosaures en pâte à modeler, le clip annonçait quant à lui la thématique de l'album :


"Stoneage Romeos" sort dans la foulée d'I want you back, au début de l'été 1984. On y retrouve les trois singles ainsi qu'une version retravaillée (et malheureusement moins percussive) de Leilani. Tout est dans le titre, les Gurus sont des Roméos de l'Age de Pierre (un hommage à un sketch des trois Stooges), leur rock'n roll sous réverbération intensive rentre dans le lard du sexe opposé tout en se laissant divaguer autour de thèmes aussi peu intellectuels que les résume Dave Faulkner dès les premiers mots de la chanson qui ouvre le LP, (Let's all) Turn on :

"Shake some action/Psychotic reaction/No satisfaction/Sky pilot, Sky Saxon/That's what I like/Blitzkrieg bop/To the jailhouse rock/Stop stop, at the hop/Do the bluejean bop/That's what I like !"
Après Leilani, le premier changement de line-up avait vu partir Roddy Radalj et Kimble Rendall au profit d'un ex-membre des Hitmen (un combo punk de Sydney), Brad Shepherd (que l'on voit déguisé en Robert Smith dans les clips des trois récents singles). Le son du groupe s'en voit altéré et si un tiers des chansons sur l'album datent de la première mouture du groupe, une bonne partie des nouveaux morceaux s'appliquent à conserver l'énergie rock'n roll tout en diversifiant le son des guitares (cristallines sur I want you back, vintage sur Arthur, limite hard rock sur I was a kamikaze pilot). Peu de temps après, le batteur original, James Baker, est remplacé par un autre ex-Hitmen, Mark Kingsmill, laissant après le départ de Clyde Bramley (basse) Faulkner comme seul élément stable de 1988 à 2011.

La seconde mouture des Gurus, avec James Baker (en bas), Clyde Bramley (en haut) et Brad Shepherd (à droite).


En Juin 1985, de retour après un énorme succès en Australie, des prix et des tas de concerts, les Gurus ont un nouvel album en préparation, qui sera lui aussi accompagné de quatre singles mais puisqu'il n'est plus nécessaire de faire connaitre le groupe à un public déjà acquis, un seul paraitra avant la sortie du LP : Bittersweet.



Étoffé de quelques astuces overdubbées, la formule reste la même qu'avec I want you back, soit une power pop à la fois très power (écoutez résonner la batterie lorsque la chanson débute) et très pop (les harmonies vocales marchent toujours aussi bien sur le refrain). Histoire d'amour déçu, Bittersweet pose les fondations du deuxième album, "Mars needs guitars !" : toujours plus puissant, le son des Gurus sera néanmoins sensiblement le même que sur "Stoneage Romeos".



Une nouvelle fois, l'amour de Faulkner pour la contre-culture saute aux yeux puisque le titre de l'album est une référence au film de science fiction de 1967 "Mars needs women", tout comme la pochette de "Stoneage Romeos" ramenait à "Un million d'années avant J.C.", un film fantastique d'aventure de 1966 avec Raquel Welch dans le rôle principal. C'est moins une collection de rocks endiablés à la façon du Sydney des 80's qui sont joués, plutôt qu'une pléiade de tubes pop aussi puissants qu'efficaces. Poison Pen, un autre single, raconte le divorce comme si le blues (on y entend même de l'harmonica) n'avait jamais été la musique de la souffrance subie et qu'au contraire l'espoir, la vigueur et la rébellion menaient la danse. In the wild est une violente ode à la liberté (nature, route, soleil, les thèmes riches à la contre-culture américaine des années 60) tandis qu'à la fin de l'album, Mars needs guitar ! et She retournent aux sources du rock des cavernes :
"I'm a Stoneage Romeo, I got a Spaceage Juliet / We'll take guitars to Mars and hit the discotheque, c'mon !"


(Les Gurus présentés sur MTV dans le programme The Cutting Edge, en 1985, où ils jouent In the wild puis Like, Now - Wipeout !)

Pourtant, ce statut de suite logique à "Stoneage Romeos" ne suffit pas à faire de l'album une réussite aussi éclatante que son prédécesseur. Culminant juste au-dessus de la 20ème place dans les charts australiennes et loin, très loin, aux USA, l'album ne fut pas compris à l'époque alors qu'il renferme moins de ratés et plus de subtilités que son ainé.

-----

Après ça, les Gurus ont encore enregistré quelques albums, dont le troisième ("Blow your cool") n'était pas mal du tout mais ne parvenait jamais à retrouver la flamboyance des débuts. Le groupe tourne encore aujourd'hui (cf photo de droite) et a même sorti un neuvième LP en 2010 ("Purity of essence") mais je vous avoue m'en fiche un peu. C'est peut-être une erreur mais si j'aime Hoodoo Gurus, ça n'est pas pour leur incroyable talent de composition ou quelque autre prouesse (et puis d'ailleurs même leurs premiers disques n'était pas parfaits de bout en bout, ça n'est pas la question et ça ne représente absolument pas un problème) mais bien parce que leurs deux premiers albums sont à mes yeux la preuve définitive que la pop des années 80 et ses nombreuses facettes réservent toujours une bonne surprise à qui veut bien passer outre les clichés voulant que cette décennie n'ait engendré que kitsch et autre ridicule. Il n'est pas moins essentiel aujourd'hui de réécouter les Gurus et leurs références d'ados attardés que de conserver les disques des Troggs, des Count Five ou des Germs. Et après tout, qui se fout de savoir ce que sont devenus ceux-là après deux ans d'existence ?


Joe Gonzalez

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire