Wilco a joué sur tellement de terrains qu'il est parfois difficile de les suivre partout. La constante du groupe de Jeff Tweedy a été de faire osciller ses aspirations autour du concept évanescent d'alt-country (i.e. "country alternative"). Ne cherchez pas, ce terme ne signifie rien de précis. Peut-être un jour essaierai-je d'en délimiter les contours pour vous mais pour faire simple, on parle en général d'une musique prenant ses racines dans la country&western (via la guitare acoustique, bien sûr, mais aussi les thèmes abordés faisant état de préoccupations étatsuniennes profondes, souvent en rapport avec la nature et les grands espaces, imaginez les préoccupations des cowboys et des fermiers du Kentucky et vous y serez plus ou moins) mais cuisinant ces racines jusqu'à obtenir une tambouille à la saveur proche de celle de l'indie rock américain tel qu'on le connait depuis 85. Après le double-album "Being There" en 1996, qui semblait à lui seul résumer les limites de la country "pure" entre les mains d'un groupe post-soixantehuitard, Wilco a publié ses trois meilleurs albums et a chaque fois avancé un peu plus sur le terrain de l'alternative pour délaisser celui de la véritable country. "Summerteeth" (1999) était une tentative réussie d'écrire des popsongs énergiques avec un fond de terroir. "Yankee Hotel Foxtrot" (2002) a eu l'histoire que l'on sait et que le documentaire "I am trying to break your heart" raconte brillamment et amenait la formule de l'album précédent vers davantage de subtilité ; et finalement, "A Ghost is born" (2005) allait encore beaucoup plus loin, jusqu'à pousser je ne sais plus quel critique de chez Rock&Folk à écrire quelque chose comme "oubliez Radiohead, en 2005, l'avant-garde pop c'est Wilco". Dans cet album-là, il n'y avait plus grand chose de country et la présence de Jim O'Rourke dans le groupe devait sans doute pousser Wilco à travailler avec encore plus d'ardeur les arrangements des chansons écrites par Tweedy. Après ça, il y a eu une étrange confusion entre les disques de Wilco, les tournées solo de Tweedy et les chansons de Loose Fur (un projet regroupant Tweedy, O'Rourke et le batteur de Wilco, Glenn Kotche) et si "Sky Blue Sky" (2007) n'était pas un mauvais album, il n'atteignait pas le niveau de son prédécesseur et se paumait un peu dans l'impasse d'un jusqu'au boutisme qui ne ravit pas vraiment les fans. "Wilco (the Album)" (2009) ne fut ensuite qu'un album mineur, beaucoup plus direct, marqué par un songwriting en panne et un son pas aussi emballant. Wilco a semble-t-il décidé en 2011 de changer de stratégie.
(Art of Almost, chez David Letterman)
Que ce soit pour plaire à ceux qui préfèrent leur Wilco lorsqu'il expérimente ou par pure poussée testiculaire prononcée, le groupe a choisi de faire débuter le disque avec les sept minutes étonnantes d'Art of Almost, l'une des meilleures chansons du groupe depuis le Spiders (Kidsmoke) de 2005. De légères touches d'électronique, un groove permanent mené par la basse de John Stirrat et un Tweedy comme on l'aime : cool et nasal, proche de nous et en même temps salement charismatique. La chanson ne s'arrête pas là, d'ailleurs, puisqu'après l'irruption de cordes à mi-parcours et un break, le guitariste Nels Cline lance la machine Wilco (qui reste un monstre rock sur scène) avec force guitare tandis que Kotche cogne ses fûts, pour un final bruyant et foncièrement... rock'n roll. Un coup de maitre en guise de rappel : Wilco sait faire autre chose que du Wilco et puisque le groupe s'est départi de tout label qui ne soit pas le sien (dBpm), les musiciens peuvent faire exactement ce qu'ils souhaitent.
(Dawned on me)
Or ils n'ont pas décidé de nous proposer un disque expérimental. Peut-être faut-il que des musiciens rock se sentent des choses à prouver pour se lancer dans un tel processus ? Peut-être est-ce pour cette raison qu'une fois la première chanson close, Wilco fait du Wilco, suivant le songwriting (en roues libres, jamais mauvais, jamais génial) de Tweedy qui alterne allègrement entre résidus d'alt-country pépère un brin ennuyeuses (Black Moon et ses pedal steel, Open Mind et son absence totale de surprise) et popsongs plutôt enthousiasmantes même si bien en deçà de celles de la période 99-05 (Dawned on me, Born Alone...). Ce qui sauve cet amas bien peu passionnant au demeurant, c'est surtout l'attention que le groupe derrière Tweedy a pu apporter aux détails, comme ces petites guitares supplémentaires qui greffent des mélodies ou du bruit. Chaque chanson (en dehors peut-être de Capitol City et Open Mind, très convenues) est enregistrée et habillée avec beaucoup de talent et parfois c'est tout ce qu'il suffit pour changer la donne...
(Dawned on me)
Or ils n'ont pas décidé de nous proposer un disque expérimental. Peut-être faut-il que des musiciens rock se sentent des choses à prouver pour se lancer dans un tel processus ? Peut-être est-ce pour cette raison qu'une fois la première chanson close, Wilco fait du Wilco, suivant le songwriting (en roues libres, jamais mauvais, jamais génial) de Tweedy qui alterne allègrement entre résidus d'alt-country pépère un brin ennuyeuses (Black Moon et ses pedal steel, Open Mind et son absence totale de surprise) et popsongs plutôt enthousiasmantes même si bien en deçà de celles de la période 99-05 (Dawned on me, Born Alone...). Ce qui sauve cet amas bien peu passionnant au demeurant, c'est surtout l'attention que le groupe derrière Tweedy a pu apporter aux détails, comme ces petites guitares supplémentaires qui greffent des mélodies ou du bruit. Chaque chanson (en dehors peut-être de Capitol City et Open Mind, très convenues) est enregistrée et habillée avec beaucoup de talent et parfois c'est tout ce qu'il suffit pour changer la donne...
(Wilco en studio)
... jusqu'à ce très beau finale, long de douze minutes, tout en finesse et dont les ornements (glockenspiel angélique, piano élégant et guitare acoustique), la noblesse et la subtilité rappelle d'une part le meilleur de l'écriture de Tweedy et l'intelligence de Jim O'Rourke (on pense beaucoup à son album de 2009, le fantastique "The Visitor"). Inégal mais total, aventurier et casanier tout à la fois, "The Whole Love" offre tout ce que Wilco peut nous offrir sans forcément pouvoir nous combler entièrement. Il est en tous les cas un signe de retour en forme et un symptôme de la pire affection que l'on puisse souhaiter à Wilco : le doute. C'est en doutant de soi que l'on peut aller de l'avant et Wilco a encore du chemin à parcourir, sans nul doute.
Joe Gonzalez
"cool et nasal", lol
RépondreSupprimerOn est d'accord, Art of Almost est trop bien.
RépondreSupprimerTrès chouette Art of Almost, ouais, ça faisait un bail qu'ils avaient pas sorti une chanson comme ça. Le reste, bof. Je passe tout de suite à la dernière...
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