
Pfff. Il y a tellement de choses qui ne vont pas avec cet album que l'on ne sait par où commencer, qu'il faut faire attention de ne rien laisser de côté lorsqu'il s'agit de faire la triste liste des erreurs. Au préalable, rappelons les faits brièvement :
Damon Albarn, ce héros, avait débuté le projet
Gorillaz en 1998 avec le dessinateur
Jamie Hewlett en charge du look de ce groupe imaginaire. Profitant de la mise en sourdine de
Blur, ils avaient sorti à l'orée du millénaire un premier essai curieux, mystérieux, mais d'une efficacité redoutable, mêlant dub, hip-hop et rock et sur lequel on trouvait des tubes interplanétaires auxquels des clips brillants ajoutaient un pouvoir d'hypnotisme supplémentaire. 4 ans plus tard, doublé avec "
Demon Days", sorte de monument de musique populaire moderne fatigué où des synthés régressifs croisaient avec un naturel désarmant des violons et chœurs gospels. A la clé, encore des singles cultes, des séries de concerts acclamés qui consacraient définitivement
Gorillaz en tant que projet musical aussi passionnant que grand public. D'une certaine façon,
Gorillaz élevait le niveau de la pop, avec des tubes qu'on pourrait presque qualifier d'alternatifs. Il faut bien voir que c'était pour Albarn une espèce de grande machine à faire de la pop avec invités dans laquelle il mettait ses influences variées, les imbriquait avec plus ou moins de désinvolture pour en faire quelque chose d'autre qui gardait de la cohérence. Si aujourd'hui nous subissons ce "
Plastic Beach," ce n'est pas parce que la machine est cassée. Non, la pop est là, et c'est comme l'a dit Damon la chose
"la plus pop qu'il ait jamais faite." Le problème, c'est surtout qu'il a accumulé beaucoup de choses très laides lorsqu'il a produit ses chansons, toutes plus ratées les unes que les autres, mélanges mal fichus et sans cohérence d'ambiances vulgaires, et tout ce qui fonctionnait auparavant semble avoir décidé d'échouer.

Premier constat alarmant : "
quid des tubes?" Quel étrange album vraiment. A l'issue de ces 16 morceaux, aucun ne ressort de manière franche, tout à l'air vague, quelconque, à l'image de
Stylo, non-single bizarre à la basse plus agaçante qu'entêtante et où la participation de
Bobby Womack est à la limite du supportable, entrecoupé par un
Mos Def inutile. C'est à l'image des participations de la quasi-totalité des invités d'ailleurs : c'est terrible de rassembler tant de monde et de si mal les utiliser.
Paul Simonon et
Mick Jones sur le morceau-titre ? Génial ! Pour faire quoi ? Une ligne de basse simpliste à la fin et quelques notes de guitare qu'ils ont enregistrées en une journée. C'est tout ? Eh bien oui, le reste (des synthés plutôt cool) est ruiné par un final bâclé avec des voix pitchées. Et
Mark E. Smith, ça risque d'être fameux sa participation non ? Non, Damon veut simplement un alcoolique pour chaque album maintenant, et c'est donc une tentative pour refaire comme Shaun Ryder sur
DARE, sauf qu'il ne fait que beugler deux-trois fois dans le fond d'un instrumental encore moins passionnant que le dernier Daft Punk. Rendez-vous compte, il y a tellement d'invités mal employés partout qu'il faut attendre le quatrième morceau pour
enfin entendre Damon chanter sur
Rhinestone Eyes, et l'on serait presque prêts à oublier que sa voix fatiguée passée sous pré-ampli fait redite tant on est content de l'entendre enfin. Ça n'empêche pas ses couplets d'être fades ceci dit.
(On Melancholy Hill)
L'autre énorme problème, ce sont les parties hip-hop. Alors qu'on peut encore se souvenir par cœur de la participation de Del Tha Funky Homosapien sur
Clint Eastwood, les featurings rap ici sont corrects au mieux (à l'exemple de
Mos Def sur le trop long mais un peu cool
Sweeptakes, en écoute à gauche) et affligeants au pire comme ce morceau introductif sur lequel un
Snoop Dogg erre en pilote automatique sur un vieux beat moisi et ose sortir quand même en guise d'entrée "
The Revolution will be televised" (bien vu mec, un vieux trait d'esprit déjà fait 300 fois !). Tout sombre dans la médiocrité, comme ce
Superfast Jellyfish qui fait de son mieux pour jouer le jeu d'un peu hip-hop alternatif avec ses samples, ses flows rigolards (
De La Soul, vous savez faire mieux que ça) et son refrain pourri qui sonne comme un jingle, mais échoue complètement pour donner 3 minutes de non-sens vaguement chiant.

En se plongeant dans une espèce de délire
les-80's-revues-par-les-00's, c'est comme si les morceaux étaient devenus creux pour coller à notre époque où la pop devient de plus en plus pauvre, tout ça pour faire à tout prix du tube FM circa 2010. Soudain, l'incompréhension désagréable qui peut vous envahir à l'écoute de n'importe quelle horreur lobotomisante régurgitée par les radios s'applique à Gorillaz. C'est toujours pop. Juste de la mauvaise pop.
Broken sonne comme un essai r'n'b ringard et
On Melancholy Hill est complètement à la ramasse avec ces claviers sautillants dont
OMD n'auraient pas voulus et surtout ces suites d'accords téléphonées qui n'appellent aucune mélancolie, à part celles du temps où Damon faisait mieux. Il ne semble pas trop savoir où aller ni comment regrouper ses idées : on passe de cordes libanaises à une boite à rythme sans que la transition ne soit pertinente ou réussie. Entendre
Empire Ants muter de ballade mignonne en un énième essai de groove 80's sur lequel vocalise une fille lambda, c'est triste. Et c'est là que l'absence d'un producteur comme Danger Mouse se fait cruellement ressentir. "
Plastic Beach" est un gros bordel qui ne sait pas où il va et qui y va n'importe comment. Seule espèce de continuité, ce vague thème sur la défense de l'environnement, déjà présent dans "
Demon Days." Mais d'une certaine manière, avec ses paroles écologistes qu'accompagnent des synthés plastiques qui mettront sans doute eux aussi un millénaire avant de se désintégrer enfin, "
Plastic Beach" est un album très ironique, participant à une espèce de pollution musicale qu'elle dénonce indirectement, un peu comme faire de la prévention environnementale avec un hélicoptère. Tout est figé, bourré de pétrole traité, aussi beau qu'une zone industrielle en proche banlieue. Peut être était-ce le concept ? Il est tenu sur toute la longueur, en effet.
(Some Kind Of Nature avec l'ami Lou)
Oh, tout n'est pas à jeter non plus. Il y a quelques petits éclairs de raison comme le formidable Some Kind Of Nature où Lou Reed, venu de nul part, est absolument impérial. Et puis il y a l'épilogue (enfin, le dernier morceau officiel, parce que dans certaines des 5 versions différentes de l'album qui sont sorties, il y a aussi des bonus tracks qui servent principalement à prendre votre argent), Pirate Jet, avec son beat un peu crasseux à la Nightclubbing, son synthé infecté et sa nonchalance cool, consolation un peu dérisoire, où Damon chante, désabusé, "It's all good news now", et fait soudain mouche, en dernier recours, comme si à la fin, il avait pigé comment utiliser tout ce qu'il avait à disposition, montrant que son talent est toujours là, juste gâché, et le tout de s'éteindre doucement dans un long fade out qui laisse place à un silence de mort et l'envie presque physique d'écouter autre chose pour oublier ce grand trop-plein de vide. En fait, ce n'est pas tant que "Plastic Beach" est affreux. C'est surtout un album profondément déplaisant que l'on a pas envie de réécouter.

Emilien.