Il y a des groupes dont on n'attend jamais rien. On a certainement raison, d'ailleurs. D'abord parce que le genre de musique qu'ils produisent ne se prête pas à la surprise et ensuite parce qu'ils nous décevraient sans doute s'ils changeaient leurs fusils d'épaules. Avec ces groupes-là c'est quitte ou double. Une fois ça passe, l'autre ça dérouille. Regardez Fleet Foxes, The Dodos, Mötorhead... Vetiver est de ces perpétuels challengers. Partis d'une folk épurée et moelleuse, ils ont mené leur barque bon an mal an en direction de Paradis du soft rock le plus débonnaire que vous puissiez imaginez (pensez Fleetwood Mac, par exemple). Moi qui espérais vous faire rêver, on est mal barrés maintenant.
Et pourtant, il n'y a jamais eu d'album raté par Vetiver. Il y a toujours de quoi se mettre sous la dent. Des micro-tubes bien huilés, des mélodies qu'on a déjà entendues mille fois mais qui sont tellement bien chantées que... Prenez ce Ride ride ride qui n'a rien de très original : il est peut-être mollasson et la voix d'Andy Cabic est peut-être trop cool pour faire décoller le morceau mais quoi de plus normal venant d'un mec aussi relax que Cabic ? Vous aurez tous reconnu l'hommage, les toms cognés, les guitares, "Ride ride ride", on est dans le pastiche du Velvet Underground, certes et en soi, ça suffit à faire de ce morceau l'un des meilleurs de "The Errant Charm", le nouvel album de Vetiver (*), qui montre là une fois de plus qu'ils ne sont pas qu'un autre représentant de l'americana post-machin emmerdant (je songe à Alela Diane) et qu'ils ont comme à chaque fois trouvé moyen de tirer la couverture de l'héritage américain à eux et d'enregistrer encore quelques chansons artisanales avec un brio certain.
En marge de sa réputation de "Maître de l'Horreur", John Carpenter a aussi inscrit à son palmarès bon nombre de bandes originales, celles de ses propres films. L'histoire est connue : avant de se lancer corps et bien dans le cinoche, Carpie jouait dans le groupe The Coupe de Villes avec des amis et histoire d'économiser sur le budget de ses métrages avait eu la bonne idée de composer lui-même (ou en compagnie de son ami Alan Howarth) des thèmes au synthétiseur, plutôt minimalistes, lents, souvent angoissants et accompagnés de boites à rythmes simplistes pour un résultat du tonnerre (je vous rappelle qu'il s'agit là du meilleur cinéaste américain de sa génération et son talent de compositeur n'y est pas étranger). En 1976 sortait son deuxième long métrage, Assault on Precinct 13.
(La version originale du thème composé par John Carpenter)
Et depuis 2010, le duo français Zombie Zombie (dont le sobriquet révèle d'emblée l'amour qu'ils portent au cinéma de genre des années 70 et particulièrement à Romero) ont décidé de matérialiser leur passion pour la musique cinéma(synthé)tique de la fin des années 70 (Goblin, Carpenter, mais aussi Moroder, et tous les rétro-futuristes que l'on entendait derrière le premier album du groupe, "A land of renegades", sorti en 2008) en publiant un EP-hommage :
Dans une veine dont raffoleront les amateurs de ce genre de revival (duquel sont coutumiers un certain nombre d'autres musiciens depuis quelques années, dont Majeure, Zombi ou encore Etienne Jaumet, sur son album solo), Zombie Zombie reprend donc cinq thèmes mythiques, à savoir ceux d'Escape from New York et de sa suite, Escape from L.A., celui de The Thing, l'archi-connu piano inquiétant de Halloween et, vous vous en doutez, le thème d'Assault on Precinct 13 :
(Zombie Zombie à Brighton en Juillet 2010)
Insufflant une vigueur nouvelle au rythme martial de l'assaut du commissariat, la batterie maigrichonne de Neman (par ailleurs batteur de Herman Düne) et la large panoplie de synthés d’Étienne Jaumet ne seraient qu'un chouette témoignage de respect sans la dimension live qui est finalement le principal intérêt du concept.
Mise en situation
Et ça tombe bien puisque Zombie Zombie jouera de nouveau ces morceaux-là sur scène, et pas n'importe où puisque ce sera dans le très joli cadre de la Fondation Cartier, à Paris, le 12 Mai prochain, à 21h. A cette occasion, le groupe a invité Alan Howarth à se joindre à eux et des extraits des films seront projetés pendant le concert. En attendant de vous y retrouver, je vous conseille de voir ou revoir The Thing ou Dans l'antre de la folie un de ces soirs, avec des copains pour éviter de trop flipper et du popcorn pour déstresser, parce que l'on n'a pas fait beaucoup mieux depuis et qu'il n'y a pas qu'à Halloween qu'on a le droit de se filer la frousse.
Nous y sommes. Demain, Vendredi 25 Mars 2011, l'Oeil Sourd sera présenté au public de façon officielle. Nous vous en parlons depuis le début de la semaine et ça n'est pas par hasard. Il faudra être là, demain soir, à l'Espace B, dans le 19ème arrondissement de Paris, à partir de 20h pour voir naître le plus prometteur des labels français, celui dont nous sommes gagas.
Concrètement, que se passera-t-il ?
Dans un Espace B redécoré pour l'occasion, et après une introduction mystique, vous aurez le plaisir de voir se déchainer les furies scéniques successives de
%
(I'm not dead, sur l'album "Opel Corsa Blues")
% (prononcé pourcent) représente la part punk de l'Oeil Sourd, sa composante DIY un peu dégueulasse. Autour de %, qui beugle en agitant sa guitare, on trouve un gourou-synthétique blond en habit de soirée et deux filles, à la basse et aux toms électroniques, dont les voix se font entendre au moment les plus inattendus. Derrière les "fûts", My feet in the air, qui officie sous son propre nom sur le label et vient de publier son premier album, "Déloger l'animal", dont vous risquez d'entendre un extrait au milieu du set de %. Ca ne sera pas le Velvet Underground, ni non plus Suicide, mais ça sera presque aussi sale, étrange, branlant et sexuel.
(Lecco mio ruga, soit "lèche mes rides", telle qu'elle fut jouée au Klub il y a quelques semaines)
(Duplicata, sur "The lost opportunities to keep quiet)
Désormais doté d'une formation scénique plus complète et accompagné entre autres de notre ami et collègue Thelonius H. à la basse, Le Aids sera le Grand Défouloir de la soirée. La pop post-Blur post-lo-fi survitaminée de "Cum to get her" et les plus subtiles mais néanmoins efficaces popsongs issues de son nouvel album, "The lost opportunities to keep quiet" seront martelées avec l'énergie que l'on sait (pour avoir vu Le Aids aller au bout des possibilités de son larynx lorsqu'il jouait en formation réduite) et beuglées en chœur par l'assemblée, parce que c'est comme ça que se passe un concert de Le Aids : un trop plein d'émotion déversé sur le visage immaculé de l'establishment, et tout le monde se sent mieux ensuite.
(Santa Santa, why has thou forsaken me ?, à l'époque où le backing band de Le Aids était en mp3)
(The murder of Jackie Kennedy, sur "Brûle en bikini")
Le duo le plus prolifique, prospère, et pro-expérimentation du label est composé de deux frères, d'une boite à rythmes et d'un paquet de chansons. Leur nouvel album (le 8ème si mes calculs sont bons), " The Rhythms of Concrete" vient tout juste de paraitre, faisant la part belle à un groove pas croyable affublé de sons métalliques, de samples funky, tout ça sans jamais oublier les refrains. En gros, un disque aussi proche de Ligeti que de Miles Davis. Et ils viennent le jouer coûte que coûte, quitte à y paumer un doigt ou deux, pour vous, avec du cuivre, du sitar et du rock'n roll.
Une fois les ébats terminés, vos gorges dévastées par les hurlements et vos oreilles ravagées par les guitares et les applaudissements, il ne vous restera plus qu'à vous délester de quelques menus euros au stand de merchandising spécialement conçu pour l'occasion, où vous pourrez dégoter non seulement les disques des trois groupes présents, mais aussi les dernières productions de Treik Deeperheit, Dan McHee, et aussi le sampler de l'Oeil Sourd, une compilation rassemblant le meilleur des artistes du label, et il y aura aussi, clou du spectacle des posters signés Jarvis Glasses à s'arracher, en plus des flyers et stickers gratuits qui seront disponibles. Après quoi, une ou plusieurs gigantesques fiestas seront organisées. A vous de voir si vous nous accompagnez.