C'est entendu.
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lundi 19 décembre 2011

[Réveille-Matin] Yoko Ono et Jason Pierce - Walking on Thin Ice

Vous connaissez l'histoire. John et Yoko enregistraient Walking on thin ice le 8 décembre 1980 et en revenant du studio, John s'est fait flinguer. Le single, paru en février 81 était dédié à la mémoire de l'époux défunt et l'interprétation de Yoko, sur le fil, semblait presqu'autant prémonitoire de la fin imminente de John que la ridicule instrumentation qui accompagnait sa voix. Le malheur avait frappé John qui, le même jour, devait laisser tomber sa femme physiquement et artistiquement. Mais c'est pour ça qu'on a inventé le remix.




En 2007, quelques artistes triés sur le volet (parmi lesquels les Flaming Lips, Peaches, Le Tigre ou encore Cat Power) furent invités à remixer Yoko sur l'album "Yes I'm a Witch". Pour cela, ils avaient le choix de la chanson et de la méthode. Jason Pierce, alias Jason Spaceman, alias Spiritualized, alias un ex de Spacemen 3, a choisi Walking on Thin Ice en ne retenant que l'essentiel : la voix de Yoko. A partir de là, et une construction émo-velvetienne (la marque de fabrique de Pierce) plus tard, on a droit à une relecture puissamment émotionnelle, à la manière du Hurt de NIN repris par Johnny Cash. De quoi faire pleurer dans les chaumières sur la tombe spirituelle de feu-John, bien comme il faut.


Joe Gonzalez

mardi 3 mai 2011

[Vise un peu] TV on the Radio — Nine Types of Light

On peut en discuter, mais pour moi, TV on the Radio a longtemps été un groupe qui valait plus pour ses tubes que pour ses albums. "Desperate Youth, Blood Thirsty Babes" et "Return to Cookie Mountain" étaient deux albums inégaux, qui comprenaient de nombreuses perles, allant droit au cœur par leur tristesse (Hours, Dreams), leur tension (Staring at the Sun) ou leurs rythmes endiablés (Playhouses, Wolf Like Me), souvent les trois à la fois ; mais ces pistes remarquables en éclipsaient d'autres moins convaincantes, expérimentations pas toujours réussies qui pouvaient aller jusqu'à casser le rythme de l'album (Ambulance, Poppy, A Method), pistes trop simples qui ne fonctionnaient pas toujours et pouvaient sembler forcées, déplacées voire oubliables (Dirtywhirl, Let the Devil In… en fait une bonne partie des secondes moitiés de ces deux albums).

Par comparaison, "Dear Science" était un très beau pas en avant pour le groupe : quasiment rien à zapper, les tubes s'enchaînaient avec de nombreux changements de style et le disque ne souffrait de presque aucune baisse de régime (à peine quelques ballades séparaient-elles deux pistes dansantes). TV on the Radio avait enfin sorti un album recommandable du début à la fin, et l'album pouvait facilement être sacré parmi les meilleurs de 2008.

Et voilà "Nine Types of Light", un album qui, à première vue, semble manquer un peu d'originalité et ne comporte que peu de moments forts. Entre Second Song, agréablement funky avec sa voix de fausset et ses cuivres, et Caffeinated Consciousness, remplie d'énergie comme le laisse prévoir le titre, la première impression que donne cet album peut être celle d'un cœur mou, composé de ballades et pistes mélancoliques en demi-teinte, toutes dans un style finalement classique pour le groupe… Un pas en arrière pour TV on the Radio ? Un album raté ?


"Nine Types of Light" est aussi un film, composé de dix clips entrecoupés d'interludes.
Les clips sont plus ou moins intéressants (Celui de No Future Shock est plutôt laid,
celui de Second Song est très beau) mais l'ensemble vaut la peine d'être regardé.
Jusqu'à la section finale, qui fait à la fois preuve d'humour et de mélancolie, où l'on voit Tunde qui… enfin je vous laisse regarder !

Pas tout à fait. Si on cherche en "Nine Types of Light" un disque à singles comme d'habitude, alors oui, le résultat paraît décevant ; mais une écoute plus attentive de cet album révèle en lui une belle cohérence, une mélancolie douce et touchante, un sentiment de chaleur et d'apaisement qui transparaît même dans les chansons un peu plus faibles, qui gagnent alors en intérêt — une impression qui émane de l'album en entier et pas seulement de pistes séparées, et qui finalement fait tenir l'album debout. "Nine Types of Light" est l'album le plus cohérent que le groupe ait sorti jusqu'ici, un album moins immédiat que les précédents mais qui démontre une belle maturité de la part du groupe…

… et voilà : "maturité", le mot est lâché. Un adjectif censé être mélioratif mais qui cache trop souvent une stagnation de la part d'un groupe ayant bien vécu et ne sortant plus que des disques un peu ennuyeux, frustrants parce qu'ils conservent plusieurs des qualités des albums précédents sans en apporter de nouvelles. Ce n'est qu'en partie le cas ici, heureusement — s'il y a bien des pistes sur "Nine Types of Light" qui sonnent comme du déjà entendu de la part de TV on the Radio (Keep Your Heart, No Future Shock…), et un ou deux faux pas mineurs (les synthés kitsch sur You), tout cela reste pardonnable au vu du résultat d'ensemble.

Et puis il y a Will Do. Will Do qui, malgré sa simplicité, fait partie des plus belles chansons enregistrées par le groupe et dont la mélodie exprime parfaitement ce manque teinté d'espoir qu'expriment les paroles. La piste est suivie de New Cannonball Run, autre belle réussite qui renouvelle (discrètement mais efficacement) le son du groupe ; et ce sont ces pistes-là qui sont les plus réussies, animées à la fois d'une belle énergie et d'une chaude nostalgie. J'y ajouterai Caffeinated Consciousness, dont le refrain est à la fois le point culminant et le moment le plus calme, la paix qui se trouve au-delà de l'agitation en somme… sans doute ce que TV on the Radio communique de mieux à travers ce disque.

"Nine Types of Light" n'est pas parfait : il peut parfois ressembler à un simple écho de ce que le groupe a pu faire auparavant (surtout après l'excellent "Dear Science", qui lui fait incontestablement de l'ombre même si les deux ont des ambiances sensiblement différentes). Ce dernier TV on the Radio est un disque en retenue, peut-être en demi-teinte… mais animé d'un véritable esprit qui fait excuser nombre de ses défauts ; si la réussite n'est pas totale, elle n'en reste pas moins belle.


— lamuya-zimina

mardi 8 février 2011

[Fallait que ça sorte] The The — Infected

On l'a déjà remarqué il y a quelques mois avec le sur-place que peut faire l'indie rock en l'absence de stimulus, ou encore avec le dernier album de GusGus qui traite de la crise en Islande ; on pourrait encore se rappeler le groupe d'indus-metal démocrate Ministry qui avait la réputation de ne pouvoir sortir de bons albums que quand un Républicain était au pouvoir… les années difficiles et les périodes de frustration engendrent souvent des œuvres intéressantes.

C'est ainsi dans la Grande-Bretagne des années Thatcher (alors même que Reagan régnait aux États-Unis) que Matt Johnson (The The) aura sorti trois de ses quatre meilleurs albums, en nous présentant tout le mal-être que l'on pouvait ressentir à cette époque, tout en nous faisant danser, réfléchir, et user notre juke-box interne jusqu'à la corde avec sa synth-pop sombre mais particulièrement accrocheuse.

N'arrêtez pas de lire tout de suite si vous ne vous intéressez pas à la politique : The The n'est pas un groupe engagé comme ont pu l'être Refused ou Rage Against the Machine. Le projet traite de sujets que l'on peut encore aisément transposer aujourd'hui, et "Infected" est avant tout un album mû par un thème quasi-universel : le désir, le désir maladif, sans objet ("Tell me what it is that I want in this world !"), la déroute que l'on ressent dans un monde où tout semble vouloir nous inonder de tentations ("I can't give you up 'til I've got more than enough […] Endow me with the gifts of the man-made world"), une société qui nous submerge en plus d'être malade, si bien qu'à la fin elle comme nous semblons foncer droit dans le mur. A titre d'exemple, l'hymne furieux Infected au rythme aussi primitif que puissant, la délicieusement acide et ironique Out of the Blue (Into the Fire) où le narrateur se paie les services d'une prostituée pour compenser son manque de confiance en lui, ou encore l'amour insincère et dysfonctionnel sur Slow Train to Dawn (une histoire que Johnson poursuivra sur les albums suivants)…


(Heartland)

…et si je vous parlais de politique au début, c'est que les lignes avec lesquelles Johnson décrit l'état de son pays sur Heartland, chanson aussi accrocheuse qu'amère sur l'injustice sociale et l'américanisation de la Grande-Bretagne, sont tout aussi marquantes (cf. ci-dessus). On tombe aussi sur le thème de la guerre, soit traité de manière générale comme incompréhensible (Heartland encore), soit vécu "de l'intérieur", sur Sweet Bird of Truth, avec les mots d'un pilote sur le point de s'écraser dans le golfe Persique ; ou encore la façon dont la religion est utilisée (comme prétexte ?) pour générer des conflits, sur Angels of Deception ("I was just looking for paradise anywhere in this world while they're gunning for heaven from this man-made hell"). Et pourtant, que ce soit à l'échelle d'un individu, d'un pays ou du monde en général, les thèmes abordés par "Infected" se rejoignent tous : une agitation permanente, l'énergie du désir et du mal-être : que faire quand on ne peut rester inactif mais que rien ne semble faire sens ?


(Angels of Deception)

Je sais : des thèmes et des paroles ne font pas un album. Mais sur "Infected", c'est la force directrice qui infléchit toutes ces pistes et leur donne sens — ce qui change ces chansons, déjà des tubes en puissance, en de véritables bijoux dance-pop new wave…

Alors certes, on peut peut-être reprocher à certains sons d'avoir vieilli (les synthés et les drum machines font très "années 80"), ou à Matt Johnson d'en faire un peu trop (pas moins de 67 musiciens et trois producteurs ont collaboré sur l'album, de Neneh Cherry à Roli Mosimann des Swans, et toutes les pistes de l'album ont fait l'objet de vidéos, compilées sur VHS). Mais franchement, je vous dis plus ça par acquis de conscience qu'autre chose : cette abondance est mine de rien en phase avec le thème du disque, et l'excès d'énergie qui transpire par toutes ces pistes ne nuit en rien à l'efficacité des compositions de l'album. Je sais que plusieurs auditeurs ont déjà été rebutés par le son du disque, mais je ne changerais rien à "Infected", qui est l'un des albums de cette période-là que je préfère et dont les huit pistes sont tout simplement huit tubes.


(Infected, en version live surchargée en effets et en testostérone,
avec Johnson en maillot de corps, une danseuse-chanteuse en costume moulant
et une distortion inutile vers 02:10. OK, là, il en fait peut-être un peu trop.
Mais dites-moi que ce beat, que cette basse, que cette mélodie, que cette chanson
ne sont pas efficaces !)

Si Matt Johnson est connu pour ne pas avoir publié tout ce qu'il a enregistré (la discographie officielle de The The regroupe presque autant d'albums inédits que d'albums effectivement parus), on peut sans hésitation recommander les quatre albums qu'il a sortis de 1986 à 1993, tous aussi géants les uns que les autres : "Soul Mining", "Infected", l'ambitieux "Mind Bomb" et le mélancolique, apaisé et intimiste "Dusk". "Burning Blue Soul" (plus orienté shoegaze) et "NakedSelf" (parfois grinçant et touchant, parfois fatigué) sont malheureusement plus inégaux, et c'est bien le The The aussi dérangé que flamboyant des années 80 et 90 qu'il vous faut écouter. (Enfin, "qu'il vous faut écouter", façon de parler : personne ne viendra vous taper sur les doigts si vous ne le faites pas. Mais vous rateriez quelque chose.)


— lamuya-zimina