C'est entendu.

lundi 5 avril 2010

[Vise un peu] Strong Arm Steady & Madlib - In Search of Stoney Jackson

J'en rêvais depuis des années et ils l'ont fait : "In Search of Stoney Jackson" est mon idéal en terme de hip hop et il compte aussi parmi les projets de Madlib que je préfère. Ça n'était pas vraiment parti pour être le projet le plus enthousiasmant du moment. L'affectation de Madlib à la production ne suffisait pas à faire oublier la profonde nullité du premier album de Strong Arm Steady, mais un coup d'œil à la liste des invités annoncés pouvait laisser espérer un net mieux : Fashawn, Oh No et Guilty Simpson d'un côte, Talib Kweli et Phonte de l'autre, il y avait de quoi faire.

Strong Arm Steady est aujourd'hui un trio (Mitchy Slick, Phil Da Agony et Krondon) rescapé de ce qui fut un collectif californien, auparavant centré autour de Xzibit, le type qui présentait les types qui pimpaient les bagnoles d'autres types (peut-être le font-ils toujours d'ailleurs mais ça n'est pas le sujet), et en en réalité, le seul fait que le combo soit basé à LA me faisait présager le pire tant il est vrai et plutôt triste qu'aucun groupe estampillé West Coast ne m'avait jamais accroché. Trop commercial ou trop pimp, trop gangsta ou trop macho, je n'y trouvais jamais mon compte et devais me rabattre sur les productions East Coast du moment, un brin passéistes et pas forcément très enthousiasmantes, même à leur meilleur (Damu, Elevated Ruffians...). Et pourtant "In Search of Stoney Jackson" est devenu mon album de rap post-1993 favori.


(Chittlins & Pepsi)

Il y aura certainement matière débat autour de la qualité intrinsèque de cet album et il y a d'ailleurs un consensus chez tous ceux à qui j'ai parlé de ce disque : "c'est certes pas mal du tout, mon vieux, mais de là à parler d'album hip hop préféré, tu exagères." Et pourtant.

La formule n'est absolument pas révolutionnaire, mais elle est efficace et regroupe absolument TOUS les éléments qui selon moi font de bons morceaux hip hop, à commencer par de bonnes basses et de bons beats. Ces derniers contribuent à dynamiser et à faire groover (Questions, Cheeba Cheeba) mais ne sont pas forcément omniprésents et laissent respirer les samples de bon goût, pas trop martelés, d'origines suffisamment variées (du dub au rock progressif affreux de Starcastle) pour éviter le cliché du manque de culture musicale (écoutez "Critical Beatdown" des Ultramagnetic MC's, ces vieux types qui n'avaient que des disques de James Brown et des JB's chez eux au moment de choisir des samples, et vous comprendrez).

Évidemment la production de Madlib n'est pas pour rien dans ce pouce levé. On pourrait lui reprocher des beats pas toujours très catchy mais il faut bien saisir que l'on n'est pas chez Madvillain et que ça n'est pas un album de Madlib. Le boulot de ce dernier est impeccable justement parce qu'il se met au service d'un projet sans lui faire de l'ombre : sa production est sobre, très rétro, et aux antipodes de ce que le West Coast est habituellement (pensez à l'aspect putassier et vulgaire de tous les 2Pac, Ice Cube ou Dr Dre...). C'est avec subtilité que son talent fait son affaire, en intercalant d'ingénieux interludes (le bruyant Telegram, le très inattendu Interlude 2, désarmant après un sample funky), en faisant de la bien-nommée Needle in the Haystack un géant mindfuck sonore (doté du meilleur beat du LP) ou en glissant certaines de ses meilleures idées dans les-dits interludes, laissant le champ-libre aux MC's qui peuplent les nombreux tubes en puissance de l'album.

Sans aucun raté (même si certains pourront trouver le refrain de New Love d'un goût douteux), chaque piste vogue sur un groove façon East Coast ni trop classique ni trop cérébral, boosté en énergie (sexuelle) et délivré par une armée de MC's inspirés. Bourré de samples soul et funk, "In Search of Stoney Jackson" empreinte à ces genres leurs phéromones et l'on a parfois l'impression qu'il serait la parfaite bande son d'un film de blaxploitation mis au goût du jour. L'analogie ne s'arrête d'ailleurs pas là puisque, comme d'innombrables labels soul le firent, et comme Daptone continue à le faire, Strong Arm Steady semble jouer le rôle de l'artiste entouré le temps d'un album par le "groupe du label." Madlib, son petit frère Oh No, ou encore Guilty Simpson, c'est toute une famille Stones Throw qui épaule le trio californien, lequel ne se prive pas de citer à tour de bras chacun des mentors, modèles et ainés qui ont compté : A tribe Called Quest, De la Soul, Raekwon, LL Cool J et les autres sont passés en revue et honorés. Plutôt que de s'attarder sur des histoires de drogue, de cul ou de bagnoles flambant neuves, le propos tourne autour du quotidien américain de ces rappeurs qui n'ont pas les moyens de frimer autant que P. Diddy, et qui sont davantage concernés par la guerre en Irak, la crise financière, ou leurs relations aux femmes ("That's why I got you pregnant, coz your pussy is fertile," in Chittlins & Pepsi) et qui en parlent avec le plus souvent une dose d'humour noir et de réalisme franchement rafraichissant, sans se dépareiller de ces valeurs familiales qui leur tiennent à cœur ("The love for my family's priceless/(As) long as I got them we'll be able to fight this/Coz nigger I'm black, i was born in a financial crisis shit," in Best of Times).


(Best of Times)

Strong Arm Steady, en tant que trio californien, n'est probablement pas ce qui se fait de mieux en matière de hip hop en 2010, certes non. Mais imaginé comme le centre d'un collectif de MC's (une bonne quinzaine de rappeurs officient sur cet album) cadré par un producteur aussi inspiré que Madlib, ils forment l'un des seuls super-groupes à avoir réussi l'exploit d'éviter de se planter tout en parvenant à emporter le gros lot. Quant au fameux Stoney Jackson, acteur de seconde zone des années 80, il n'aura servi qu'à offrir sa silhouette à la superbe pochette de ce véritable chef d'œuvre mineur totalement indispensable.


Joe Gonzalez






P.S. : "In Search of Stoney Jackson" n'est que le premier des deux albums annoncés par Strong Arm Steady pour 2010. "Arms & Hammers" prévu depuis 2008 mais repoussé pour des raisons juridiques n'a pas encore de date de sortie. De plus, Stones Throw Records vient de publier la version instrumentale de "Stoney Jackson," que vous pouvez vous procurer ici.

9 commentaires:

  1. Fish (yellow card, red carpet) Tank6 avril 2010 à 11:19

    Effectivement ça s'écoute. Mais je trouve l'album très monotone, mou et répétitif, très peu innovant, et finalement pas mal chiant, mais ça s'écoute.

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  2. C'est déjà pas mal venant de toi ;)

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  3. Vous avez prévenu mon cher Thomas de Bateau que les commentaires sont censés commenter l'article et non les commentaires précédents ? :D

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  4. Les commentaires peuvent se répondre, il n'y a aucun mal à ça ! Et qui plus est, le commz de Thomas n'était pas agressif envers toi, si c'est comme ça que tu l'as pris, je peux te l'assurer.

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  5. J'ai rien pris du tout, c'était juste pour causer parce que tous les commentaires de Thomas que j'ai lus récemment répondaient à d'autres commentaires.

    Guilty as charged de pas être méga intéressant :/

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  6. Ça doit pas être ma came, j'ai essayé d'écouter quelques fois, j'ai jamais kiffé :'(

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  7. Je me le passe en boucle là, et si tu exagères évidemment, il est néanmoins sans nous doute à ce jour le meilleur album de hip hop de 2010 ! :)

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  8. Tu me fais plaisir, je me sentais un peu seul :D

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  9. Très sympa. Certes pas révolutionnaire quand on connait le boulot de MADLIB, mais vraiment agréable!

    SysTooL

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