C'est entendu.
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vendredi 21 janvier 2011

[Tip Top] CE-500, des médoc-sons pour les jours sans

Régulièrement, nous nous penchons sur votre cas, analysons vos symptômes et tentons de trouver le remède. C'est notre job, on est comme ça. Souvenez-vous, nous vous avions trouvé quoi passer en soirée lorsque vous invitez des amis à diner, quelles vieilleries re-découvrir ou encore quels disques insupportables tenter de dompter. Aujourd'hui nous nous intéressons à un syndrome désagréable qu'ont déjà dû ressentir plus d'une fois les dingues de zique parmi vous. Les autres sont naturellement vaccinés puisque c'est d'un état de manque dont il est question. La musique est une drogue tellement addictive que pour certains d'entre nous, même lors des overdoses (ces périodes plus ou moins longues pendant lesquelles on n'a plus envie de rien, lorsqu'aucun son ne semble provoquer autre chose en nous qu'un rejet brutal, un haut-le-cœur physique et une migraine intenable), même dans ces moments-là, il reste le besoin profond d'écouter quelque chose. On se sent si mal qu'il faut un antidote pour passer à autre chose, comme un camé faisant une OD a besoin d'une piqûre d'adré (qui n'est rien de plus qu'une autre drogue) pour relancer sa machine.

Ce disque-là, celui qui change la donne, peut venir de nulle part et vous remettre sur pied en moins de deux et alors on entrevoit le futur acoustique comme un Eden brillant de mille feux et tout semble plus beau. Alors, parce que mieux vaut prévenir que guérir, nous vous avons concocté une ordonnance que vous pourrez recopier sur un bout de papier, quand ça n'ira plus du tout, et apporter à votre pharmacien habituel afin qu'il vous remette l'un ou l'autre des remèdes que voici :



1) Spacemen 3 - "Dreamweapon, an evening of contemporary sitar music" (1990)
par Joe Gonzalez

Lorsque l'on est dans un jour sans, n'importe quel disque de Spacemen 3 serait la parfaite prescription. Leur rock psychédélique influencé par le Velvet Underground incorporait un mur de son shoegaze et était joué à un rythme ralenti par l'abus de cannabis, ce qui en fait le compromis idéal entre groove diesel et papier-peint sonique : les graines de la guérison implantées dans une bouillie sur laquelle on n'est pas obligé de se concentrer. Mais "Dreamweapon" n'est pas vraiment ça. Ce live est un bloc de 45 minutes de drone durant lequel le groupe développe des motifs de guitare plus ou moins improvisés, expérimente sur un farfisa, laisse vrombir quelques notes de basse, et laisse même parfois entendre les quelques mots échangés par les musiciens. A aucun moment la composition n'avance-t-elle réellement : c'est une sorte de boucle enfumée, une atmosphère psychédélique sans fin ni but qui est laissée à disposition, une sorte d'opposé farouche à "Metal Machine Music", qui a fonctionné sur moi en bien des occasions et reste à ce jour le meilleur remède (à égalité avec "MMM", peut-être) pour se débarrasser d'une overdose.




2) Phill Niblock — "Touch Three" (2006)
par lamuya-zimina

"No rhythm. No melody. No bullshit." L'expression vient de Niblock et peut s'appliquer à pas mal des disques de cette liste ; quand on n'a pas envie d'écouter de musique, bien souvent ce sont surtout des structures et des sons traditionnels dont on a assez, davantage que du fait même d'écouter de la musique. Soyons honnêtes, à moins que celui-ci vienne juste après un disque émouvant (le fameux adage : "après avoir écouté du Mozart, le silence qui suit est aussi de Mozart") ou qu'il fasse partie de la musique, avez-vous déjà été réellement touchés en écoutant du silence ? Moi pas… Pour les "jours sans", ce sont donc bien souvent des disques, mais sans rythmes ni mélodies (aux sens classiques de ces termes) qui me font du bien. "Touch Three" en fait partie ; pourtant il utilise bien des instruments traditionnels, mais étirés, dilués sur une vingtaine de minutes à chaque fois, résultant en des drones qui peuvent soit ennuyer fermement (les évolutions de chaque pièce, basées sur des microtons, sont très discrètes et parfois très lentes), soit révéler leur beauté et vraiment faire du bien. Écouter "Touch Three", c'est regarder l'évolution d'un glacier, ou bien une peinture figurative qu'on aurait laissée se dissoudre et dont les couleurs formeraient des volutes qui évoluent très lentement… Bref, à écouter en cas d'overdose ou de neurasthénie. Déconseillé dans les autres cas (à moins de faire preuve d'une patience peu commune).




3) Throbbing Gristle — "The Second Annual Report" (1977)
par lamuya-zimina

Le premier disque d'industriel de l'histoire est un vrai monstre. Pas un monstre puissant et ravageur, plutôt un monstre informe et rebutant, qui balance sa laideur et son nihilisme au visage des auditeurs. Slug Bait - ICA : une qualité de son pourrie, des guitares qui ne semblent aller nulle part, un "chant" (si on peut encore appeler ça un chant) sans ton, sans rythme, sans rien, un vrai scandale, des paroles à vomir. Puis ce qui passe pour plusieurs versions (souvent live) de la même piste même si les versions n'ont quasiment rien à voir entre elles : des boucles, des samples dérangeants, du bruit, du bruit, un homme qui lance de la voix en se contrefoutant de tout, des injures à l'égard du public. Non, ce disque n'est pas nul (à part peut-être les vingt minutes d'After Cease to Exist) — c'est simplement du nihilisme brut. Un corps ouvert sur une table d'opération, sans explication, visible dans toute son obscénité. Vous avez sans doute un haut-le-cœur, envie de fuir, mais (si vous n'êtes pas déjà complètement désensibilisé) cette vision vous restera en tête — et oui, il y a quelque chose à en tirer. En tout cas, une chose est sûre, ça vous changera des genres traditionnels !


(Slug bait - ICA)




4) Low - Do you know how to waltz ? (sur "The Curtain hits the cast", 1996)
par Joe Gonzalez

Si votre problème est davantage psychologique que physique, peut-être est-ce une quelconque dépression qui vous aura mis dans un sale état et dans ce cas, je vous propose de sauter au fond du trou, de vous laisser couler jusqu'à toucher le fond (il n'y a que comme cela que l'on peut rebondir efficacement, d'après moi) et de creuser votre propre tombe. Rien de mieux que de s'envoyer le disque le plus déprimant au monde quand on est au bord du suicide car au moins on a l'impression d'un interlocuteur qui sait ce que l'on ressent et l'on se sent alors moins seul, conforté par si peu de gaité. Low sera votre meilleur ami, alors, puisque, moins "rock" que Joy Division par exemple, leur musique (les plus lentes popsongs imaginables - à tel point que l'on touche à l'idéologie punk sur le principe) est ce qui se rapproche le plus de la froideur du marbre. Sur "The Curtain hits the cast" tout est comme ça et en particulier les quinze minutes de Do you know how to waltz, l'un de ces morceaux qui a en partie influencé un groupe comme Godspeed You! Black Emperor. La "chanson" (deux minutes et trente secondes environ), enveloppée dans un manteau infini de tristesse cotonneuse dont la réverbération glaciale de trois accords suffit à transformer le jour en nuit, la "chanson" déplore la fin. La fin de quoi ? De tout. Peut-être en vous imbibant d'alcool et en craquant une allumette vous sentirez vous vivre.


(Do you know how to waltz)




5) Merzbow — "Dharma" (2001)
par lamuya-zimina

Certains jours, on a juste besoin de violence, d'un exutoire, d'un nettoyage par le feu, d'une force écrasante, annihilatrice qui réduit en cendres tout ce que l'on peut avoir en tête. La noise music est parfaite pour ça. Et si on peut reprocher à Merzbow (de loin le musicien de noise le plus connu) de privilégier la quantité à la qualité, il y a quand même deux de ses disques que je place en haut du panier : "Venereology", inspiré par le death metal et dont toutes les qualités sont obscurcies par sa violence extrême, inouïe, et "Dharma", qui évoque à la fois le chaos et le vide. Un album quasiment zen par certains côtés, une sorte d'"hypersilence" assourdissant mais paradoxalement paisible sur I'm Coming to the Garden… No Sound, No Memory, une négation totale et libératrice de la notion d'harmonie avec la boucle de piano sur Piano Space for Marimo Kitty… Puis la dernière piste — qui dure tout de même une demi-heure — devient vite interminable et ennuyeuse malgré une belle entame. J'écoute rarement ces deux disques en entier, mais pour certains "jours sans", ils sont sans pareil.


(Piano space for Marimo Kitty)




6) Flying Saucer Attack - "Further" (1995)
par Joe Gonzalez

Le poète anglais Percy Shelley avait tant peur de l'infini marin, qu'il plaçait au dessus de toute autre forme de "sublime", qu'il finit par succomber à un naufrage par gros temps. La morale de l'histoire est qu'il faut parfois foncer tête baissée vers l'objet de nos craintes... et parfois pas. Le groupe anglais Flying Saucer Attack a enregistré cet album pour exorciser la soumission à Mère Nature. Telle une peinture de Joseph Turner, la musique de David Pearce et Rachel Brook est une ode à la vie et à la mort, à l'impuissance de l'homme face à son environnement, sous la forme d'un psychédélisme lent, parfois proche du shoegaze, d'autres fois simplement illustré par une guitare acoustique et une voix assourdies par l'atmosphère brumeuse du monde alentour. Cet enregistrement est la plus proche représentation d'un océan qu'il m'ait été donné d'entendre (ne vous attendez pas à y trouver le son des vagues ou du ressac, ça n'est pas de cela dont il est question) et ce pesant va-et-vient d'une sérénité isolée vers un déchainement atmosphérique et vice versa, c'est peut-être la solution à votre problème.


(For Silence)




7) Bernhard Günter — "Univers / Temporel / Espoir" (1999)
par lamuya-zimina

On vous avait déjà parlé d'onkyo et de lowercase music, ces musiques qui se basent sur des silences, des sources sonores discrètes et inhabituelles, des hautes fréquences, assemblés sans ce qui forme les structures habituelles de la musique… et encore une fois, c'est justement cette absence de parole, d'instruments, de rythme et de mélodie qui fait que, bien souvent, la lowercase music passe quand les autres musiques ne passent plus. Quasiment tout album de lowercase peut fonctionner dans ce cas, mais plus il est austère, plus le changement s'avèrera rafraîchissant et le traitement efficace. Si "Un peu de neige salie" (toujours ma référence et une autre recommandation possible) conserve encore quelques rythmes, notamment dans les boucles de la première piste, "Univers / Temporel / Espoir" est l'un des disques les plus austères que j'ai entendus de Günter, un album loin d'être vide mais tellement abstrait qu'on peut y voir ce qu'on veut. (les deux premières pistes s'intitulent Un lieu pareil à un point effacé, et le titre est parfaitement en phase avec la musique.) Textures, distances, espaces… voilà ce qui peuple ce disque, une musique à écouter quand on a envie de balancer guitares, basses, batteries et voix par la fenêtre, de faire vraiment table rase et de passer à autre chose. Oubliez les musiques qui vous mènent par le bout du nez. Oubliez le figuratif. Écoutez cette musique quasi-silencieuse et faites vos propres associations, vous verrez, après une overdose de pop/rock, ça fait le plus grand bien. (Si votre pharmacien n'a plus de Günter dans son officine ou que vous n'êtes pas habitué(e) à ce genre de traitement et voulez quelque chose de plus doux, je vous recommande également "L'Avenir", très beau disque de Richard Garet.)




8) Incapacitants - "As loud as possible" (1995)
par Joe Gonzalez

Si Merzbow n'a pas marché, il y a toujours Incapacitants. Japonais, deux, bruyants, ils ne donnent pas dans la "noise music" mais dans le "harshnoise", ce qui sur une échelle de 1 à PIRE est PIRE. Écouter Apoptosis ou Necrosis revient à se faire du mal (pour se faire du bien), pensez coloscopie ou bien chimiothérapie : vous choisissez le volume et donc l'intensité du traitement et en assumez les conséquences. A faible volume, c'est insidieux et si vous n'en devenez pas dingue, le gros bouchon de cérumen obstruant votre oreille finira par se liquéfier et vous serez libéré. Montez le son, par contre, et votre cerveau sera directement attaqué par le grésillement insectoïde puissant produit par Incapacitants. Là encore, soit vous finirez en HP soit votre cortex s'en verra stimulé, comme par de régulières piques d'électrochocs et alors, vous redeviendrez opérationnel. C'est un quitte ou double auquel j'invite les âmes sensibles à ne pas jouer, une solution réservée à ceux parmi vous qui sont en phase terminale d'overdose sonore et dont la santé mentale est, de toute façon, déjà compromise.


(Apoptosis, extrait)




9) B. Dolan — "The Failure" (2008)
par lamuya-zimina

Quand on touche vraiment le fond, quand on ne peut plus rien écouter parce qu'on a le moral plus bas que zéro, il y a ce disque (aux racines hip-hop mais principalement du spoken word), avec lequel j'ai une relation d'amour/haine. Quand je ne suis pas dans l'humeur, je ne peux pas le voir en peinture. Dire qu'il est noir et déprimant est un euphémisme : il s'agit de l'histoire du dernier homme sur Terre, qui se met à enregistrer l'histoire de l'humanité, programme un ordinateur pour avoir des conversations avec lui… et se rappelle ses amis perdus, un cascadeur qui risque sa vie (Evel Knievel), le 11 septembre, la foi en un dieu qui ne se manifestera jamais, un amour sans plus personne pour le partager, une ancienne relation avec une fille qui avait subi un viol, avait un bébé et dont le père était un junkie, et qui se sera finalement séparée du narrateur — il y a là de quoi déprimer n'importe qui, mais même sans ces textes (la grande force du disque), rien que les sons totalement désespérés et la voix tour à tour empreinte de tristesse, folle de rage ou à deux doigts de perdre complètement la raison de B. Dolan suffisent à rendre toute la noirceur de ce monde à l'aube de sa fin. Même The Skycycle Blues, la piste sur Evel Knievel, est à se flinguer… et je ne parle pas de Kate, quasi-insoutenable et d'une puissance folle. Le dernier "vrai" morceau du disque, avant le final, est quasi-incompréhensible, Dolan hurle, le son est complètement saturé, on ne comprend presque plus rien mais après avoir été vidé par les autres pistes on reste là, en pleine fascination morbide, en état de choc presque. Est-ce que ça va vraiment mieux ensuite ? Difficile à dire. Mais si ça va mal et que vous cherchez à combattre le feu par le feu…


(Kate)




10) Pelt - "Ayahuasca" (2001)
par Joe Gonzalez

Parce que certains d'entre vous sont plus sains d'esprit que d'autres, il y a Pelt. Je ne suis pas dupe, il n'y a pas que bruit, silence, infini ou fin du monde qui puissent revigorer un esprit fatigué et parfois le son d'un instrument suffit. Si vous ressentez ce besoin, "Ayahuasca" est fait pour vous puisque vous y trouverez de la guitare, du banjo, du tanpura, de l'harmonium, du violoncelle et des tas d'autres instruments analogiques agrégés en couches psychédéliques comme une boule à facettes étrange (visez la pochette du disque) où se rencontrent les sons du Moyen Orient, ceux de l'Amérique profonde et le savoir-faire occidental en matière de collage et de drone. "Ayahuasca" est un double album, souvent prescrit comme un traitement long, non invasif et progressif. L'écoute dure plus de deux heures et doit être renouvelée à intervalles réguliers mais à aucun moment ne vous sentirez vous agressé par les sons ici présents. Du free folk rythmé au drone psychédélique muni de cordes "arabisantes" (comme on dit), c'est notre solution ENTIÈREMENT NATURELLE à votre mal, de l'homéopathie à l'américaine, un brin new age certes, mais une façon saine de reprendre goût à la musique.


(True Vine)



par les professeurs zimina et Gonzalez de chez CE-Pharma.


P.S. : Le classement numérique des disques ci-dessus n'est en rien lié à une quelconque évaluation qualitative. C'est plutôt une sorte de progression logique, une gradation du traitement, de la simple aspirine (Spacemen 3) à l'homéopathie (Pelt) en passant par la chimiothérapie (Merzbow, Incapacitants), la psychothérapie (Flying Saucer Attack) et les remèdes de charlatans (Throbbing Gristle). A vous de choisir votre came.

P.P.S. : Les extraits proposés en écoute ne le sont que pour vous donner une vague idée du traitement conseillé. Il est fortement recommandé de vous procurer l'intégralité du remède en pharmacie et de vous l'administrer en suivant la posologie.

vendredi 24 septembre 2010

[Alors quoi ?] La musique (presque) inaudible

"If it's too loud, you're too old!"
"PLAY AT MAXIMUM VOLUME ONLY!"
"MAXIMUM VOLUME YIELDS MAXIMUM RESULTS!"
"TO BE PLAYED AT MAXIMUM VOLUME!"

(*)
Je ne vous apprends rien, ça fait plusieurs décennies que quelques artistes et groupes jouent la surenchère du volume, de l'agressivité, de l'"intensité." Avec des résultats plus ou moins convaincants, et des résultats franchement néfastes quand les albums sont masterisés en conséquence (cf. la polémique de la "guerre du volume", à voir et à écouter si vous n'êtes pas déjà au courant).

Aujourd'hui, je vais vous parler de la tendance inverse, un genre de musique ultra-minimaliste qui joue sur les sons discrets et les silences, et est même censée être écoutée à très faible volume : la lowercase music.

La première fois que j'ai écouté un album de lowercase (littéralement : musique minuscule), j'ai cru qu'il y avait un problème avec : je n'ai rien entendu. (J'ai découvert par la suite que c'était une réaction courante, et qu'en plus j'avais choisi l'un des albums les plus difficiles pour commencer.) Impossible d'écouter du lowercase dans un environnement bruyant ; oubliez le baladeur et le format vinyle, cette musique-là s'écoute dans le plus grand calme possible ! C'est d'ailleurs en partie ce qui fait son attrait : l'ultraminimalisme et l'apparente austérité des compositions forcent à se concentrer sur chaque son, à tel point que l'écoute d'une pièce de lowercase se révèle presque radicalement différente de l'écoute de n'importe quelle autre musique. Pour donner des points de comparaison, je dirais que la lowercase est au rock (par exemple) ce que le haïku est au sonnet, ou ce que l'art contemporain minimaliste est à la peinture figurative...


(Steve Roden, en action… minuscule.)

Je sens que certain(e)s, sinon la plupart d'entre vous vont me dire : "C'est pas ultra-snob ton machin ?" ou "C'est pas un peu du foutage de gueule cette musique ?" voire "Faire du bruit pour faire du bruit c'est nul, mais faire du silence avec deux ou trois crépitements et des hautes fréquences qui font mal aux oreilles au bout de cinq minutes c'est pas mieux !" La lowercase music partage aussi ça avec l'art contemporain: soit on apprécie, soit on trouve ça complètement nul.


(Bernhard Günter — Untitled I/92)

Le terme "lowercase music" fut inventé par Steve Roden pour décrire sa propre musique, et en premier lieu son album "Forms of Paper" (2001) dont la seule source sonore est du papier manipulé — bien qu'on puisse trouver des albums de lowercase antérieurs à celui-ci, notamment "Un peu de neige salie" de Bernhard Günter, sorti en 1993 (l'un des albums majeurs du genre, et l'un de ceux qui m'auront le plus marqué).



On peut aussi rapprocher la lowercase de l'onkyo et de l'improvisation électro-acoustique, des genres qu'ont exploré notamment Otomo Yoshihide et Sachiko M, minimaliste de l'extrême qui travaille avec des ondes sinusoïdales pures... On peut enfin trouver de nombreux rapports avec certaines formes de drone, d'ambient, et beaucoup d'albums basés sur des field recordings. Beaucoup d'artistes travaillent dans plusieurs de ces genres et les frontières entre l'un et l'autre peuvent être assez floues.


(William Basinski & Richard Chartier — Untitled 3 (Reprise)... entre la lowercase et l'ambient/drone ?)

Bernhard Günter se base notamment sur sa propre respiration pour composer le tempo de ses pistes, et/ou sur une unité de temps intitulée "DIM" (pour "durée; ici, maintenant"), équivalente à trois secondes environ et qui serait égale à la perception que l'on a du "moment présent" selon une étude neurologique. Il s'est aussi inspiré de haïkus et d'autres poèmes, et a dédicacé l'un de ses albums à Rothko. Steve Roden, quant à lui, a réalisé plusieurs types d'installations artistiques et sonores et a souvent basé ses disques sur des sources sonores définies, que ce soit une matière ou un objet manipulé (ainsi "Forms of Paper" mais aussi "Light Forms" — avec des ampoules manipulées —, "Airforms," "The Radio"), un poème décomposé ("The Radio" encore, "Speak no more about the leaves") ou encore un chant traditionnel ("Stars of Ice"). Ces artistes ont tous deux enregistré d'excellents disques, et le label de Bernhard Günter, Trente Oiseaux, est une vraie mine d'or que je vous invite à explorer si le genre vous intéresse (vous pouvez d'ailleurs télécharger quelques albums du label gratuitement sur last.fm). On pourra aussi mentionner Francisco López, Keith Berry et Richard Chartier parmi les musiciens importants du genre...

L'album "Airforms" de Steve Roden (2005)

Si je ne devais garder qu'un album de lowercase, ça serait soit "Un peu de neige salie," soit "The Golden Boat" de Keith Berry, un album au son étonnamment chaud pour un genre pourtant aussi froid et clinique, qui utilise des drones et plusieurs instruments à cordes (notamment un biwa) sur des compositions qui oscillent joliment entre calme et passages troubles. "The Ear That Was Sold to a Fish," du même artiste, est également excellent (plus proche de l'ambient et avec moins de hautes fréquences).

Maintenant, soyons honnêtes : la lowercase n'est pas un genre de musique que l'on écoute tous les jours. Même les artistes que j'ai cités ne font pas toujours dans le minimalisme extrême et s'en éloignent parfois ("The Radio" de Roden est à mon avis l'un des tous meilleurs disques de l'artiste, et contient chant et mélodie). Le minimalisme extrême, forcément, ça limite les possibilités. Pourtant, la lowercase music est un genre non seulement intéressant et avec sa propre beauté (si on y est sensible), mais qui peut vraiment changer la façon qu'on a de percevoir la musique ; si vous avez de la patience et que vous aimez sortir des sentiers battus, je vous encourage à y jeter une oreille !


lamuya-zimina


(*) Si vous voulez savoir, ces instructions se trouvent respectivement dans les livrets de "Plague Mass" de Diamanda Galás, des deux albums de Khanate et de "Terrifyer" de Pig Destroyer. De bons albums, d'ailleurs, même si je ne les écoute que rarement (et, dans le cas de "Terrifyer," quasiment jamais jusqu'au bout).