C'est entendu.

jeudi 20 janvier 2011

[They Live] Godspeed You! Black Emperor @ Cirque Royal (Bruxelles)

Lorsqu'il y a un an les médias annonçaient le retour sur scène de Godspeed You! Black Emperor, les sentiments se bousculaient. Tout d'abord, la joie et le bonheur immense d'avoir l'occasion de revoir ceux dont le nom est synonyme de post-rock. C'était la chance inouïe de répondre à un manque, un échec : n'avoir jamais vu Godspeed. Ensuite, on ne pouvait s'empêcher d'éprouver des réserves. La peur, sans doute, de voir un groupe déjà mort, trop vieux pour son époque, détruire un mythe. Passée la porte de la salle, on savait que l'on allait assister, soit à un grand moment, soit à l'exhibition macabre d'un roi déchu. Le post-rock est-il vraiment mort ? La tension était palpable. Le public présent savait pourquoi il était venu.

La boucle sonore en guise de tapis musical donnait l'impression que le concert commençait déjà. Efrim lance un egard au public et le groupe entame Storm, leur plus belle œuvre. Encore une fois, cette impression étrange, celle d'observer pour la première fois une musique que l'on connaît par cœur, voir in vivo un objet dont nous n'avions eu jusque là que les échos. Les sentiments sont forts. Le rythme cardiaque bat en mesure avec la batterie grandiloquente.

Ce n'est pas pour rien que Storm ouvre ce concert, c'est bien la pièce phare du groupe, considérée par beaucoup comme le manifeste du post-rock. Une façon pour le groupe de dire donner au public ce qu'il attend d'entrée de jeu afin d'être plus libre par la suite. Un peu à la manière d'Alfred Hitchcock qui avait pris l'habitude de faire de la figuration dans ses créations et qui, lors de ses derniers films, apparaissait dès les premières séquences. Ceci afin que le spectateur ne perde pas son attention en le cherchant durant tout le film. Les corbeaux canadiens ont toujours eu un sens hitchkockien du spectacle.


(Blaise Bailey Finnegan III, jouée la veille à Paris)

La suite de la soirée était sans surprise : le groupe mariait subtilement de longues chevauchées soniques avec des chutes spleenitiques et entre deux morceaux, aucun vide sonore. Des projecteurs rythmaient de leurs bruits délicats les interludes. Les pellicules tournaient et projetaient, en boucle, au dessus du groupe de petits films de quelques minutes (ou quelques secondes pour certains) : tantôt des goutes d'eau, tantôt des immeubles en flammes, des films qui, sur n'importe quelle autre musique, auraient été laids, de vulgaires clichés, épousaient à merveille une musique dure, sans jamais sombrer dans un romantisme dégoulinant, sans retenue. Ces cliquetis de pellicule renforçaient un sentiment que l'on palpait depuis le début du concert, cette sensation étrange de vivre un moment hors du temps. Un sentiment qui naissait de la nature exceptionnelle de ce concert, que l'on pensait jamais ne pouvoir vivre, ni revivre.

Après deux heures trente de lyrisme sonique, Godspeed You! Black Emperor quittait la scène, aussi sobrement qu'en y entrant, laissant un auditoire émerveillé par une vision d'irréel. Le post-rock est bien mort ce soir du 15 janvier, sur scène, et de sa plus belle mort.


Julien Masure


P.S. : la presse n'ayant pas été invitée, les photos présentes dans cet article ne sont pas celles du concert du 15 janvier au Cirque Royal de Bruxelles.

19 commentaires:

  1. "Le post-rock est bien mort ce soir du 15 janvier", ouf, enfin !

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  2. Oui, il était temps. Pour ma part, je trouve cette tournée ridicule :)

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  3. Bouaip, ça fait quand même zizir de revoir GY!BE.

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  4. Parce que Godspeed était idéologiquement (et musicalement, d'ailleurs) un groupe "punk" et qu'un tournée "pour la thune", ça craint un peu quand on considère la musique comme un art, mais j'ai bien compris que les musiciens avaient vieilli, eu des gosses et qu'ils avaient besoin de payer leurs factures, c'est juste déprimant.

    Ce que je trouve ridicule c'est plutôt le public, dont une large majorité y est allé "pour avoir vu Godspeed", pas pour les écouter (et si je n'y suis pas allé moi-même - pour quoi faire ? - les échos que j'ai eu de la tournée confirment que les gens "y étaient" mais que peu "écoutaient".

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  5. De ce que les parisiens m'ont raconté, le concert était très différent. Le public doit y être pour quelque chose ...

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  6. Apparemment, le concert lyonnais était semblable au parisien.

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  7. Un concert lyonnais ? Et j'ai raté ça ? Tu voulais dire marseillais, Joe, non ?

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  8. Le concert parisien était excellent. Le groupe est évidemment très sobre, mais ils ont offert de grandes interprétations des titres de Lift Yr Skinny Fists, sans compter de superbes montages vidéos créés en direct par le vidéaste du groupe. Pour peu qu'on apprécie la musique de GY!BE - et, dans mon esprit, c'est une condition sine qua non pour assister à un concert de ce genre -, il y avait beaucoup de moments puissants et de grande beauté. Sur 2h30 de concert, bien entendu, tout n'était pas irréprochable : certains arrangements ou certaines structures semblaient moins subtils qu'en studio, mais ça reste du détail pour un concert intense, ample et élévateur.

    Par contre, le public était assez désagréable et il y avait effectivement une part non négligeable d'indie beaufs venus comme au cirque, histoire de voir le phénomène. C'est regrettable mais l'on ne peut pas blâmer le groupe.

    En ce qui concerne les motivations des musiciens, je n'ai pas d'avis. Je trouve un peu rapide de faire croire qu'il ne s'agit que de motivations financières, mais en même temps, c'est probable que ça joue dans la balance des membres qui n'ont plus de projet régulier. Au départ, il semblerait que ce soit le programmateur d'All Tomorrow's Parties qui réclame le groupe chaque année depuis quatre ou cinq ans. Et 2010 aurait été la bonne. Et même si l'argent compte, Constellation reste le label le plus intègre que je connaisse. Si cet argent leur permet de financer d'autres chefs-d'œuvre expérimentaux comme ceux de Carla Bozulich ou de Land Of Kush, je ne vois pas de mal. Mais c'est toujours pareil, à être aussi exigeants envers eux-mêmes chez Constellation, le public devient plus royaliste que le roi. Mais écoute-t-il des choses aussi audacieuses que Prince Of Truth ou Monogamy ? Je n'en suis pas sûr.

    Duck.

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  9. C'est de la merde ce que tu dis Duck.

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  10. Joseph : au temps pour moi. Un ami lyonnais m'a dit les avoir vus mais je n'ai pas demandé où.

    Duck : tu as raison (même si je ne comprends pas bien tes deux dernières phrases) sur le principe. Disons que je préfère quand une tournée "pour le fric" est assumée en tant que telle, genre quand Franck Black dit qu'il ne joue avec les Pixies que pour se payer une piscine. Dunno.

    Anonyme : Développe ou écrase.

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  11. Oui, la fin de mon message n'est pas très clair. Je voulais dire que j'ai déjà entendu - ou plutôt lu - des critiques sévères envers Constellation quant à leur manque d'intégrité au sujet de :
    - la reprise des activités de GY!BE
    - la chanson de Silver Mt. Zion utilisée dans Lost contre beaucoup d'argent

    Et j'ai le sentiment que beaucoup de gens sont d'autant plus sévères envers Constellation, parce que le label est, par ailleurs, irréprochable philosophiquement et politiquement. Comme si c'était scandaleux qu'un label aussi intègre soit aussi humain et qu'il ait besoin de financement pour continuer à vivre. Et ce n'est pas comme si l'argent de Constellation servait à enregistrer de la daube populiste : ils sortent encore parmi les disques les plus intenses et ambitieux de rock actuel. Et j'ai le sentiment - je me trompe sûrement en partie - que beaucoup de personnes jugent hâtivement GY!BE sans connaître le reste des productions du label et ne font même pas l'effort de savoir de quoi il s'agit. Je ne prétends qu'il faille tout écouter chez Constellation pour avoir un avis, mais je pense que c'est louper des éléments clés de toute cette situation.

    Mes excuses si je ne suis toujours pas clair. Au final, ça n'a pas vraiment d'importance. Personnellement je suis très heureux du super concert que j'ai vu, c'est le principal pour moi.

    Quant à monsieur Anonyme, je suis scandaleusement outré de voir que l'Internet, que j'aborde comme un lieu de partage et d'argumentation - idéaliste que je suis - reste, avant tout, le moyen idéal pour les frustrés de se lâcher grossièrement. Dommage !

    Duck.

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  12. Zut, j'ai oublié d'ajouter quelque chose d'important : qu'est-ce qui te rend si certain qu'il s'agit d'une tournée "pour le fric" mal assumée ?

    Dans mon esprit, c'est sûrement le cas pour certaines personnes du groupe, mais sûrement pas pour d'autres. C'est difficile de savoir les motivations d'un groupe de huit personnes qui refuse les interviews et de parler en concert.

    Duck.

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  13. Je pense que c'est entendu (sans jeu de mot), tout le monde s'accorde à le penser, non ? Je veux dire : une tournée de reformation après tant d'années sans projet d'enregistrer quoi que ce soit (en tout cas, c'est ce qu'il me semble avoir lu), c'est pour moi clairement orienté vers le gain.

    Cela dit, comme je l'ai déjà dit, je te rejoins sur le principe de gagner de l'argent si c'est (aussi) pour aider le label à financer d'autres grands disques expérimentaux.

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  14. Duck, et les autres en fait, au cas je n'ai pas été clair dans mon article, ce live était magnifique. Il signe la fin, pour moi, de ce groupe mais de la manière la plus belle.

    Que ce soit clair.

    Et sinon j'abonde totalement dans ton sens duck.

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  15. Mon point de vue est notamment fondé sur les récits peu enthousiasmants que j'ai pu lire, et notamment celui d'Emilien Villeroy sur MagicRPM.com :

    http://www.magicrpm.com/pop.php?q=a-lire/tous/godspeed-you-black-emperor/compte-rendu-scenique-19-01-11

    (en page 2)

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  16. Une tournée pour le fric ?

    Honnêtement, je ne pense pas. Regardez les prix des billets. Si c'était vraiment pour le fric, ce serait plus cher.

    Ici, à Montréal, le billet coûte 12$. Tout l'argent est donné à des organismes de charité.

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  17. Que ce soit pour le fric ou pas, ils ont perdu la flamme!!!!

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