C'est entendu.

jeudi 2 février 2012

[Vise un peu] Lou Reed & Metallica - Lulu

Allons droit au but : "Lulu" n'est pas une belle collection de chansons, ça n'est pas un bon album, ce n'est pas de la musique respectable. Pour autant, "Lulu" n'est pas non plus le pire album de l'année 2011, de la décennie, ou de tous les Temps, comme certains se sont plu à le clamer à qui voulait l'entendre (et adhérer, parce que c'est toujours amusant de taper sur la même jument malade). "Lulu" est un projet ambitieux et excitant qui a abouti à un album raté. Ni plus, ni moins.

L'idée consistant à rassembler un papy du rock dépourvu d'organe et des papys du metal dépourvus d'inspiration pour adapter sur disque un opéra d'Alban Berg lui-même inspiré par une pièce de Frank Wedekind, cette idée-là était intéressante sur le papier, parce que l'on ne pouvait s'empêcher d'anticiper le résultat, mais une grande part de l'excitation qui avait emballé le web à l'annonce du projet résultait justement dans l'expectative d'un échec annoncé. Or donc, comment ne pas se sentir gêné pour l'ensemble des participants de ce massacre lorsque résonnent les rugissements sans aucune originalité de Tallica et que la voix de Lou (ou ce qu'il en reste) s'évertue à... lire des textes, sans intensité ni interprétation...


(Iced Honey, jouée à la télévision américaine)

Qui plus est, l'échec ne tient pas à l'idée de départ, plutôt couillue, de faire cohabiter cette histoire de déchéance (très proche d'ailleurs de celle qui sous-tendait le "Berlin" de Lou, en 1973) avec du spoken word et une double pédale frénétique. Même en 2011, le spoken word est un exercice non dénué d'attrait, pas forcément si casse-gueule que ça (à moins que l'on ne tende vers le slam bien sûr) et auquel de nombreux musiciens se sont essayés avec succès, de Steve Dalachinsky à Laurie Anderson (la femme de Lou, qui intervient sur le dernier album de Colin Stetson) en passant par Matana Roberts. La difficulté du spoken word arrive lorsqu'il est rendu obligatoire par la mort des cordes vocales et du mojo de son praticien. Lou s'est mis à parler plutôt que de chanter très tôt dans sa carrière, mais à l'époque c'était une posture, ça collait à son personnage, c'était cool et de rigueur et surtout il pouvait se remettre à chanter si l'envie le prenait. Aujourd'hui, le vieil homme qu'il est ne semble pas avoir le choix et lorsqu'il force le chant (Iced Honey), nos gorges souffrent au diapason de la sienne tandis qu'il demande à sa voix l'impossible et se perd dans une fausse énergie et de fausses notes. Sans conviction et sans une interprétation séduisante, le spoken word est le chemin le plus facile vers la voie de garage.

De la même façon, on sait fort bien que le metal est loin d'être mort à l'heure qu'il est. C'est sans doute l'un des arbres musicaux qui produit encore le plus de fruits et dont la récolte n'est pas sans rapporter de beaux petits pécules à ses acteurs. Le style de Tallica, le groupe tel qu'il était dans les années 80 sur disque et durant les années 90 sur scène, en tout cas, a été reproduit et fermenté par d'innombrables descendants. Rien qu'en 2011, Vektor (pour ne citer qu'un groupe) a prouvé que le thrash metal était encore viable avec son album "Outer Isolation". Ça n'est pas une question de style, ni même de son (on avait reproché à Metallica le son de "St Anger") mais d'inspiration : les musiciens tournent en rond sur les trois quarts de la longueur de "Lulu". Certains morceaux, en plus d'être dépourvus de toute surprise, tournent désespérément en rond (The View, Branderburg Gate, Frustration). Les guitares peinent à dénicher le moindre riff (Kirk Hammett aurait-il oublié qu'il est là pour jouer autre chose que des power chords ?) et on a l'impression d'entendre jammer des métalleux de seconde zone qui n'auraient pour toute idée que celle de jouer de faire du bruit avec leurs amplis et l'idiote double pédale de leur batteur.


(The View)

Relativisons cependant car tout n'est pas à jeter. Parfois Lou Reed se révèle touchant et parvient à faire son boulot, surtout lorsque les décharges soniques se calment (Junior Dad). Parfois c'est Metallica qui se réveille et offre quelque chose de viable, hors de tout pilotage automatique (Cheat on Me, avec son synthé étrange), malgré les vains babillages de Lou. A deux occasions, on a même l'impression de ressentir une véritable dynamique de groupe. Avec Mistress Dead, Metallica oublie son nouveau chanteur et se lance dans une cavalcade thrash sans foi ni loi, à fond la caisse, et ça fait du bien... à Lou qui du coup, parle à côté de la plaque, semble ne même pas essayer de raccrocher au wagon métallique et survole la scène avec le coucou flingué qui lui sert de gorge. Little Dog est l'occasion pour LouTallica de délivrer quelque chose valable : guitares acoustiques et feedback en papier peint et un vieillard qui marmonne des insanités : on colle au concept.

L'album est cependant trop long, trop répétitif et trop inégal pour vraiment fonctionner. Surtout, James Hetfield n'aurait jamais dû chanter sur ce disque tant ses interventions confinent au ridicule. Estimons-nous heureux, en tout cas, puisque nous avons eu exactement ce que nous espérions, ce que nous demandions, par la grâce de ces cinq musiciens : un pathétique échec éclatant.










ATTENDEZ
Allons un peu plus loin avant d'en finir.




Je me demande sérieusement à quel point Lou et Metallica étaient sérieux en jetant leur projet aux lions. Les uns comme les autres souffrent depuis toujours d'égos surdimensionnés et de ce point de vue, il est probable qu'ils aient vraiment pensé que leur musique était bonne, que leur association avait une chance de produire un chef d’œuvre et que le public allait adorer. Mais comment ne pas s'attendre à l'échec ? Comment ne pas faire preuve d'un minimum (un gros minimum) d'auto-dérision en publiant un tel enregistrement ? Ce qui est finalement le plus intéressant avec "Lulu", ça n'est pas la musique mais l'attitude des musiciens qui l'ont enregistrée : comment en effet survivre à un projet surmédiatisé, à un supergroupe raté d'avance, à une cagade publique ? Les méthodes divergent mais pas tant que ça.


Lou Reed a connu tellement d'échecs retentissants tout au long de sa carrière, la plupart lui étant entièrement imputables, qu'il doit avoir l'habitude et lorsque "Lulu" a vu le jour, n'a convaincu (presque) personne et s'est même vu affublé du titre de "pire disque de tous les temps" par des internautes zélés, Lou a réagi comme il a l'habitude de réagir : en sur-dramatisant. On l'a ainsi entendu dire à qui voulait l'entendre (USA Today, notamment) que les fans de Metallica en avaient après lui et que lui, de toute façon, n'avait plus aucun fan depuis "Metal Machine Music" en 1975. Ça n'était peut-être pas vrai alors, mais après les claques successives de "Berlin" (considéré par Lou comme son premier véritable chef d’œuvre, largement snobbé par le public et la presse), "MMM" (du bruit), "Take Shelter" (un double album live où on l'entendait provoquer le public) et une majorité de ses albums pendant les années 80, Lou a appris à relativiser : même s'il lui reste des fans, il a prévu de faire tout ce qui est en son pouvoir pour les faire fuir. Depuis la sortie de "Lulu" le 27 septembre 2011, et après les quelques déclarations de Lou, de l'eau a coulé sous les ponts et qui peut croire que son prochain projet ne sera pas largement attendu par la sphère des amateurs de musique pour lesquels il est toujours "l'homme du Velvet" ? "Lulu" est le genre d'échec dont beaucoup ne se seraient pas relevé, mais Lou Reed n'est pas n'importe qui et à côté de "Metal Machine Music", finalement, son dernier méfait n'est pas siiii grave, n'est-ce pas ?



Pour Metallica, les choses sont sensiblement différentes et pourtant elles sont sensiblement les mêmes. Le groupe n'a peut-être pas le statut de véritable Dieu vivant du rock dont profite le vieux Lou, mais malgré leurs propres échecs successifs (dans le même numéro de USA Today, Lars Ulrich disait "In 1984, when hard-core Metallica fans heard acoustic guitars on "Fade to Black", there was a nuclear meltdown in the heavy-metal community. There have been many more since then. This is something they’ve never heard." Metallica n'a pas cessé de surprendre ses fans, d'en paumer au passage et d'en récupérer d'autres. Le procès contre Napster, la parution de "St Anger" et "Some Kind of Monster" il y a dix ans, les albums "Load" et "Reload", autant d'apparitions médiatiques qui n'avaient pas fait l'unanimité, et c'est justement là la force de Metallica, sa survie. Pour un vieux groupe de metal, c'en est un qui a appris à se conserver en sachant faire parler de lui, ne se contentant pas de sortir de bons ou mauvais albums passables suivant la formule, comme d'autres vieux de la vieille continuent de le faire (et on s'en fiche pas mal que Guns'n Roses, Megadeth ou Van Halen sortent de nouveaux disques). Metallica continue d'essayer de nouveaux trucs, de se lancer dans des projets insensés, d'exister en somme, hors de l'image figée qui pourrait être la sienne s'il n'était que "ce groupe de thrash qui a fait Nothing Else Matters". Pour eux, l'échec de "Lulu" n'en est pas un, c'est encore un peu de d'existence grapillée, et tant pis (pour lui) si James Hetfield n'a pas su s'empêcher de pousser la gueulante aux côtés de Reed, il en ressort seule victime effective de la bataille, catégorisé ringard par sa propre faute (en hurlant "I am the taaaaable" sur The View, à quoi s'attendait-il ? cf. le meme ci-contre et les nombreux autres).

Comme Kanye et Jay Z ont eux aussi pu le démontrer, lorsque deux monstres en mal d'existence se rencontrent, le choc est rarement salutaire pour l'Art, mais il a le mérite de permettre à ceux qui se sont rencontrés d'exister encore le temps d'une belle tentative foireuse.


Joe Gonzalez

2 commentaires:

  1. Loulou aurait simplement du convier un jeune groupe de métal (avec un bon batteur de préférence). Il y a de beaux morceaux violents et décadents cependant sur cet album de vieux cons prétentieux mais pas si prétentieux que bon nombre de jeunes groupes pop kéblo. Vivement demain quand meme!!
    SJ

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  2. Très bel article.

    Hetfield chante comme une merde (et depuis déjà un bail) mais alors Lou Reed, sur la première vidéo, le live à la TV ricaine, c'est un pur et simple massacre, c'est horrible à écouter, et s'il s'en rend pas compte il a les feuilles dans le même état que la gorge ce vieux tas !

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