C'est entendu.

lundi 12 septembre 2011

[Vise un peu] YACHT - Shangri-La / Colin Stetson - New History Warfare Vol. 2 "Judges" / Zombi - Escape Velocity

Tout le monde ou presque a fait sa rentrée, enfin. Pas la rédaction de C'est Entendu, pas vraiment. Nous nous sommes fixé jusqu'au 1er Octobre pour faire durer le Hors-Série consacré aux genres musicaux. D'ici là, les derniers membres vacanciers de l'équipe seront sur le pied de guerre, nous aurons sans doute fait le tour de la plupart des branches des arbres de Babel et nous aurons de nouvelles surprises à vous soumettre, mais en attendant... Puisque c'est la rentrée, autant en profiter pour vous remettre dans le bain, tout en rattrapant notre retard. Voici donc quelques mots sur quelques uns des disques plus ou moins fantastiques qui ont bercé nos huit premiers mois de 2011.



YACHT - Shangri-La

YACHT n'a jamais vraiment convaincu. Ni quand Jona Bechtolt menait la barque seul ni depuis que Claire Evans a fait de l'affaire un duo, car si "See Mystery Lights" (2009) était intéressant de par sa vision décalée de l'indie pop, il n'en restait pas moins un album inégal ou, comme disent les anglosaxons, inconsistent. Ce "Shangri-La" n'échappe pas vraiment à la règle et pourtant, il fait bonne impression. A la manière d'un enfant en bas âge qui vous tend un croquis de sa maison, dans un style très très personnel, avec des proportions très très subjectives, des couleurs très très peu appropriées, en gros un dessin très très laid, mais que l'enfant vous tend avec vigueur, avec confiance, parce que ce gribouillis pourri, c'est le sien, c'est comme ça qu'il voit les choses et pas autrement et de toute façon il n'envisage même pas qu'il puisse y avoir une autre manière de faire, de voir. Dans ces cas-là, vous prenez le dessin, le fixez, souriez et vous finirez sans doute par l'accrocher un temps sur une surface perpendiculaire au sol en signe de reconnaissance non pas du travail artistique de l'enfant mais de son affirmation. Vous en serez même un peu émus.


(Utopia + Dystopia (The Earth is on fire), les deux titres ouvrant l'album)

Voilà où réside la réussite de cet album de YACHT par rapport aux essais antérieurs. Ça n'est peut-être pas facile à encaisser, cette electro-pop régulièrement kitsch, chantée quasi-exclusivement par une Claire Evans déchainée malgré le peu d'ampleur de sa voix, orchestrée de façon pompière comme si on avait voulu créer un enchainement ininterrompu de tubes, sans temps mort, en usant de chacun des synthétiseurs disponibles, mais c'est fait avec tellement de cœur que l'on a l'impression de pénétrer dans un monde étranger, qui n'appartient qu'à YACHT. Un monde parallèle à celui de DEVO, un monde dans lequel YACHT est le meilleur groupe du monde ou plutôt le seul car c'est un monde où avant YACHT il n'y a rien eu, et après...










Colin Stetson - New History Warfare Vol. 2 "Judges"

Colin Stetson est un saxophoniste basé à Montreal qui a tourné et enregistré avec de très nombreux groupes parmi vos préférés, de Arcade Fire et Bell Orchestre à Tom Waits en passant par Bon Iver ou LCD Soundsystem. Loin d'être seulement un homme de l'ombre, il avait publié le Volume 1 de son "New History Warfare" en 2008 mais c'est après avoir noué quelques amitiés malines qu'il a pu sortir le second volume sur le label canadien Constellation, obtenant ainsi quasi instantanément un statut de "mecton à suivre" auprès des amateurs d'expérimentation. A raison, puisque "Judges" est l'un des enregistrements les plus intéressants de l'année.


(Judges)

En dehors de l'implication de deux femmes (Laurie Anderson parle, Shara Worden alias My brightest Diamond chante) après coup, un habile habillage permettant à l'album de gagner en textures, en dimension et en rythme, les compositions de "Judges" ont été pour la plupart enregistrées en une prise par le seul Colin Stetson, sans overdub (ou presque, donc), suivant la technique dite de la "respiration circulaire" (ou "souffle continu") laquelle demande beaucoup de pratique et de volonté. Tout cela serait bien charmant mais il n'y aurait pas franchement de quoi pavaner devant un musicien capable d'une telle performance s'il n'était aussi un très capable compositeur. Toujours très rythmé, son jeu balance entre l'épique (From no part of me could I summon a voice), le péremptoire (Judges), le drone (Love and Justice), le martial (Red Horse) ou quelque chose de plus jazzy, presque aviaire (Clothed in the skin of the dead). A vrai dire, en dehors de rares passages plus humains, comme le sacré All the colors bleached to white, il ressort de la plupart des morceaux une dimension animale et des cris, des murmures et des plaintes du saxophomme nait le sentiment d'assister aux scènes naturelles de la vie d'un monstre de la nature, d'une imposante chimère, mi homme, mi-tempète cuivrée, sur le passage de laquelle personne ne peut détourner les yeux.










Zombi - Escape Velocity

Malgré toute leur bonne volonté, les deux membres de Zombi auront du mal à convaincre à chacune de leurs (innombrables) sorties. Tandis que Steve Moore a publié deux disques en solo en 2011 (l'un sous son véritable nom et l'autre sous le pseudo Miracle), Anthony Paterra, après son premier essai sous l'alias Majeure en 2010, plutôt réussi d'ailleurs, a publié un split avec Sankt Otten et d'ici la fin de l'année, il est probable que d'autres projets arrivent à terme. Il est avéré qu'à moins d'être un génie sans borne, une bête d'imagination, une machine humaine, la prolixité a souvent le bien vilain défaut de gâter votre aboutissement. Je donne toujours le même exemple mais regardez le vieux Woody, Woody Allen. Un film par an, allons donc ! Si Woody passait deux à trois ans sur un film, il y a des chances pour que sa filmographie ait un peu plus de gueule et qu'on évite de se cogner un navet sur deux films publiés (quand ça n'est pas deux sur trois, voire la totale). J'ai de l'affection pour Moore et Paterra, pour leurs pochettes très disgracieuses (et totalement à mon goût) et je respecte leur amour pour Tangerine Dream, John Carpenter et Giorgio Moroder, là n'est pas la question, mais je continue de croire qu'en se donnant plus de temps pour concevoir leurs disques ils auraient peut-être davantage l'occasion de se livrer à un tri bénéfique, à une réflexion interne sur leur son et donc à quelque progrès.


(Shrunken Heads)

Évidemment, "Escape Velocity" ne ressemble pas trait pour trait à ses prédécesseurs, ni aux disques enregistrés par Moore et Paterra de leurs côtés respectifs, mais les variations stylistiques sont pour le moins minimes. Simplifions en indiquant que contrairement à "Spirit Animal" (2009, leur album "rock", avec des guitares), ces enregistrements reviennent entièrement aux synthétiseurs de tous genres. On a ainsi droit à d'épiques chevauchées de montagnes russes synthétiques menées par la batterie dynamique d'Anthony Paterra (certainement l'élément le moins discutable du lot) et l'on suit cette course sans déplaisir, certes. A force de suivre leur lancée, à pleine vitesse sur les rails qu'ils posent eux-mêmes, Zombi voudrait apparemment parvenir à pousser leur engin jusqu'à ce qu'il échappe à la vélocité et qu'il échappe à la gravité, et à sa route tracée. Je le leur souhaite, mais ça n'est pas aujourd'hui, avec un disque aussi conventionnel, et ça n'est pas en suivant cette méthode stakhanoviste dénuée d'auto-critique et de raisonnement qu'ils parviendront à faire mieux que contenter les amoureux de voyages organisés.









Joe Gonzalez

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