Certains pleurent devant la beauté, d'autres devant la laideur, pour certains ce sont les chansons d'amour ou de cœurs brisés, pour d'autres des histoires de grandeur ou simplement le son et rien que le son mais, in fine, peu importe, du moment que la musique nous émeut encore suffisamment pour nous titiller les glandes lacrymales. Je ne me considère pas du tout audiophile (vous savez ces gens qui peuvent entendre la différence entre un amplificateur Phillips à 300€ et un Yamaha à 679€), je ne suis pas un amateur de qualité sonore, je suis un ami du Son. Pourtant, je remarque chaque jour à quel point notre façon d'écouter la musique change et de quelle façon nous privilégions la quantité de sons reçus à la qualité de l'écoute. J'écoute moi-même beaucoup de musique dans les transports en commun, dans la rue, pendant que je surfe sur le net ou que je rencontre des amis, sur un matériel souvent techniquement limité, entouré par du bruit parasite et déconcentré par l'activité. Je me suis posé la question : est-ce un mal ? En écoutant énormément de musique, toujours plus, je satisfais mes propres pulsions maniaques, certes, je défriche l'univers en perpétuelle expansion des sons et chansons enregistrés par l'être humain et c'est là l'un des propos de mon existence, certes, alors tant mieux d'une certaine façon. Mais ne suis-je pas perdant au bout du compte ? Ne reçois-je que de l'information propre à être stockée, critiquée et théorisée ? Où est le sentiment, le réel plaisir de l'écoute, l'amour véritable de l'art musical dans cette frénésie ? La réponse est simple : tant qu'il existera des chansons ou des compositions qui parviendront à me faire pleurer, la question ne se posera pas. Voici une preuve de mes dires.
Cette chanson d'Elliott Smith (sur l'album paru en 2003 après sa mort, "From a Basement on a Hill") est la synthèse de ce qui me fait défaillir dans son écriture. A coups de phrases choc ("I can't prepare for Death any more than I already have", "Dominoes falling in a chain reaction"...), il raconte une histoire proche de la sienne car sans doute proche de la caricature du californien entre deux âges dont la midlife crisis le confine à la folie. Entre allusions étrangement prémonitoires ("Because I took my own insides out", "Ain't life great? / Give me one good reason not to do it") - pour rappel, Smith a été retrouvé mort chez lui, un couteau dans le ventre - et appels à l'aide à peine déguisés d'un garçon profondément mélancolique ("Frustrated fireworks inside your head / Are going to stand and deliver talk instead"), on a l'impression de suivre le torrent de pensées acerbes d'un homme sur le point de sombrer dans la dépression nerveuse. Smith habille ses mots avec une sorte de pop poignante, très rentre-dedans, sans en faire des caisses, avec surtout cette batterie très simple qui accompagne les mots tandis que des chœurs lointains font grimper les enjeux. Sa guitare et son piano, d'habitude si présents, ne sont ici que des fantômes mélodiques et lorsque surviennent les derniers mots, il y a de quoi rester dubitatif quant à leur sens :
"This is the place where time reverses
Dead men talk to all the pretty nurses
Instruments shine on a silver tray
Don't let me get carried away
Don't let me get carried away
Don't let me be carried away"
Si je m'identifie profondément à ce personnage, sans pour autant je vous rassure ressentir la même détresse que lui, ça n'est pas seulement parce que la chanson est bien écrite ou parce qu'elle m'évoque des sentiments très personnels, mais surtout parce que l'interprétation de Smith est remarquable par son authenticité. Après tout, si Brel provoquait autant d'émotions chez son public (et chez nous), c'est parce qu'il vivait ses textes. Les larmes me viennent régulièrement à l'écoute de cette chanson, et je n'ai pas besoin pour ça de l'écouter avec attention, mais bien sûr, ça peut aider.
Joe Gonzalez
Tu m'étonnes... :)
RépondreSupprimerPar rapport à ton premier paragraphe, je sais pas comment tu fais Joe. Ces dernières semaines j'ai vraiment enchaîné les découvertes à un rythme proche du tien je pense, mais je me suis rendu compte récemment que je profitais de rien parce les albums me glissaient dessus, il y en avait tant! Maintenant je tourne en boucle fermée et je n'écoute que ce que j'ai déjà, et je suis plutôt content puisque je réévalue déjà à la hausse des albums qui m'avaient paru "normaux" à la première écoute distraite. Tu dois être sensible, peut-être!
RépondreSupprimerJe ne suis pas si "sensible", je suis surtout patient et implacable. Si ma première écoute se fait dans de "mauvaises" conditions, et que je n'accroche pas plus que ça à un disque, je ne l'abandonne pas pour autant, je le réécoute deux, trois fois, avant de me faire un avis. Sauf évidemment si je trouve le disque proprement "nul". Pas mauvais mais "nul", c'est à dire dénué de tout intéret. Là je peux ne même pas l'écouter en entier et lui dire "bye bye". La plupart des musiques que j'aime le plus au monde sont celles qui m'ont pris le plus de temps pour les comprendre.
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