Kanye West s'est trouvé. Et en se trouvant, il s'est un peu perdu. Schématiquement, "Watch the Throne" est dans l'exacte continuité de "My beautiful dark twisted fantasy", l'album publié par Kanye il y a un an, en cela qu'il est personnel, égocentrique et référentiel. Pourtant, si le sujet d'étude clinique ne change pas (Kanye et Jay ne forment qu'un seul et même patient atteint de mégalomanie aigüe, d'une respectueuse irrévérence à l'encontre des ainés et d'une dyslexie prononcée), les résultats de l'analyse sont sensiblement différents et surtout, la qualité de la séance est bien moindre qu'il y a un an.
(Niggas in Paris)
Personnellement convaincu que l'intégralité de la discographie de JAY-Z est plus ou moins bonne pour la poubelle (le mot "commerçant" vient à l'esprit, jamais "artiste"), je ne jetterai pas la pierre qu'à lui pour expliquer le naufrage de la majeure partie des morceaux ici présents. En dehors de quelques (parfois très) bonnes idées, les samples agrégés ici sont souvent laids, il faut bien le dire. Il est même difficile de s'expliquer la présence de certains morceaux dépassant les limites (les voix traffiquées à vomir de Why I love you ?, les synthés sans relief et le beat détestable de Who gon stop me, par exemple) tandis que certains samples plutôt bien vus, comme le chant féminin de Murder to Excellence, sont gâchés par les deux MCs, étrangement à côté de la plaque alors même qu'ils assurent parfaitement le reste du boulot. Les invités ne sont pas si nombreux (trois sont morts depuis belle lurette, ne les comptons pas) mais semblent parfois plus à l'aise que JAY-Z lui-même, en permanence sur le fil, comme à bout de souffle, littéralement. Beyoncé fait rugir la lionne en elle sans faire d'étincelle, Bon Iver hurle avec le nez comme si sa vie en dépendait dans un rôle à contre-emploi sans grand intérêt mais qui fera frémir les hipsters, tandis que Frank Ocean participe à deux des meilleurs titres (No church in the wild et Made in America) avec des refrains dignes du meilleur de son propre album, mais si Kanye semble avoir eu raison de s'enfermer dans un studio pour pondre des réussites de montage telles que H.A.M., The Joy et surtout le single Otis, où Kanye parvient à réellement redonner vie à Otis Redding, qui s'invite (comme le laisse entendre le "ft. Otis Redding" qui orne la chanson) comme le troisième MC du gros morceau de l'album. Malheureusement, les îlots de réussite baignent dans une mer de ratés. En écoutant Lift off on a l'impression d'entendre un hymne national remixé pour faire office de jingle à une publicité TV à la gloire de Wall Street. L'arpège-gimmick de Niggas in Paris est l'équivalent d'une migraine instantanée couplée au sentiment d'entendre les facilités commerciales de groupes comme les Black Eyed Peas intégrer la musique de Kanye. La seule chose à sauver là-dedans reste le sample d'une scène de "Blades of Glory", une très bonne comédie sur le patinage avec Will Ferrell, qui justement évoque les Black Eyed Peas en disant "no one knows what it means, but it's provocative, gets the people going" ("personne ne sait ce que ça veut dire mais c'est provoquant, ça fait bouger les gens"). Seules cinq ou six chansons sur les seize présentent un minimum d'intérêt, et ce malgré des fautes de goût plutôt récurrentes : Bon Iver tombe comme un cheveu sur la soupe au milieu de l'intense That's my bitch, des synthés mellow limite new age enveloppent Made in America de coton, etc.
(Otis)
JAY-Z, tient pourtant là son disque le plus intéressant et probablement l'une de ses seules chances d'approcher (de loin) l'expérimentation, l'audace, voire ce fameux crossover qu'il entrevoyait comme inévitable il y a deux ans, lorsqu'il se rendait fidèlement, accompagné de Beyoncé, aux concerts des rockers à la mode (Grizzly Bear en tête) ; un crossover qui n'est pas vraiment d'actualité ici mais dont Kanye est un représentant émérite et côtoyer Kanye, j'en ai peur, représentera sans doute le maximum de l'ouverture envisagée par JAY. Kanye, lui, est moins en forme vocalement et forcément moins (omni)présent que pour sa fantasy, et s'il réussit avec cet album à proposer un nouveau pamphlet autobiographique barbouillé de bonnes idées artistiques, il aurait été souhaitable qu'il envisage à cet effet un EP plutôt que cet indigeste objet de commerce mal décoré qui n'a aucune chance de s'insinuer dans le cœur des indie kidz (trop grossier) et qui n'aura sans doute pas convaincu non plus beaucoup de fans de hip hop (trop populaire). Reste le grand public. Celui-là, Kanye et JAY le berneront sans doute une fois de plus.
(Niggas in Paris)
Personnellement convaincu que l'intégralité de la discographie de JAY-Z est plus ou moins bonne pour la poubelle (le mot "commerçant" vient à l'esprit, jamais "artiste"), je ne jetterai pas la pierre qu'à lui pour expliquer le naufrage de la majeure partie des morceaux ici présents. En dehors de quelques (parfois très) bonnes idées, les samples agrégés ici sont souvent laids, il faut bien le dire. Il est même difficile de s'expliquer la présence de certains morceaux dépassant les limites (les voix traffiquées à vomir de Why I love you ?, les synthés sans relief et le beat détestable de Who gon stop me, par exemple) tandis que certains samples plutôt bien vus, comme le chant féminin de Murder to Excellence, sont gâchés par les deux MCs, étrangement à côté de la plaque alors même qu'ils assurent parfaitement le reste du boulot. Les invités ne sont pas si nombreux (trois sont morts depuis belle lurette, ne les comptons pas) mais semblent parfois plus à l'aise que JAY-Z lui-même, en permanence sur le fil, comme à bout de souffle, littéralement. Beyoncé fait rugir la lionne en elle sans faire d'étincelle, Bon Iver hurle avec le nez comme si sa vie en dépendait dans un rôle à contre-emploi sans grand intérêt mais qui fera frémir les hipsters, tandis que Frank Ocean participe à deux des meilleurs titres (No church in the wild et Made in America) avec des refrains dignes du meilleur de son propre album, mais si Kanye semble avoir eu raison de s'enfermer dans un studio pour pondre des réussites de montage telles que H.A.M., The Joy et surtout le single Otis, où Kanye parvient à réellement redonner vie à Otis Redding, qui s'invite (comme le laisse entendre le "ft. Otis Redding" qui orne la chanson) comme le troisième MC du gros morceau de l'album. Malheureusement, les îlots de réussite baignent dans une mer de ratés. En écoutant Lift off on a l'impression d'entendre un hymne national remixé pour faire office de jingle à une publicité TV à la gloire de Wall Street. L'arpège-gimmick de Niggas in Paris est l'équivalent d'une migraine instantanée couplée au sentiment d'entendre les facilités commerciales de groupes comme les Black Eyed Peas intégrer la musique de Kanye. La seule chose à sauver là-dedans reste le sample d'une scène de "Blades of Glory", une très bonne comédie sur le patinage avec Will Ferrell, qui justement évoque les Black Eyed Peas en disant "no one knows what it means, but it's provocative, gets the people going" ("personne ne sait ce que ça veut dire mais c'est provoquant, ça fait bouger les gens"). Seules cinq ou six chansons sur les seize présentent un minimum d'intérêt, et ce malgré des fautes de goût plutôt récurrentes : Bon Iver tombe comme un cheveu sur la soupe au milieu de l'intense That's my bitch, des synthés mellow limite new age enveloppent Made in America de coton, etc.
(Otis)
JAY-Z, tient pourtant là son disque le plus intéressant et probablement l'une de ses seules chances d'approcher (de loin) l'expérimentation, l'audace, voire ce fameux crossover qu'il entrevoyait comme inévitable il y a deux ans, lorsqu'il se rendait fidèlement, accompagné de Beyoncé, aux concerts des rockers à la mode (Grizzly Bear en tête) ; un crossover qui n'est pas vraiment d'actualité ici mais dont Kanye est un représentant émérite et côtoyer Kanye, j'en ai peur, représentera sans doute le maximum de l'ouverture envisagée par JAY. Kanye, lui, est moins en forme vocalement et forcément moins (omni)présent que pour sa fantasy, et s'il réussit avec cet album à proposer un nouveau pamphlet autobiographique barbouillé de bonnes idées artistiques, il aurait été souhaitable qu'il envisage à cet effet un EP plutôt que cet indigeste objet de commerce mal décoré qui n'a aucune chance de s'insinuer dans le cœur des indie kidz (trop grossier) et qui n'aura sans doute pas convaincu non plus beaucoup de fans de hip hop (trop populaire). Reste le grand public. Celui-là, Kanye et JAY le berneront sans doute une fois de plus.
ATTENDEZ
Allons un peu plus loin avant d'en finir.
Puisque Kanye West se "contentait" plus ou moins d'explorer sa propre carcasse en 2010, et puisque ce faisant, il avait usé de samples rock ou électroniques, pourquoi ne pas renouveler l'expérience et gagner encore l'adhésion de ceux qui achètent plus de disques que les fans de hip hop, à savoir les indie kidz ? Tout simplement parce que Kanye (et JAY, peut-être) démontre une thèse tout au long de l'album.
1) We made it in America :
Chacune des nombreuses références culturelles ou mercantiles qui habillent les paroles des deux MCS vient nous rappeler qu'il s'agit là d'un discours socio-politique et non pas des simples élucubrations para-biographiques habituelles. Cette fois-ci, pas de sample retentissant de King Crimson ou Aphex Twin, naaaan. En dehors de quelques empreints à d'obscurs disques issus de la sphère rock, c'est majoritairement à la musique afro-americaine que Kanye a donné la parole, avec des samples de Syl Johnson, Public Enemy, James Brown, Quincy Jones, Nina Simone, et les résurrections d'Otis Redding (Otis) et Curtis Mayfield (The Joy). Mais sampler les héros de la bataille noire pour la Liberté n'était sans doute pas suffisant pour Kanye, qui a l'habitude d'exposer une dialectique au ras des pâquerettes afin d'être bien compris de tous. Alors tout en exposant les causes, que sont tous ces demi-dieux et déesses noir(e)s, le duo récite les conséquences avec l'insistance d'un professeur de mathématiques : ils sont riches, ils l'ont fait, ils ont réussi (dans la vie). Enfilant les marques haut de gamme et les références à l'argent (chaussures Louboutin, cigares cubains...) comme des perles sur leur égo phallique, ils ne se contentent pas d'ériger un monument à leur propre Gloire (l'album en est un, mais il n'est pas que ça), mais insinuent que leur réussite est celle du Peuple Noir tout entier. Le "we" de "we made it in America" ne concerne pas que JAY et Kanye, c'est un cri de ralliement populaire, voire "racial" (j'utilise le terme par simplicité mais je considère qu'il n'existe pas de "races"), ou plutôt afro-AMERICAIN car ça n'est pas là le discours d'un Malcolm X (pourtant allègrement cité dans Made in America), il n'est pas question d'Afrique, ni d'Islam. C'est la victoire d'un peuple noir américain qui est célébré. C'en est presque confondant tant on a par moments l'impression que les deux MCs célèbrent l'abolition... de LEUR couleur.
(Made in America)
En métissant à tout va la musique (où l'on entend successivement une production G-funk, électronique, soul ou plus vulgairement populaire), le discours (une sorte de gangsta rap bling bling qui cite Ferris Bueller) et en invitant à la fois Otis Redding et Justin Vernon (plus blanc que le chanteur de Bon Iver, ça existe ?), JAY et Kanye risquent fort de rassembler, certes, mais à quel prix ? L'album est beaucoup moins personnel que "My beautiful dark twisted Fantasy", beaucoup moins audacieux (souvenez-vous de sa pochette, du clip-métrage de Runaway, des paroles même) et fondu dans un moule certainement plus à même de toucher une large audience mais s'il cite l'héritage noir américain à tout va, il ne s'inscrit pas en descendant de cet héritage. C'est un album incolore, destiné à tous et qui, s'il fait le bilan d'une réussite noire, n'y contribue pas par vice d'égoïsme narcissique.
(Made in America)
En métissant à tout va la musique (où l'on entend successivement une production G-funk, électronique, soul ou plus vulgairement populaire), le discours (une sorte de gangsta rap bling bling qui cite Ferris Bueller) et en invitant à la fois Otis Redding et Justin Vernon (plus blanc que le chanteur de Bon Iver, ça existe ?), JAY et Kanye risquent fort de rassembler, certes, mais à quel prix ? L'album est beaucoup moins personnel que "My beautiful dark twisted Fantasy", beaucoup moins audacieux (souvenez-vous de sa pochette, du clip-métrage de Runaway, des paroles même) et fondu dans un moule certainement plus à même de toucher une large audience mais s'il cite l'héritage noir américain à tout va, il ne s'inscrit pas en descendant de cet héritage. C'est un album incolore, destiné à tous et qui, s'il fait le bilan d'une réussite noire, n'y contribue pas par vice d'égoïsme narcissique.
2) Kanyeconomics :
"Watch the Throne" pense défendre la thèse du succès des noirs américains et se plante sur tout la ligne. Non seulement, la musique du duo ne défend aucune des valeurs prônées par les grands enregistrements militants de leur peuple (de Gil Scott-Heron à James Brown en passant par Otis et PE) mais le disque va même jusqu'à nier cette lutte en proclamant sa fin. En annonçant "we made it in America", Frank Ocean (que je ne blâme pas, je le vois comme un acteur dans le film de Kanye-Z) dit implicitement que la lutte est terminée, et par là même, Ocean, Z, West et tous ceux qui les écoutent peuvent éprouver le droit d'arrêter de lutter.
Si l'on devait faire une analogie, ce serait avec le Heavy Metal des années 80, une musique décomplexée, égocentrée, pleine d'abus, privilégiant l'amitié virile et n'ayant rien à cirer des conséquences (il n'y a qu'à avoir le clip d'Otis). "Tout va bien dans le meilleur des mondes, we made it, alors faisons la fête pour toujours in america". Un constat d'aveugles. Comme à l'époque des Reaganomics, quand les blancs se sentaient plein de ressources tandis que le pays allait à vau-l'eau, Kanye Z semble se foutre le temps d'un disque de tous les problèmes (finances, emploi, banques, logement, etc) rencontrés par le pays. Certes Barack Obama l'a "fait" in america, mais les noirs n'en sont pas tous là et le pays est plus en détresse aujourd'hui qu'il ne l'était même à la fin des années 80. Qui pourrait croire une seconde que cette situation profite aux afro-américains ou qu'elle les épargne(ra) ? C'est peut-être le moment le plus crucial pour que des leaders d'opinions noirs (un statut que le duo semble s'auto-octroyer avec ce disque) se soucient des problèmes des leurs. Dans une telle conjoncture, demander (sans même s'en rendre compte, c'est fort possible !) que cesse la lutte, ça n'est pas démagogue, c'est de l'inconscience.
Si je devais donner une note morale à l'album, elle avoisinerait le zéro pointé mais restons-en à l'appréciation musicale. "Watch the Throne" est un album raté, qui dessert absolument son propos et qui se vautre dans de grossiers mécanismes pour aguicher le client. Il reste un objet politique jetable intéressant sur lequel figurent quelques chansons réussies, et surtout on y trouve le fin du fin de la carrière terriblement plate de JAY-Z. Quant à Kanye West, gageons qu'il fera sans doute mieux la prochaine fois.
Joe Gonzalez
T'as écouté le dernier Eminem? Il envoie!
RépondreSupprimerLe môme du gif j'ai l'impression de l'entendre, c'est fou :D
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