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(Dreams come true)
Chris Taylor ne s'en cache pas, il n'est pas un songwriter aussi accompli que ses collègues Rossen et Droste, ou en tout cas il ne pense pas l'être. Son truc à lui, c'est le travail de la masse sonore, il est l'artisan du son de Grizzly Bear et on le ressent d'emblée avec "Dreams come true", qui est une création sonore de bout en bout maitrisée, sans pour autant que cela nuise à la spontanéité ou à la crédibilité des idées du compositeur Taylor. Sa gestion des espaces, des silences et des tensions (les explosions sonores de Dreams come true et She found a way out, les deux plus puissantes chansons du lot, sont de l'ordre du raffinement haut de gamme) s'opère sans aucune mise en danger des chansons, qui se révèlent d'ailleurs plutôt bonnes. Si Taylor ne se sent pas suffisamment en confiance pour laisser sa voix envahir pleinement l'espace (ses textes sont souvent simples et il le sait), ça n'est pas un mal : placée aux côtés de ses arrangements riches et inattendus, elle ne donne que plus de corps à l'ambiance tamisée qui imprègne l'album.
(Bang)
Qui se serait attendu à une saillie post-folk à la Grizzly sera surpris par le plus large registre dans lequel excelle CANT. Tout en conservant une homogénéité de tons, Taylor bâtit ses morceaux suivant des méthodes variées allant de la ballade très classique (Bang, qui pourrait être chantée par Daniel Rossen que l'on n'y verrait que du feu) à la synthwave (Believe et la regrettable The Edge, seule véritable faute de goût du lot) en passant par des voix éthérées façon light ambient (Bericht). A de fréquentes reprises, Taylor donne l'impression de puiser de l'énergie rythmique du côté de Portishead (sur Rises Silent, c'est Beth Gibbons que l'on a l'impression d'entendre accompagner le piano à la fin du morceau), mais plus surprenant, son electro-pop semble puiser ses ressources directement en Suède, chez The Knife (Too late, too far) ou Fever Ray (Answer).
Sans peut-être le faire entièrement exprès, Taylor a su effacer sa personnalité juste ce qu'il fallait pour que ses domaines de prédilection, la composition et l'arrangement sonore, prennent la place qui leur était promise et que ses chansons ne servent que de réceptacles sur mesure. Il en résulte un essai concluant d'architecture sonore, une œuvre tout de même très personnelle (et bien plus que les travaux pluriels de son groupe) proposant des associations intéressantes et créant une réelle tension (avec comme point d'orgue la centrale She found a way out) là où la majorité des musiciens ne se servent aujourd'hui du medium electropop que pour enchainer des anecdotes parfois attrayantes mais souvent sans saveur.
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Joe Gonzalez
(*) : Pour autant je n'irai pas jusqu'à écouter Earl Greyhound, le groupe de heavy rock du batteur Christopher Bear, il s'agirait de ne pas déconner non plus.
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