C'est entendu.

mercredi 7 septembre 2011

[Vise un peu] Chercher le Futur dans le Passé : UK garage #1

Nous habitons en France ou en Belgique, peut-être certains d'entre vous nous lisez vous depuis l'étranger, le Canada, le Mali, je n'en sais rien, mais il est acquis qu'une majorité d'entre nous n'évoluons pas sur les terres de sa Majesté la Reine Elisabeth II et de ce fait, il est acquis qu'une majeure partie d'entre nous n'a entendu parler de dubstep qu'une fois la bise passée. A vrai dire, même les spécialistes se rejoignent pour n'accorder que peu de crédit au dubstep. Ce mot ne décrit en fait qu'une infime partie de la tendance musicale nommée UK garage et qui a dominé l'underground anglais ces dix dernières années. Pendant que vous et moi nous demandions où était la prochaine vague de britpop, des tas de DJ's malins mixaient, remixaient et se faisaient accompagner par des MC's au fort accent british des bas quartiers et tout ça sur fond de grosses basses, de tempos précis, histoire de faire danser une jeunesse post-X préférant les caves sombres aux raves en plein air. Le UK garage s'est décliné en différentes mouvances et c'est maintenant que le genre commence à sentir la viande morte qu'il convient, pour des observateurs extérieurs comme nous, outre-Manche, de disséquer ses différentes manifestations. Cette série d'article aura ainsi pour vocation de défricher les différences stylistiques entre ces différentes tendances, à en dégager quelques classiques et à proposer à ceux parmi vous qui n'associent encore ces mots qu'à autant de points d'interrogation.


#1 : SBTRKT en flagrant délit de démocratisation du dubstep

Le dubstep ne fait pas exception : comme tout style musical, il a inspiré aux musiciens qui s'en sont approchés différentes approches. Certains ont bâti sur ses fondations de solides forteresses (le label Hyperdub, notamment) et ont fait leur foyer. D'autres se sont servis de certaines de ses caractéristiques pour assembler une musique neuve, expérimentale, avec pour ambition d'aller plus loin (prenez Necro Deathmort, par exemple). D'autres encore ont fait preuve d'une ambition toute autre, inévitable et récurrente puisqu'elle a fait son lot de déçus au sein de chaque mouvement underground notable, celle de métisser le style en question avec des éléments plus communs, plus à même de faire l'unanimité, des gimmicks pop. Le premier à l'avoir fait de façon vraiment frappante, c'était James Blake, il y a quelques mois. En mêlant aux rythmiques électroniques et aux basses caractéristiques du dubstep des particularités pop (son chant crooné, même s'il le déforme à souhait, du piano, quelques accroches mélodiques et surtout des tempos en moyenne très lents), Blake s'est attiré autant d'attention que de remarques de la part des puristes ne voyant en lui que le pionnier de la démocratisation par la simplification d'un plaisir réservé aux connaisseurs, ou au moins aux personnes concernées (les natifs, qu'ils soient passionnés de musique ou, surtout, des teuffeurs). James Blake n'est pas Kurt Cobain et le UK garage n'est pas le punk. Je doute que l'impact commercial soit véritablement comparable et que le coup de couteau soit aussi meurtrier mais tout de même, je me suis dit que JUSTEMENT, quoi de mieux pour en apprendre plus sur un genre musical vivant ses derniers instants que de s'attaquer au phénomène qui semble lui avoir porté le coup fatal ?

Et ça tombe bien puisque dans le sillage de Blake, un autre DJ londonien vient de publier son premier album sous le pseudonyme SBTRKT. Si ce producteur s'est fait un nom (ou plutôt un alias) à travers de prestigieux remixes ces dernières années (pour Gorillaz, M.I.A. ou Radiohead), il a préféré conserver l'habitude de porter un masque tribal lors de ses apparitions scéniques, ce qui, avouons-le, ajoute à son charme.

Le premier album de SBTRKT a paru en grande pompe chez Young Turks et s'il a si bien été reçu par la critique comme par le public, ça n'est justement pas à cause d'une vulgarisation encore plus poussée des codes du dubstep que celle pratiquée par James Blake, mais plutôt parce qu'en dehors des judicieux choix esthétiques (la pochette de l'album représente le DJ masqué et met d'emblée un "visage", une image, sur le nom mystérieux et potentiellement hermétique qu'il arbore comme un autre masque), SBTRKT se contente moins d'artifices de bâtisseur digital que son prédécesseur direct. Les morceaux de l'album ne dépendent pas d'effets de style, de sampling étrange, de cuts ou de métissages inédits pour fonctionner, elles se contentent de fonctionner, et la plupart sont diablement réussies.



(Wildfire, featuring Little Dragon)

Là où Blake semblait vouloir apporter un style au plus grand nombre, offrir une connaissance du dubstep aux non-initiés, en la rendant audible, en travaillant sa matière, avec certes de l'ambition et de la réussite, SBTRKT me semble aller encore plus loin en ne se posant même pas la question et en créant une musique qui n'a pas pour ambition d'exposer le dubstep mais qui, à la place, le transcende en l'utilisant comme un ingrédient et pas comme un modèle. C'est à un format chanson qu'il se voue et pas à un format club et ses chansons peuvent être fredonnées sans mal. Le chanteur Sampha, qui l'accompagnait déjà sur l'EP "Step in shadows" donne de la voix sur une majorité des pistes, dans un registre mélancolique à souhait et il est entouré d'un beau panel de voix (Yukimi Nagano, la chanteuse suédoise de Little Dragon, Jessie Ware et Roses Garbor) qui empêche les morceaux de se ressembler.


(Trials of the Past, featuring Sampha)

On penserait presque au trip hop de Tricky de ce point de vue-là si la musique n'était pas si stylistiquement différente du trip hop. Malgré le spleen très anglais qui déborde des mélodies et des arrangements électroniques (et qui rappelle effectivement la profonde déprime qui frappa de plein fouet la seconde moitié des années 90), c'est un mélange nouveau qui est proposé. Des années de musique électronique, dont une bonne partie consacrée au UK garage et aux basses, ont laissé une empreinte et si à une époque des artistes tels que Portishead métissaient jazz, hip hop et rock car c'était dans l'ordre naturel des choses, une évolution logiques des goûts, des mœurs et des techniques, aujourd'hui, un DJ comme SBTRKT crée sa musique selon la même logique darwinienne en jetant house (Pharaohs), wonky (Sanctuary, Go Bang) et dubstep (Heatwave, Wildfire) dans une marmite parsemée de northern soul et même d'un clin d’œil (voulu ou pas) à la pop (Right thing to do, qui somme comme du bon The XX).


"SBTRKT" n'est pas la réalisation d'un héros du dubstep, ni non plus un travail de génie. Ça n'est même pas un disque parfait de bout en bout. Pourtant, en proposant une correcte collections de chansons, ornées d'un masque séduisant, elles contribuent à rendre la musique électronique, et le dubstep en particulier, plus faciles à appréhender. Un étalon du pop-dubstep en même temps qu'un manuel de familiarisation à la musique électronique pour les débutants, en somme.


Joe Gonzalez

5 commentaires:

  1. j'étais fan du UK Garage il y a une dizaine d'années

    les productions de MJ Cole par exemple, Artful Dodgers, Dem2 ...

    et puis le Speed Garage me rend toujours aussi fou! (Booker T, Tuff Jam, Ripgroove ...)

    mon frère est fan de "bass music", il joue pas mal de dubstep mais aussi pas mal de classiques

    http://soundcloud.com/hybu

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  2. Massive respect to your work, Josh !

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  3. C'est sympa SBTRKT (à prononcer "Subtract" apparemment — ça aide aussi pour retenir le nom). Ça change du dubstep que l'on entend partout !

    + Le clip de "Wildfire" est le meilleur que j'ai vu cette année, je crois.

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  4. Article très intéressant sur un thème centrale aujourd'hui. Qu'est-ce que le Dubstep ? Est-il mort de nos jours ??? etc...
    Le dubstep (ou Dubsteppa dans les 90') est un style quand même définit. Pour moi, c'est la variante électronique du Dub, son évolution plus dance-floor et anglaise : Infra-basses, rythmes de drum'n'bass au ralentis, samples lancinants et envoûtant...........

    Bien sur, il a évolué depuis ses origines, comme tout style. Maintenant, on parle de Post-dubstep ou Néo-dubstep ou Pop-dubstep, au choix.

    Je suis désolé de te contredire Joe Gonzales mais cette vision "pop" du dubstep, ce n'est pas le "hypeux" James Blake qui en est dépositaire. En 2010, un groupe anglais nommé Darkstar a sorti sur LE label de référence Hyperdub son premier album "North", à la pochette industrielle rouge. Leur musique est typiquement Pop-dubstep avec chant, mélodie pop....Ils ont même repris Human League.
    Ils ont créé un dubstep coupé à la pop avant James Blake et en bien mieux. Je recommande chaudement ce disque !!!!

    "SBTRKT" est un disque pas mauvais mais pas excellent non plus. SBTRKT cherche des pistes intéressantes sans toujours aboutir. Une belle brochette de voix agrémente le tout. C'est un Dubstep qui s'oriente autant vers le r'n'b (mais de façon original) que vers la pop.
    Dans un esprit similaire (Pop-dubstep et r'n'b), il y a Jamie Woon avec son "Mirrorwriting" sorti en 2011. Pas un chef d'oeuvre mais beaucoup plus réussi à mes yeux que James Blake.

    Mais tout ceci est très subjectif....
    A + +

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  5. Tu as raison de mentionner Darkstar, dont le premier album tendait effectivement à tordre les codes du dubstep pour aller vers quelque chose de plus (synth)pop. Mais ce que je voulais dire par "Le premier à l'avoir fait de façon vraiment frappante" était qu'avant James Blake, aucun musicien n'avait réussi à véritablement convaincre avec cette formule (d'ailleurs la recette de Blake est très différente de celle de Darkstar, et meilleure selon moi, même si je n'accroche pas vraiment à l'un comme à l'autre) un public suffisamment large pour que le terme "populaire" ait vraiment du sens.

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