C'est entendu.

samedi 2 juillet 2011

[Alors quoi ?] "Bof... BAM. Hey ! Glam", dix années en quête des Pixies






Depuis une dizaine d'années, je poursuis une quête irrégulière de foi en les Pixies. Je veux dire par là que je n'ai pas aimé les Pixies la première fois que je les ai entendus. Ni la seconde non plus. La troisième fois, j'ai fini par me faire à l'idée de Where is my mind, que j'avais de toute façon appris à concevoir, depuis l'obligatoire finale de Fight Club. J'avais cependant un mal de tous les diables à comprendre comment la plupart de mes amis pouvait ne jurer que par eux. Je trouvais leur musique quelconque au pire, repoussante au mieux. Et pourtant, je voulais savoir. J'ai toujours voulu savoir. Permettez-moi de rompre le suspense assez abruptement mais aujourd'hui j'écoute les Pixies tous les jours et ils font partie de mes groupes de rock favoris. Il a pourtant fallu en passer par de nombreuses étapes avant d'en arriver là, et ce sont ces étapes qui rendent ce groupe spécial et indispensable à mes oreilles. Tous les artistes que j'ai un jour adorés, auxquels j'ai voué à un moment ou un autre un culte, tous, n'ont au départ suscité chez moi qu'une totale incompréhension ou un profond dédain. A part peut-être Blur, mais c'est une autre histoire.


(On dira ce qu'on voudra de Fight Club, ça reste un chef d'œuvre à côté de Benjamin Button et The Social Network)


Entre 2001 et 2003, je me suis rapproché de plus en plus du rock indépendant, et avec des amis nous avons commencé à apprendre à jouer de la guitare, histoire de singer nos idoles. Nous reprenions Where is my mind régulièrement mais je n'aurais jamais imaginé aller plus loin. Ceux qui chantaient Caribou ou Here comes your man me faisaient grincer des dents. L'un de mes amis n'écoutait pratiquement que les Pixies et à chaque fois qu'une soirée était organisée chez lui je lui demandais s'il n'avait pas AUTRE CHOSE à passer que des bootlegs du même éternel bon Dieu de groupe. En 2003, j'ai fait la connaissance d'une fille qui voyait en Kim Deal une sorte de modèle et elle entreprit de me convertir. A l'époque j'écoutais Led Zeppelin et Sparklehorse matin, midi et soir, entre deux doses nécessaires de Radiohead, et sa compilation eut sur moi l'effet inverse de celui qu'elle souhaitait : un rejet encore plus viscéral qu'auparavant motivé par une incompréhension encore plus grande. Sur la mixtape, peu de singles, beaucoup de faces B, de lives (Hang Wire où Kim semblait complètement camée) et des chansons des deux derniers albums, les plus difficiles à appréhender pour moi (mais ça je ne le savais pas encore). Je ne retenais plus ou moins qu'Isla de Encanta (live, elle aussi) qui me paraissait plus... pertinente que le reste. Et puis en 2004, j'étais à l'arrière de la voiture d'un ami, en route pour une gare que nous n'atteignîmes jamais : alors que nous fredonnions Gigantic, nous atterrîmes dans le fossé et heurtâmes une structure en béton reliant la route à l'autre côté du fossé. A pleine vitesse. Bam. De quoi vous passer l'envie de réécouter les Pixies.


(J'aurais bien illustré cette anecdote avec la photographie du véhicule ruiné ou des contusions consécutives au choc mais je n'ai malheureusement pas pris le temps de prendre des photos souvenir avant de partir pour l'hôpital)

Effectivement, pendant plusieurs années, je refusai d'entendre parler de ce groupe et me servit de l'incident routier comme excuse pour éviter de me confronter au problème que je m'étais moi-même posé quelques années plus tôt. Jusqu'à ce que me vienne la révélation circa 2009 : je n'avais jamais essayé, le plus simplement du monde, d'écouter un disque des Pixies du début à la fin. Seul, sans distraction ni préjugé, en choisissant les conditions (par quel disque commencer, quand et comment l'écouter) et en me laissant guider par le quatuor et personne d'autre. Monumentale erreur, comme dirait Jack Slater.

(S'il y a bien une chose que je n'ai jamais manqué d'admirer chez Franck Black, c'est sa capacité à sublimer l'espagnol - langue et imagerie - qui, sans lui, resterait pour moi un dialecte impossible à faire sonner correctement ou pertinemment)

Mon choix se porta naturellement sur "Surfer Rosa", le premier album, d'une durée assez longue (par rapport à "Come on Pilgrim", l'EP inaugural) pour affiner mon opinion, muni de quelques chansons déjà assimilées (Where is my mind et la néfaste Gigantic, qui m'empêcha bien trop longtemps d'apprécier les Breeders à leur juste valeur mais ça n'est pas le sujet). L'évidence de l'épiphanie ne me semble même pas nécessiter d'explication. J'eus très vite fait le tour de "Surfer Rosa" et trouvai en "Doolittle" une confirmation au-delà de toutes mes espérances. Après m'être fait à l'énergie adolescente et aux gimmicks qui faisaient la réussite du premier, dont le Vamos possède toujours mon âme et la fait danser au rythme des crissements de cordes de Franck Black, des hurlements électriques de Joey Santiago et du groove de Kim et David Lovering, après ça vint le reste, progressivement encore une fois (je n'ai fini par adorer Tame et Debaser qu'il y a quelques mois). A commencer par Mr Grieves, un grand pas supplémentaire en forme de reggae bâtard et aéré, un coup derrière la tête. Et Franck Black de résumer nos rendez-vous manqués en lançant :
Hey ! Been tryin' to meet ya...
Voilà qui est fait, Charlie, mais malgré toute ma bonne volonté (laquelle me renvoya aussi à "Come on Pilgrim", pour le meilleur, et à "Bossanova", dont je n'ai Dieu merci pas encore terminé l'exploration), je ne parvenais pas à comprendre "Trompe le Monde" (1991), le dernier album.


(La toute première apparition TV des Pixies, en 1988 pour la promotion de "Doolittle" avec dans la foulée Monkey gone to heaven et Tame)


Les pédales d'effets à l'œuvre dès les premières pages de "Trompe le Monde" sur la guitare, d'abord, puis sur la voix de Planet of Sound, furent les premiers obstacles, bientôt rejoints par d'autres, apparemment insurmontables, tels que le nombre de chansons et la grande variété de sons et d'ambiances les composant. Une première après les blocs monolithiques albiniens qu'étaient les premiers disques, même si "Bossanova" tendait à suivre cette direction, vers toujours plus de recherche. Indigeste, écœurant et une fois de plus... incompréhensible, "Trompe le Monde" (j'aurais dû commencer par lire le titre...) resta loin de moi quelques temps encore avant que je ne me force à m'y essayer il y a quelques semaines, la curiosité l'emportant une fois de plus.

Quelques titres vinrent alors corroborer ma croyance établie, à commencer par Subbacultcha, plus proche de ce dont j'avais l'habitude, avec en plus cette folle et simple idée de faire de Kim Deal l'ombre glamour du chant de Black, apportant ainsi du poids au dualisme des paroles et à leur double-sens ("I was all dressed in Black, she was all dressed up in black"). Vint ensuite U-Mass, parce qu'elle est simple comme tout et le déclic, alors : énormément de chansons sur "Trompe le Monde" sont plus simples qu'elles n'en ont l'air.


(Motorway to Roswell)


C'est en parlant avec Joe Chicago que j'ai compris ce qui m'avait éludé pendant si longtemps. "Trompe le Monde" n'est pas un disque d'indie rock, comme l'étaient les autres. Ça n'est même pas un disque de pop. Il y a bien plus d'ambition derrière ces 14 chansons que le groupe n'en avait montré jusqu'alors. Il ne s'agit pas de plaire ou de faire danser, il s'agit de SE plaire, de SE regarder dans la glace et d'arranger ses cheveux, de maquiller ses yeux et de porter du cuir. Il s'agit de devenir un surhomme, de changer le monde et la meilleure façon de changer le monde, l'Histoire l'a prouvé, c'est de le tromper, de lui faire croire qu'il sait déjà ce que l'on veut lui apprendre. C'est une théorie que d'autres avaient déjà mise en pratique par le passé. David Bowie le premier, et d'autres, comme Marc Bolan, affirmant au Monde sa valeur nouvelle comme si de rien n'était, convaincant à tours de bras les paumés, les moches et les grassouillets qu'ils avaient du sex-appeal. Pour tromper le Monde, on utilise des artifices, on cuisine de vieilles recettes, dont personne ne se méfiera, et on y ajoute quelque ingrédient nouveau. Le tour est joué. Bolan ne faisait que jouer des boogies. Comme John Lee Hooker. Mais ceux de T-Rex étaient survitaminés et sexuels. Bowie a offert au rock'n roll d'être le medium accepté via lequel travestir l'homme des années 70, banaliser sa part de féminité, et lui offrir quelques rêves de science fiction. Les Pixies, eux, ont bâti sur leurs propres fondations, sur ce rock 90's qu'ils ont plus ou moins défini eux-mêmes (et appris au chevet des meilleurs, dont les Minutemen me semblent les plus pertinents) et se sont même servis, en bons stratèges pop, de gimmicks plus connotés (le riff de guitare de U-Mass qui rappelle les 70's, la power pop 80's de Head on, et j'en passe) pour mieux tromper la vigilance de leurs auditeurs et les amener vers autre chose. Pour changer le son froid du rock indépendant qui en 1991 commençait à carrément s'endormir sur ses lauriers (pour rappel, c'est l'année de "Nevermind", l'année où le punk a éclaté au grand jour). La simplicité des compositions (les riffs menant de long en large U-Mass ou Alec Eiffel) permettait alors de séduire l'auditeur avant de lui proposer des arrangements plus ou moins inattendus, esthétiquement douteux puisque hors du commun, mais beaux, si beaux qu'à la fin de Motorway to Roswell, on se prend à chanter en chœur avec Franck Black, nos voix s'élevant comme une seule vers l'infini, dans une union poétique merveilleuse, célébrant l'homme qui commença à se diriger vers l'autoroute de la compréhension. La lente évolution qui amène l'album du punk rock abâtardi de Trompe le monde (avec son tapping très METAL) et Planet of Sound (que Franck Black chante depuis les fonds marins) jusqu'à cette outro encore plus majestueuse que celle de N°13 Baby (sur "Doolittle") participe de la création d'un album, véritable œuvre solide et monolithique. Du glam rock dans l'ambition qui le sous-tend et les thèmes qu'il aborde : le look et l'ambivalence, dans Subbacultcha ("I was wearing eyeliner, she was wearing eyeliner"), l'infini avec Motorway to Roswell, la science fiction un peu partout avec le thème de la Zone 51 et de Roswell, fil blanc de l'un des enregistrements les plus passionnants et les plus antinomiques à être issus du punk rock. Il m'aura fallu dix ans pour en déterminer les enjeux et pour en apprécier la beauté, vingt ans tout juste après sa parution. Il n'est jamais trop tard pour s'enticher d'un chef d'œuvre.


Joe Gonzalez

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