A la question qui m’a été posée en début d’année, à savoir quel style de musique je joue, j’ai répondu spontanément : une musique à la gloire du Surhomme. Non sans quelque volonté de provoquer de pseudo-anarchistes bourgeois à la solde de l’Empire, certes, mais avant tout dans une dynamique positive au nom de l’amour de la musique et de la franchise qui doit être partagée par tous, puisque nous sommes absolument tous de cette même espèce, qui se doit de pouvoir évoluer vers de plus nobles hauteurs. Ceux qui aiment trouver de vilaines significations aux belles choses s’empresseront de m’accuser et de me condamner. Ils exprimeront la rage de Caliban reconnaissant (ou pas) son visage dans le miroir. A ceux-là, je brandis mon fier majeur de jeune adulte pour introduire ou clore le débat.
Venons-en donc au fait.
Les acteurs principaux du mouvement d’origine britannique Glam Rock du siècle dernier, ceux qui y ont survécu corps et âme, s’ils n’ont pu changer le monde, ont contribué à l’évolution de la musique populaire. Ils ont été les défricheurs de nouvelles terres, les créateurs de nouveaux paysages, des réorganisateurs. Ils ont généreusement invité le public sur ces nouveaux terrains sans jamais renier l'origine de leur création. Ils l’ont invité à prendre part au bal. Ils ont pris le risque de montrer radicalement ce qu’ils étaient, ou ce vers quoi ils voulaient tendre. Certains les qualifiaient de poseurs, de fanatiques, voire d’imposteurs. Ceux qui auront eu la bonne idée de simplement écouter leurs œuvres ont compris de quoi il s’agissait. Entre 1971 et 1974, David Bowie a été le premier théoricien et praticien de ce mouvement qu’il n’a jamais prétendu inventer, mais dont son œuvre a fédéré les principales caractéristiques. Il a incarné dans la vie et sur la scène le Surhomme Glam qui pourrait être ainsi décrit en ses propres mots :
Maquillé, gaucher (il se regarde dans le miroir) Enchaîné à la vie dans une grave et perverse sérénité, un jeune homme à l’instar de Dieu.
David Bowie nous a mis en face de l’Homme qui a vendu le Monde et a permis à chacun en toute conscience d’en récolter les dividendes.
(David Bowie - The man who sold the World)
(David Bowie - The man who sold the World)
Partons du principe Nietzschéen que "sans la musique la vie serait une erreur", la voie/voix est donc ouverte pour l’avènement de l’Homo Superior.
Celui-ci est définitivement l’Homme contre le temps.
Il nous conte et nous chante des évangiles apocryphes et suggère de nouveaux sens à la Révélation. Il précise la Tradition. Il décode l’espace en fonction du temps qu’il s’acharne à rythmer, tel Kaalii dans sa danse destructrice et génératrice de nouveaux mondes. Ce phénomène effraie l’esprit conservateur qui maintient bon nombre de nos contemporains dans une paradoxale posture réactionnaire. D’ailleurs, ne qualifiait-on pas à tort le Glam Rock de rock décadent ?
Annonciateur d’Apocalypse (ne blâmons pas le Messager), il prépare une ère nouvelle. Il nous enseigne la science cachée au risque d’en éblouir certains à mort, il cesse donc d’être puérilement rock’n roll pour assumer le rôle de génocidaire. Accélérateur de particules, romantique à l'extrême il s’annulerait lui-même comme à l’inverse certains étranges poissons et fleurs s'auto-fécondent. Il s’assure cependant de répandre son parfum, qu'il aime et qu'il juge aimable car ses pensées sont comme des fleurs. Il accepterait parfois de trôner très peu de temps au centre d’un salon bourgeois et doucement se faner pour être remplacé. Ce serait une de ses chutes possibles. Il l’aurait choisie, cette chute-là, car il est libre. Libre de faire le mauvais choix, fort de sa foi en ses semblables. Car des Surhommes Glam, il y en a eu de tout temps, et il y en aura d’autres. Comme autant de prophètes glorifiés ou oubliés… "Des élus pour qui la beauté n’a d’autre sens que la beauté" (*1) sur cette terre prometteuse, l’espace d’un instant du moins, de l’adolescence mystique de l’espèce humaine, moment de grâce transitoire vers l’Age Adulte.
Pour reprendre la citation d’Oscar Wilde : "Ceux qui trouvent de vilaines significations aux belles choses sont corrompus sans être charmants. C’est une faute." Il y a une réalité antique, primordiale, dont le chant, bien que parasité, ne cesse de nous parvenir. Il y a ceux qui l’entendent et l’interprètent au risque d’être crucifiés, ceux qui reconnaissent le Swastika comme étant le plus ancien symbole de la sagesse universelle, un symbole tournant sacré, alors qu’une grande partie de la population occidentale y voit encore le symbole du Reich d’un faux prophète qui a généré à l’extrême la disgracieuse conception de la Nation d’un peuple-race dans l’histoire du 20ème siècle et qui continue plus que jamais à diviser les hommes. Le Surhomme Glam ose se soulever contre l'ignorance de ses contemporains et dénoncer l'hypocrisie. Il a cette dimension indubitablement mystique qui, n'en déplaise à certains puristes de la culture pop, n'est pas juste un délire poétique, une crise d’hormones ou de personnalité. Non, car quand le rock traditionnel aura tendance à nous maintenir dans l’enfance et les jupes de nos pères, contribuant en cela à l’infantilisme des masses occidentales, au nihilisme « no future » infécond du mouvement punk, et à l’intégrisme des musiques extrêmes avilissantes et fétichisantes, le Glam Rock valorise l’adolescence et nous invite à soulever les jupes de nos pairs et à redécouvrir le mystère des cathédrales et le merveilleux terrain de résonances qui existe dans les tunnels sidéraux qui mènent à l’Age Adulte : l’Age d’Or. "Mon ange, ne me laisse pas entendre que la vie ne mène nulle part." (*2)
Ce surhomme c’est donc peut-être un ange et un ange c’est beau comme un jeune homme, aussi beau que devrait l'être une femme. Donc un surhomme c’est un jeune homme, nous l'avions compris. Disons qu’il aura 22 ans pour toujours. Pour ne pas reconnaître sa dimension messianique on dira que le Surhomme Glam est un pédé. Pour ne pas se faire reconnaître trop vite il le laissera entendre comprenant qu'il peut être méprisé puis adoré de tous.
"Ses rêves en grand écran émeuvent et la fumée de sa cigarette trace une échelle." (*3) Ce serait celle de Jacob. Le mouvement des anges entre ciel et terre. De pédérastique, on ne pourrait retenir que la signification profonde du rapt de Ganymède : l’élévation de l’enfance par Zeus incarné en aigle (l’énergie intellectuelle), vers les sphères de la connaissance de l’Age Adulte. Ce voyage là encore, c'est l'adolescence. L'ange annonciateur de la mort dans "La Mort à Venise "de Thomas Mann, c'est un adolescent. Pourquoi ? Car l'humanité est en pleine adolescence, partagée entre la nécessité d'évoluer vers l'Age Adulte et la volonté de stagner dans les profondeurs de l'infantilisme suicidaire. Le Messager ne peut être qu’à son image et est confronté aux mêmes affres.
L'œuvre du Surhomme Glam qui prévient la chute des enfants-esclaves dans la gueule de Molech (en cela il peut être le vecteur d’une révolution politique et sociale) est donc partagée entre tradition et modernité. Il use de la première pour annoncer la seconde sans tomber sous le joug de la dictature de l’innovation et de la pensée unique/eunuque du Dieu-Marché. Il veut être cohérent et visionnaire de la façon la plus pertinente et la plus charmante qui soit car tel est le dur labeur du Surhomme Glam : assumer les polarités au risque de tomber dans la schizophrénie. Pour y échapper il peut soit créer son Doppelgänger derrière le masque duquel il pourra chercher puis dire la Vérité, soit partir en quête de son frère mythique. Les brillants et spirituels frères Mael (véritables frères de sang) des Sparks en sont un exemple aussi cocasse que probant pour qui "cette ville n'est pas assez grande pour que l'on y vive tous les deux" (*4) . Car il s’agit de ne faire qu’un. Recherchant ce frère jumeau primordial (thème traité dans le Popol Vuh, écrit fondateur de la mythologie Maya) il peut aussi perdre la moitié de sa vie dans une quête narcissique pour renaître à lui même comme l'a mis en scène John Cameron Mitchell avec sa comédie musicale puis son film "Hedwig and the Angry Inch", LE chef d'œuvre cinématographique Glam contemporain. Les promesses de cette recherche et fusion ne seront pas forcement tenues : L’amitié particulière entre Bryan Ferry et Brian Eno au sein de Roxy Music en est un exemple.
Celui qui était à l’origine c’était Bryan Ferry. Il avait le courage d’écrire les chansons. Il ne véhiculait pas seulement la classe mais il représentait explicitement le classicisme. A ses cotés Brian Eno, jouissant d'un physique androgyne futuriste, quasi-dieu égyptien, musicien inégalable puisque autoproclamé non-musicien. L’un mène l’autre à son idéal de réalisation le temps de deux albums sur le fil. Le superbe Eno, chéri puis puni de sa beauté et chassé pour être remplacé par l’angelot de substitution Eddie Jobson (comme Doug Yule a pu remplacer John Cale au sein du Velvet Underground en d’autre temps et pour d'autres raisons) entraînera la chute de l’un vers sa terre promise : Avalon pour Bryan sur laquelle ses fantasmes de femmes désirées, mises en couverture puis aimées trouvent le terrain idéal et malheureusement final de réalisation. Et de l’autre, Brian, continuant son ascension, annonçant les Chaudes Giclées, Conquérant Stratégiquement la Montagne du Tigre, suggérant la possibilité d’un Autre Monde Vert et définissant l’Avant et l’Après Science de la musique populaire. Il collaborera avec d’autres anges en quête d’incarnation adulte à la recherche des rythmes et du son primitif de la Terre et finira par produire de jolies abstractions et les pires supercheries populeuses. Aussi condamnable et fascinant qu’un Gilles de Rais moderne.
"Tous les dieux finissent par tomber" (*5) comme le scandait le dernier authentique prêcheur du Glam du 20ème siècle vivant en activité, Marc Almond sur son album de 1996 "Fantastic Star" sur lequel il parodie en forme de sincère hommage des riffs de Marc Bolan (accompagné de Neil X, David Johansen des New York Dolls et John Cale) deux ans avant que Marylin Manson/Omega ne s’y colle également pour son non moins fantastique album de revival Glam "Mechanical Animals" alors qu'au cinéma sortait "Velvet Goldmine" de Todd Haynes, conte fantasmé révisionniste Glam pour jeunes filles rusées, amatrices de mangas yaoi… C’était la "fin de siècle" dernier, tant attendu. Le millénaire suivant s'ouvrant avec la lente éclipse de David Bowie, les promesses non tenues de Brian Warner, les reformations fantomatiques et les tentatives infructueuses des vieux enfants du rock, les 30 ans de la mort auto-prophétisée de Marc Bolan et la création d’icônes en toc de plus en plus grotesques, absolument libérales-conformistes, petites filles sous-douées aux jambes courtes, maquillées comme papa jamais ne l'aurait osé... Une culture pop en plein rêve éveillé à qui l’on a insidieusement volé la possibilité de croire et d’espérer à un sauveur digne de ce nom.
(Marc Almond - The Idol)
Brett Smiley chantait : "Il arrive un moment où chaque garçon de l’espace doit descendre de son nuage et se fourvoyer avec un nouveau public." (*6) La dernière tentation du Surhomme Glam est de douter. Elle peut lui être fatale et la chute s'avérer mortelle.
Aujourd’hui il existe des écrits, des enregistrements sonores qui attestent de l'existence du Surhomme Glam et de son retour prochain. Certains n'y verront qu'un "clown de l'espace qui fait tomber le ciel lorsqu'il pleure" (*7) comme le décrivait Jobriath. D'autres fièrement se rendront à l’évidence et "commenceront tous à attester qu'il s'agit férocement de devenir Cavaliers" (*8) avec un accent Cockney Rebel.
A ce Surhomme qui sommeille en chacun je tiens à rappeler que "nous avons le droit de prendre l’Or, de concevoir une couronne et de s’en parer" (*9).
Aux heures avancées de la nuit à laquelle j’ai pu survivre en jeune adulte, j’ai des espérances mystiques et idiotes de réalisation pour tous et des visions de filles/swastikas dans la tête. "Ma seconde moitié me manque encore, cela doit être dû à quelques agissements du passé" comme le chantait Lou Reed. "Je tiens à vous dire que c'est un triste samedi soir solitaire." (*10) Vivement demain matin cependant car je sais où attendre cet Homme de pied ferme.
(Lou Reed - Goodnight Ladies)
Joe Chicago
Fondateur du G.L.A.M (Groupe Lumineux d'Actions Magiques)
Extrait des "Mémoires d'un Nouveau Croyant"
(*1) : citation tirée de l'œuvre d'Oscar Wilde
(*2) : Golden Years, sur "Station to Station", David Bowie, 1976
(*3) : 2HB, sur "Roxy Music", Roxy Music, 1972
(*4) : This town ain't big enough for the both of us sur "Kimono My House", Sparks, 1974
(*5) : The Idol (part 1 & 2 All God Fall), sur "Fantastic Star", Marc Almond, 1996
(*6) : Space Ace, sur "Brethlessly Brett", Brett Smiley, 1974 (réédité en 2003)
(*7) : Space Clown, sur "Jobriath", Jobriath, 1973
(*8) : Cavaliers, sur "The Psychomodo", Cockney Rebel, 1974
(*9) : No Substitute (you're so damned cute), sur l'EP "Whore" de Joe Chicago
(*10) : Goodnight Ladies, sur "Transformer", Lou Reed, 1972
Cet homme est soit génial, soit dangereux. Ce qui revient au même.
RépondreSupprimerBranlette.
RépondreSupprimerCet article te donne envie de te branler? T'es pas glam toi!
RépondreSupprimerTrès bel article qui explore des pistes inédites sur le sujet. We want more!
RépondreSupprimerThere will be.
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