C'est entendu.
Affichage des articles dont le libellé est post punk. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est post punk. Afficher tous les articles

vendredi 3 septembre 2010

[Comptez pas sur moi] Interpol - Interpol

En 2002, un grand album sortait de chez Matador Records, enregistré par un groupe alors inconnu. La pochette aux couleurs rouge et noir annonçait un disque à l'ambiance unique : "Turn On The Bright Lights." Il n'aura fallu que ces onze chansons pour déjà rendre Interpol culte (*1) et en faire une séquelle depuis si longtemps ardemment désirée de feu Ian Curtis et de sa Division de la Joie. Malheureusement, trois albums ont suivi et à chaque fois, ce fut une nouvelle déception et un rendez-vous supplémentaire pris chez l'oto-rhino. "Our Love To Admire" (2007), le troisième LP, sonnait le glas d'un groupe duquel on n'attendrait plus rien (*2), auquel on ne croirait plus, qui n'était plus qu'un magnifique souvenir, révolu.

"The new record falls back towards the first. [...] There was an effort in Daniel's guitar tone ; he rediscovered it playing in his loft space for a year without anybody.[...] It's back." (*3)
(Sam Fogarino, batteur d'Interpol, en 2009)


Malgré les airs flagrants de marketing publicitaire que peut laisser entrevoir cette déclaration, on osait redonner du crédit à ce groupe, une chance, une ultime chance ! C'est qu'il est difficile de les oublier et de les renier, de se dire que "Turn On the Bright Lights" n'était qu'un coup de chance. Cependant, une très mauvaise nouvelle est tombée quelques temps plus tard : Carlos Dengler, le génial bassiste junkie à qui l'on doit le riff de basse d'Evil ou encore celui d'Obstacle 1, quittait le groupe. Même si l'on peut lui reprocher une imagination de moins en moins fertile au fil des albums, il restait le membre le plus intéressant du groupe... si l'on oublie bien sûr qu'il est censé avoir eu le temps de signer (toutes ?) les lignes de basse de ce futur opus avant de partir.

Ce truc horrible est la pochette de l'album.

L'une des forces du groupe est qu'il a toujours su ouvrir ses albums de belle façon. Untitled, Next Exit et Pioneer To The Fall (seule chanson intéressante de "OLTA" ?) tapaient toutes juste. Success, la première track de ce nouvel opus n'a d'intéressant que l'ironie de son nom. Voilà une chanson qui ressemble à une parodie de ce qu'Interpol a fait de moins bon ; rien ne se dégage, aucune couleur ne s'installe. Peu après, Lights (premier single promo de ce LP) fait son apparition ; ses guitares lui permettent de sortir du lot, sa montée vers un climax jamais atteint lui offre une odeur particulière. Elle ne parvient pourtant pas à s'imposer au sein d'un album trop chaotique où, si l'on ose poursuivre son chemin, on tombe sur des inaudibles (Always Malaise, Safe Without) et on enjambe le cadavre qu'est All Of The Ways. Où Paul Banks et ses comparses veulent en venir avec cette pièce sans âme, je n'en ai aucune idée.

Lights, la seule chanson valable de cet album

Cet album vient confirmer une idée que j'avais depuis longtemps sur ce groupe. "Turn On the Bright Lights" était un album empli d'incertitude, de jeunesse, de craintes et d'une authenticité palpable. Voilà peut-être la raison pour laquelle on les a tant comparés à Joy Division : cet oubli de l'artifice, cette qualité dans la simplicité, cette pudeur qui se met à nu. Plus les années ont passé et plus Paul Banks donnait l'impression d'assumer sa voix (ce qui paradoxalement la rendait moins belle), Daniel (le guitariste), quant à lui, semblait prendre des cours chez Coldplay. Le groupe laissait derrière lui l'influence post punk qu'on lui supposait à ses débuts pour offrir une presque-pop indie digne des bacs de supermarché.

Barricade, une chanson (et un clip) à l'image de l'album

"Interpol" est un mauvais album. Les New Yorkais sont, en effet, retournés vers leur débuts mais en s'auto-caricaturant grossièrement. Voilà un album que n'importe quel fanatique de l'Interpol original aurait pu enregistrer dans son garage après quelques bitures. Voilà un album qui aurait du rester dans le garage du groupe. Voilà un groupe qui est définitivement mort et qui
n'est plus qu'un agréable souvenir.


Julien Masure







(*1) Entre autre bonne presse, à travers l'internet et la presse papier, et pour donner un exemple précis, Pitchfork, qui a donné un 9,5/10 à "Turn On The Bight Lights" l'a également choisi comme meilleur album 2002 et 20ème meilleur album des années 2000.
(*2) Le groupe lui-même a déclaré avoir légèrement renié OLTA, reconnaissant sa faible qualité.
(*3) Traduction : Le nouvel album retombe dans la direction du premier. Il y a eu une avancée dans la tonalité du jeu de guitare de Daniel ; il l'a redécouverte en jouant dans son loft, pendant un an, sans personne. C'est de retour.

jeudi 11 mars 2010

[Vise un peu] Liars - Sisterworld

Si nous étions du genre à apposer une censure préventive sur une chronique, du genre [Interdit aux moins de 12 ans] ou [Âmes sensibles, fichez le camp], "Sisterworld" serait forcément bardé d'une inscription avisant l'auditeur profane de la témérité requise à quiconque déciderait d'écouter un album de Liars, et plus particulièrement celui-ci.

Le terme post punk, de nos jours, est un brin galvaudé, même par nous autres rédacteurs de C'est Entendu. Utilisé autant pour définir la musique de groupes inspirés par les grands noms du mouvement original (comme par exemple Wetdog, qui pompe les Slits), que pour qualifier sans trop cogiter n'importe quel groupe de rock dont la basse est mise en avant. On a aussi tendance à faire l'amalgame entre le post punk et la cold wave, et alors on peut en arriver à estampiller de ce seau un groupe comme The Horrors, parce qu'ils ont l'air trop dark... Rectifions tout cela, si vous le voulez bien. Ce que l'on a appelé post punk, à partir de 1977-78, fut un mouvement (anglais majoritairement), consistant en une flopée de jeunes groupes nés sur les cendres fumantes du punk, rejetant son aspect primaire et abscons mais conservant l'esprit de rébellion qui l'avait fait naître afin de créer une musique souvent froide, menée par une tension pas toujours sous-jacente, mais aussi tournée vers l'expérimentation et le mélange permanent des genres musicaux. A ce titre, Wetdog, The Horrors, White Lies et tant d'autres ne jouent pas du post punk. Liars, si.


(Scarecrows on a Killer Slant)

S'il y a bien un groupe qui aura conservé depuis ses débuts (il y a bientôt dix ans) la même agressivité, la même intensité et cette esthétique si particulière, mêlant krautrock, shoegaze drone et punk au sein d'une ambiance horrifique, c'est bien le trio New Yorkais mené par Angus Andrew. La violence proposée par "Sisterworld" n'est pas toujours explicite, elle n'est pas comparable à celle exprimée plus clairement par un groupe lambda de grindcore ou de black metal, et pourtant elle est certainement plus maligne, distillée par bribes (Scarecrows on a Killer Slant, The Overachievers, le refrain de Scissor) quand elle n'est pas tout simplement en sourdine, ourdie dans l'ombre par les mecs de Liars, planqués dans une ruelle un masque de hockey sur la gueule, tels les schizos en mal de dos à transpercer qu'ils semblent être.



(Scissor)

En 2007 "Liars" avait été une semi-déception à cause de son approche plus directe et de son aspect plus hétérogène, mais avec "Sisterworld," le groupe semble retrouver une ambition à la mesure de son talent et l'on pense davantage au chef d'œuvre de 2005 ("Drum's not Dead") car outre l'apport salutaire aux arrangements de quelques cordes et cuivres (probablement la seule réelle nouveauté par rapport au précédents albums), Liars n'ont apparemment aucune difficulté à gérer l'ambiance glauque qui est leur marque de fabrique : pas question pour eux de sombrer dans l'auto-parodie. "Sisterworld" n'est pas une promenade en forêt, ou bien alors de nuit, par moins dix degrés, avec un dingue aux trousses, mais il n'est pas que ça. Liars ne se complait pas dans le pessimisme et "Sisterworld" se veut être un album réaliste traitant d'anticonformisme de différentes façons.

Imagé sur No Barrier Fun (en écoute sur votre gauche), le discours est traité avec un humour noir extrêmement efficace sur Scarecrows on a Killer Slant (Why'd you shoot the man with the gun?/Cos he bothered you!) ou encore sur The Overachievers (I bought a house with you/We settled down with CATS/There wasn't much to do/So we just sat and watched the TV) qui sont proprement entrainantes et communicatives, si tant est que vous les prenez avec un minimum d'ironie (dans le cas contraire, consultez).

Si la première moitié de l'album ressemble à s'y méprendre à une descente en rappel dans l'esprit malade que la voix nasillarde boudeuse et maladive d'Angus se complait à dessiner, le groupe ne manque pourtant pas de bonnes idées (le piano effrayant sur la fin de Drip devrait finir par vous flanquer la pétoche) et démontre même qu'il est capable de faire groover l'auditeur (Proud Evolution), le faire beugler (les "Hey Hey Hey" sur The Overachievers) ou même lui redonner un peu d'espoir, même si Too Much, Too Much n'est pas aussi rassurante que The Other Side of Mt. Heart Attack pouvait l'être en conclusion de "Drum's not Dead."


(Proud Evolution)

Avec "Sisterworld," Liars prouvent à ceux que leur quatrième album avait laissés circonspects (l'auteur de ces lignes y compris) qu'ils sont capables d'amener leur art plus loin, et de ne pas se prendre les pieds dans un tapis qu'ils sont les seuls à fouler. Et surtout, qu'avec une apparente aisance, ils proposent une musique qui ne court par les rues, qui ne courbe pas l'échine et ne se laisse pas aller à forniquer avec tout ce qui passe. L'existence de "Sisterworld" est, finalement, paradoxalement, rassurante.


Joe


Faites-vous peur pour 13.57 €