C'est entendu.
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jeudi 11 mars 2010

[Vise un peu] Liars - Sisterworld

Si nous étions du genre à apposer une censure préventive sur une chronique, du genre [Interdit aux moins de 12 ans] ou [Âmes sensibles, fichez le camp], "Sisterworld" serait forcément bardé d'une inscription avisant l'auditeur profane de la témérité requise à quiconque déciderait d'écouter un album de Liars, et plus particulièrement celui-ci.

Le terme post punk, de nos jours, est un brin galvaudé, même par nous autres rédacteurs de C'est Entendu. Utilisé autant pour définir la musique de groupes inspirés par les grands noms du mouvement original (comme par exemple Wetdog, qui pompe les Slits), que pour qualifier sans trop cogiter n'importe quel groupe de rock dont la basse est mise en avant. On a aussi tendance à faire l'amalgame entre le post punk et la cold wave, et alors on peut en arriver à estampiller de ce seau un groupe comme The Horrors, parce qu'ils ont l'air trop dark... Rectifions tout cela, si vous le voulez bien. Ce que l'on a appelé post punk, à partir de 1977-78, fut un mouvement (anglais majoritairement), consistant en une flopée de jeunes groupes nés sur les cendres fumantes du punk, rejetant son aspect primaire et abscons mais conservant l'esprit de rébellion qui l'avait fait naître afin de créer une musique souvent froide, menée par une tension pas toujours sous-jacente, mais aussi tournée vers l'expérimentation et le mélange permanent des genres musicaux. A ce titre, Wetdog, The Horrors, White Lies et tant d'autres ne jouent pas du post punk. Liars, si.


(Scarecrows on a Killer Slant)

S'il y a bien un groupe qui aura conservé depuis ses débuts (il y a bientôt dix ans) la même agressivité, la même intensité et cette esthétique si particulière, mêlant krautrock, shoegaze drone et punk au sein d'une ambiance horrifique, c'est bien le trio New Yorkais mené par Angus Andrew. La violence proposée par "Sisterworld" n'est pas toujours explicite, elle n'est pas comparable à celle exprimée plus clairement par un groupe lambda de grindcore ou de black metal, et pourtant elle est certainement plus maligne, distillée par bribes (Scarecrows on a Killer Slant, The Overachievers, le refrain de Scissor) quand elle n'est pas tout simplement en sourdine, ourdie dans l'ombre par les mecs de Liars, planqués dans une ruelle un masque de hockey sur la gueule, tels les schizos en mal de dos à transpercer qu'ils semblent être.



(Scissor)

En 2007 "Liars" avait été une semi-déception à cause de son approche plus directe et de son aspect plus hétérogène, mais avec "Sisterworld," le groupe semble retrouver une ambition à la mesure de son talent et l'on pense davantage au chef d'œuvre de 2005 ("Drum's not Dead") car outre l'apport salutaire aux arrangements de quelques cordes et cuivres (probablement la seule réelle nouveauté par rapport au précédents albums), Liars n'ont apparemment aucune difficulté à gérer l'ambiance glauque qui est leur marque de fabrique : pas question pour eux de sombrer dans l'auto-parodie. "Sisterworld" n'est pas une promenade en forêt, ou bien alors de nuit, par moins dix degrés, avec un dingue aux trousses, mais il n'est pas que ça. Liars ne se complait pas dans le pessimisme et "Sisterworld" se veut être un album réaliste traitant d'anticonformisme de différentes façons.

Imagé sur No Barrier Fun (en écoute sur votre gauche), le discours est traité avec un humour noir extrêmement efficace sur Scarecrows on a Killer Slant (Why'd you shoot the man with the gun?/Cos he bothered you!) ou encore sur The Overachievers (I bought a house with you/We settled down with CATS/There wasn't much to do/So we just sat and watched the TV) qui sont proprement entrainantes et communicatives, si tant est que vous les prenez avec un minimum d'ironie (dans le cas contraire, consultez).

Si la première moitié de l'album ressemble à s'y méprendre à une descente en rappel dans l'esprit malade que la voix nasillarde boudeuse et maladive d'Angus se complait à dessiner, le groupe ne manque pourtant pas de bonnes idées (le piano effrayant sur la fin de Drip devrait finir par vous flanquer la pétoche) et démontre même qu'il est capable de faire groover l'auditeur (Proud Evolution), le faire beugler (les "Hey Hey Hey" sur The Overachievers) ou même lui redonner un peu d'espoir, même si Too Much, Too Much n'est pas aussi rassurante que The Other Side of Mt. Heart Attack pouvait l'être en conclusion de "Drum's not Dead."


(Proud Evolution)

Avec "Sisterworld," Liars prouvent à ceux que leur quatrième album avait laissés circonspects (l'auteur de ces lignes y compris) qu'ils sont capables d'amener leur art plus loin, et de ne pas se prendre les pieds dans un tapis qu'ils sont les seuls à fouler. Et surtout, qu'avec une apparente aisance, ils proposent une musique qui ne court par les rues, qui ne courbe pas l'échine et ne se laisse pas aller à forniquer avec tout ce qui passe. L'existence de "Sisterworld" est, finalement, paradoxalement, rassurante.


Joe


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