C'est entendu.

samedi 3 décembre 2011

Swing Spleen #0


Cette rubrique consacrée au jazz sous toutes ses formes démarre aujourd'hui avec un premier numéro officiel mais elle n'est en réalité que la concrétisation du travail de son auteur, Bertrand Bruche, qui depuis bientôt un an, vous a servi, à raison d'un samedi par mois (environ) ses vues sur un genre musical qu'il serait dommage de laisser choir par la faute de préjugés. Le jazz n'est pas une musique "de vieux", ça n'est pas non plus une musique réservée aux élites, tout comme ça n'est pas un genre réservé aux noirs américains. A travers les numéros négatifs de Swing Spleen, Bertrand a mentionné des
classiques, des nouveautés, des constats, des serbes, des héros, et un peu de théorie, sans jamais s’appesantir sur une approche unique et en essayant, toujours, de vous amener par un moyen différent à mieux comprendre et aimer le swing, le bop et leurs attenants. A partir d'aujourd'hui, sa rubrique a un nom et un visage, et j'espère que si ça n'est pas déjà fait, elle vous amènera à vous ouvrir des perspectives inattendues.
Joe Gonzalez



par Bertrand Bruche
art par Jarvis Glasses


Petit détour par la Nouvelle-Orléans


Basin Street (Storyville) - New-Orleans
Les jazzeux snobinards oublient souvent qu'à l'origine, leur musique "savante", servait à accompagner des parties de jambes en l'air et à animer des bars empestant le whisky. C'est en effet à Storyville, quartier rose de la Nouvelle-Orléans que le jazz trouvera son premier public. Il s'agit à l'époque d'un quartier réservé aux bordels, aux cabarets et aux boîtes de nuit. C'est dans ce contexte, finalement très proche de la philosophie "sex drugs and rock'n'roll", chère à certains, que les premiers grands jazzmen se feront un nom.


Buddy Bolden est reconnu comme le plus grand de ces pionniers. La qualité de son jeu au cornet semble indiscutée, bien que l'on ne puisse se reposer que sur des témoignages pour l'affirmer. Ironie de l'histoire, il ne reste de l’œuvre de Bolden aucun enregistrement.

(Buddy Bolden & his band)

C'est en effet en 1917 que le premier enregistrement de jazz aura lieu. Détail amusant, ou signe déplorable d'une ségrégation raciale sans pitié, alors que le jazz est à l'époque une musique de "re-noi", née dans la plaie de l'esclavagisme, ce premier enregistrement fut réalisé par un groupe de musiciens blancs. L'Original Dixieland Jazz Band enregistre ce fameux disque à Chicago pour le label Victor Talking Machine Company. Sur ce 78 tours figurent les morceaux Livery Stable Blues et Dixie Jass Band One Step. Le succès rencontré par cet enregistrement est immense bien que la qualité du jeu soit un peu médiocre. Il aura néanmoins le mérite de faire connaître cette musique naissante au grand public.

(Original Dixieland Jazz Band - Livery Stable Blue)

Après un écolage dans les différents brassbands de la Nouvelle-Orléans, c'est en 1921 que Joseph Oliver créera son propre groupe : The Creole Jazz Band. Au vu des enregistrements que nous laisse ce trompettiste, on comprendra aisément pourquoi il fut surnommé "King Oliver". Sa formation est un exemple type du style Néo-Orléanais. Le cornet ou la trompette est l'instrument roi, celui qui est mis en avant. C'est elle qui va mener le morceau, alternant thème et improvisation. Une clarinette et un trombone accompagnent généralement le morceau, ponctuant les phrases de la trompette. La basse est jouée au tuba ou à la contrebasse, sur lesquels vient parfois se greffer un banjo qui joue une cadence régulière. La batterie rythme le tout, se contentant souvent d'interventions ponctuelles.

(King Oliver - Canal Street Blues)

Comme la plupart des artistes Néo-Orléanais, King Oliver et sa bande quittent la Nouvelle-Orléans après la fermeture du quartier de Storyville en 1917. Le Creole Jazz Band rencontre assez vite un certain succès et intègre une nouvelle recrue. En effet, un petit jeunot âgé d'une vingtaine d'année seulement est appelé à siéger à la droite du père. Il n'est autre que Louis Armstrong.

Louis Armstrong deviendra une figure emblématique du jazz, incontournable dès que l'on aborde le sujet. Les plus grands lui rendront hommage soulignant l'impact de son œuvre sur le genre tout entier. En 1925, Armstrong enregistre son premier album en tant que leader de groupe. Son Hot Five est, comme son nom l'indique, composé de cinq musiciens. Louis à la trompette virevoltant avec son phrasé délicat, sur un accompagnement irréprochable assumé par un piano, une clarinette, un trombone et un banjo. Par la suite, il complètera le groupe par une batterie et un tuba, et le rebaptisera Hot Seven.

(Louis Armstrong & his Hot Seven - Potato Head Blues)

Le style continuera à évoluer avec le temps, et sera notamment remis au goût du jour par un courant "revival" dans les années quarante. Les formations deviendront petit à petit plus imposantes et devront finalement être conduites par des chefs d'orchestres. Le son qui résulte de cette musique beaucoup plus codée sera significativement différent. Les orchestres éliront domicile dans les dancings pour animer les soirées endiablées de quelques américains blancs privilégiés, donnant naissance à ce que l'on appellera : l'ère du swing.

Ces enregistrements poussiéreux peuvent sembler désuets. Cependant, c'est dans cette musique et ces groupes mythiques que le jazz puise ses racines depuis plus d’un siècle, leur conférant ipso facto une dimension presque spirituelle.


Bertrand Bruche



P.S. : Conseil du chef : à servir au réveil, accompagné d'une tasse de café chaud, un jour brumeux.

2 commentaires:

  1. Bannière magique, pour la rubrique la plus smooth de CE. Une respiration devenue indispensable à mes yeux dans notre ligne éditoriale ! Que les dieux belges continuent, entre deux gorgées houblonneuses, à porter tes écrits vers nos contrées vinassières, Bertrand !

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  2. Une chronique sur le jazz qui commence par "Les jazzeux snobinards oublient..." ne peut être qu'une bonne chronique. Rendez le jazz au peuple !

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