C'est entendu.

vendredi 18 novembre 2011

[They Live] Festival Les Inrocks Black XS 2011

Comme annoncé, le festival des Inrockuptibles a continué en 2011 à étendre sa zone d'influence à de grandes villes françaises, portant à 7 le nombre de cités visitées où la bonne parole pop/rock/électro du magazine a distillé son best-of annuel face à un large public. C'est Entendu s'est déplacé à Paris et à Nantes et en a ramené souvenirs et impressions.





Nantes - 5 et 6 Novembre 2011 - Stereolux
par Maxime C.


1) Une confédération sociale incohérente

Dans sa volonté de séduction à grande échelle, le festival des Inrocks a rassemblé à Nantes un public hétérogène le samedi, et très jeune le dimanche. Samedi, la programmation bordélique (La Femme - synth punk / Cults - inidie pop Pitchfork / Laura Marling - folk/ James Blake - dubstep r'n'b) a amené quatre types de public et l'incohérence s'est faite sentir : pendant le concert de Laura Marling, on entendait le public parler, pendant Cults, les hipsters hurlaient en attendant James Blake : chacun était gêné de son voisin, en somme.

(James Blake pourrait fort bien faire la une d'OK Podium)

Lors du set de Blake, des anglaises post-adolescentes enamourées du bellâtre criaient "Marry me !" entre les morceaux, tout en continuant à piailler pendant que la musique jouait. Quel est le sens de venir à des concerts si ce n'est que pour se livrer à des batailles d'ego ? Dimanche, la programmation orientée pop sucrée dansante a attiré tous les jeunes de la ville, qui s'occupaient en alimentant un pogo triste, le regard soit vide, soit apeuré. Sous le coup de sa soif de popularité, le festival a sacrifié la qualité du concert au détriment d'un public irrespectueux et incohérent.

2) Un raté et quatre ratés

Comme à son habitude, le festival a voulu résumer avec un décalage certain ce que la hype avait produit en 2011 : on a ainsi pu voir Cults jouer la musique-type que Pitchfork classait dans "Best New Music" en 2010 - des guitares indie pop sous reverb’, une voix féminine noyée dans l'écho, des mélodies convenues, un concert qui se finit par une boucle de feedback gratuite, alors qu'il n'y avait eu aucun effet de ce genre pendant le set. Dans le même genre, en pire, citons tous les groupes de pop électro-dansante qui stagnent dans leur son vide d'idées et d'innovation depuis plusieurs années déjà : Friendly Fires, Morning Parade et Foster the People. Ces derniers jouent une pop sans risque, tranquille, pleine de ces mélopées qu'on entonne en chœur dans un stade ; Friendy Fires ont quelques bonnes idées de groove sec, mais elles sont toujours cachées derrière des sons bitchisants au possible, comme du post-disco pour boîte de nuit adolescente. Cependant, il faut noter la présence de La Femme, un groupe français que votre serviteur a raté (à regret) à cause d'une mauvaise information horaire sur le site du festival, alignés à sept derrière une flopée de synthés et des perruques blondes, débitant une superbe disco flippée aux accents punk et surf, jouée en courant dans un manoir (ça ressemble à peu près à ça).


(en photo, Friendly Fires, en musique, Foster the People, les uns pourraient remplacer les autres que l'on n'y porterait même pas attention)

L’un des artistes les plus attendus était Miles Kane (moitié des Last Shadow Puppets et leader de feu The Rascals) qui était en pleine forme et a déchaîné la foule au moyen d'un supershow très 70's, où tous les clichés étaient de la partie: l'entrée du groupe sur One of These Days de Pink Floyd (et au moment de l'explosion s'il vous plaît), un gros final pour chaque chanson, même les plus calmes, un batteur un peu con qui joue fort en secouant la tête. Dès le début, Miles s'est mis à courtiser le public, dansant tout près de lui, organisant des duels au décibel-mètre entre les parties gauche, droite, et gradins du public (pendant une minutes), répétant trois fois "This song is called ..." jusqu'à ce qu'il y ait suffisamment de bruit. Musicalement, ça ressemble aux Last Shadow Puppets en plus musclé, plus rock et moins bien ; en fait, Miles Kane lorgne vers la musique de stade : sa mégalomanie empêchera toujours sa musique d'évoluer, la contraignant à être une redite de son passé musical conforme à la demande du public.

3) Le cas James Blake et le double public

De nombreuses chroniques du premier LP de James Blake restaient dubitatives vis-à-vis de son talent et sa réputation oscillait de génie à usurpateur. Les concerts, dit-on, lui permettent de révéler son génie à la face du monde. Pour ma part, je suis toujours indécis : le beau gosse semble tout autant tenir du r&b moderne mièvre et supersensible que de la musique électronique abstraite et cela se traduit par des chansons instables destinées on ne sait trop à quel public : s'agit-il d'un compromis entre des perspectives intéressantes et la recherche d'un public plus large - qui était matérialisé ce soir-là par les minettes décrites plus haut - ou bien d'une application sincère d'une approche particulière de la musique - le r&b - à une esthétique particulière ?


(The Wilhelm Scream, ce soir-là)

Le fait est que par moments, les deux ingrédients sont parfaitement dosés. C'était le cas pour Limit to Your Love, qui a eu droit à une longue interprétation pleine de vide et de tension, pendant laquelle une rythmique de dub numérique - où la batterie s’armait d’un son dub à quelques bits près sans en conserver les clichés rythmiques, si bien que c'était à la fois dub et dubstep : du dubst - se frottait aux échos vaporeux de la voix de James, reflet gazeux d'un crooner fragile de synthèse, tandis que le piano laisse échapper sporadiquement des clusters presque free-jazz. L’un des rares moments réellement profonds du concert, en termes d'émotion et de transe, qui sont allés crescendo puis decrescendo au fil du show jusqu'à se terminer par un morceau bourrin et gratuit qui relâchait toute sa tension avant de l'avoir construite. Moment de grâce cependant : au milieu d'une chanson, tout s'arrête sauf la batterie qui reste seule, stoïque, froide dans sa duplication, et laisse espérer de longues heures de transe, corps suintant et cerveau liquide. (Ça n'est pas arrivé mais c'est l'intention qui compte comme on dit.)



Paris - 5 et 6 Novembre 2011 - La Boule Noire
par Arthur Graffard et Joe Gonzalez


1) Le style avant tout

Pour qui a gardé un émerveillement intact pour ces choses là, l’intérêt de voir trois groupes le même soir dans une salle exigüe comme celle de la Boule Noire tient dans l’embouteillage d’instruments sur la scène dès l’ouverture. Avec déjà des indications sur les concerts à venir ; deux Fender Jaguar (elles serviront à Yuck), un violon (légère appréhension), des fils et des amplis de partout. A l’extérieur c’est la cohue entre les deux salles voisines – La Cigale accueille elle aussi le festival ce soir-là avec Miles Kane en vedette – et le public de hipsters tant redouté est bien là, toujours aussi insupportable au premier abord et d’autant plus haïssable que l’on sait bien qu’au fond on en fait aussi partie. A cet égard la salle est parfaitement conçue pour se trouver beau quelle que soit sa place, avec ces bancs tout le long d’une salle étroite faisant front à une rangée de miroirs parcourant tout le mur opposé. Puisque les concerts indie-rock sont de plus en plus en plus des concours de style, on peut apprécier à loisir son niveau de cool comparé à celui des autres. Par ailleurs de la musique rock est prévue plus tard en soirée.

2) Les anglais se suivent et ne se ressemblent pas

Venus de Newcastle, Lanterns on the Lake est le premier à investir la scène. Correct sur le coup, mais pas assez pour donner envie de les écouter chez soi : un son trop riche, avec un violon, instrument honni tout à fait rédhibitoire dans ce type de formation. Laissons cette chose à des génies tels Owen Pallett, le monde ne s’en portera que mieux. L’ensemble reste honnête mais ne décolle pas malgré un public attentif qui en dépit de tout le mal que j’en pense sait apprécier la musique, et c’est le principal. Comme en championnat anglais, les Magpies squattent la troisième marche du podium.


(Mechanical Bride - Colour of Fire, ce soir-là)

Le set de Mechanical Bride constitue assurément une amélioration. Emmenés par Lauren Doss, le groupe de Brighton assure une prestation assez réussie pour qui supporte avec foi le style Bat For Lashes. Pris un à un les morceaux sont plutôt bons et le groupe prouve encore une fois que le plus simple est toujours le mieux : leur chanson la plus marquante est sans conteste une ritournelle de deux minutes construite sur le seul accord de mi majeur. Pas vraiment dans mes cordes, trop égo-centré et répétitif à mon goût mais la salle accroche. Un type derrière moi voit en elle "la nouvelle Joni Mitchell". Mouais. C’est enfin au tour de Yuck de brancher ses amplis. Si les deux premiers groupes ne mobilisaient que partiellement l’attention, le public se fait compact et tendu dans l’attente des anglais installés désormais dans le new-Jersey – une soirée décidément squattée par les formations d’outre-manche.

3) Indie-rock et tradition font parfois bon ménage

Et le miracle s’accomplit : A peine les quatre musiciens sont-ils arrivés et l’on sent que la soirée sera réussie. Le concert commence par un très long larsen qui donne immédiatement le ton : sans fioriture au niveau du son ou du style (un non-jeu scénique). Pas de ces simulacres de rebel-attitude désormais insupportable alors que le rock semble être devenu une mode vide plus qu’une musique dans l’esprit de beaucoup. Ce qui pose la question cruciale de l’impact culturel et politique que peut encore avoir cette musique fatiguée et rattrapée par un conformisme omniprésent. Passons, je ne veux pas vous pousser au désespoir, le concert de ce soir a au moins l’avantage de démontrer que tout n’est pas perdu. Le set est efficace, visuellement classe – Pour le coup l'une des plus belles frontline de la Premier League 2011 avec son alignement de fender et de musiciens coolos. Avec une mention spéciale au chanteur-guitariste Daniel Blumberg (ou plutôt co-chanteur-guitariste) qui porte à la scène une désinvolture à la Dylan du plus bel effet, autant dans ses riffs que dans son chant trainant et paresseux. Un branleur quoi, tout ce qu’on aime.

(l'indie rock en 2011 tourne le dos à son passé pour mieux faire cracher les amplis)

Bien sûr Yuck ne fait que ramasser le son là où des grands groupes 90’s l’avaient déposé (Dinosaur Jr….). Excellents dans les passages les plus durs, le groupe souffre de lourdeurs lorsque les mélodies se font trop lisibles. Un défaut qui explique aussi que le disque n’arrive pas à la cheville de leur prestation scénique et qui est renforcé par des paroles trop auto-émo-centrées. Loin du néo-shoegazing d’il y a déjà deux ou trois ans, Yuck convainc au moins sur scène. Les voix sont certes voilées et les guitares pastichent le vieux son de Seatle mais au final l’ensemble est juste et parfaitement jouissif dans une petite salle à la chaleur suffocante comme la Boule Noire. Et il y a surtout cette merveilleuse sensation éprouvée devant un groupe qui ne semble souffrir d’aucune déférence envers ses glorieux ancêtres là où nombre de revivals rock ne sont justement rien d’autres que de pâles erzats des frissons passés. Daniel avait prévenu : pas de rappel et Yuck s’y tient. Pourtant bien après la sortie du groupe les amplis continuent d’agoniser longtemps et nous offrent la situation surréaliste et magnifique de l’intégralité du public écoutant trois longues minutes de bruit saturé en fixant une scène vide.

4) Je vous laisse le choix dans la langue

Le lendemain, il n'y a rien à retenir si ce n'est le superbe concert donné par Frànçois & the Atlas Mountains, probablement le groupe le moins décevant du festival tel que nous l'avons vécu puisque comme lors de la Route du Rock, le set proposé était à la mesure du talent de ceux qui sont, rappelons-le la toute première signature française sur le label Domino. Dansant en permanence, chorégraphiant simplement ses mélodies et communiquant au public de la Boule Noire une irrésistible bonne humeur, née de la rencontre entre la langue française, les rythmes africains et le psychédélisme américain, le groupe a ainsi offert une prestation encore plus enthousiasmante qu'en Bretagne, malgré un son moins propre et un décor moins glamour que la plage de St Malo.


(Soyons les plus beaux, l'une des meilleures chansons du nouvel album, dont la seule faute de goût sur scène réside dans les choeurs indie lyriques à la Shearwater qui polluent sa naïveté)

Un constat s'impose cependant : la plupart des chansons jouées ce soir-là sont chantées en français par un Frànçois au sommet de son art. D'excellentes compositions qui amènent la langue de Molière là où personne à ma connaissance ne l'avait fait : sur les terres d'un psychédélisme teinté d'afrobeat mais conservant on ne sait comment ce parfum de Côte Atlantique qui poursuit le groupe (et c'est tant mieux, une telle caractéristique synesthétique "à la Proust" est une indéniable valeur ajoutée). Pourtant, sur le nouvel album du groupe, "E Volo Love", la majorité des chansons est chantée dans la langue de Shakespeare, ou pour reprendre la métaphore filée précédente, dans celle d'Alex Ferguson. Faut-il y voir une ingérence de Domino du type "pour que le disque se vende bien il faut qu'il se vende ailleurs qu'en France, alors on va mettre en avant vos chansons anglophoniques, deal ?" ou un choix du groupe ? J'ai tendance à opter pour le premier choix et à déplorer ce dernier. J'ai eu envie d'acheter le disque après ce concert et, voyant la setlist, n'y retrouvant plus cette fameuse chanson dont les couplets s'entament sur des "Considères-tu qu'il faille...", j'ai hésité. Et préféré attendre de la part de Domino la parution d'un EP ou d'un autre LP qui fasse de ces chansons un bien de consommation plus courante que lors des concerts des Atlas Mountains qui, apparemment, savent qu'ils sont meilleurs dans leur langue d'origine lorsque Frànçois joue avec elle et qu'eux transportent l'indie pop autour d'un feu de camp africain ou dans un club anglais (le final de Piscine était à ce titre encore plus prenant cette fois-ci).

(photo : Mauro Melis @ Le Transistor)



Epilogue

Le festival des Inrocks ça n'était pas que ça. Il y a eu notamment le 7 novembre une soirée très attendue à laquelle nous n'étions malheureusement pas présents mais où trois générations de hypes féminines labellisées 2011 se succédaient par ordre de valeur médiatique (Le Prince Miiaou, Anna Calvi, EMA) et le festival a sillonné la France en amenant sur un plateau sa conception d'un best-of annuel à ceux qui n'ont pas forcément l'occasion de l'apprécier au jour le jour (pensons aux indie kidz de Caen et Toulouse, par exemple). L'édition de cette année était certes un brin bordélique (avec des plateaux parfois très hétéroclites) et on y a certes vu beaucoup de fonds de tiroir, mais comme chaque année, le festival est l'une des meilleures chances que nous ayons de juger comparativement des hauts et des bas de douze mois de charts indés et de hypes incompréhensibles. On y sera bien entendu en 2012 pour y voir Lana Del Rey et ses grosses lèvres, Factory Floor en full DFA et peut-être Chairlift en tête d'affiche.

2 commentaires:

  1. J'ai écouté le dernier album de Lanterns on the Lake hier, par curiosité. Hé bien il ne donne pas envie d'aller les voir en concert ! C'est pas moche, pas dégueu, mais comme on le devine un peu dans la chronique, il manque un truc pour que ça captive vraiment et c'est pas original pour un sou.

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  2. Si vous voulez revivre le festival depuis votre canapé, Arte Live Web peut vous aider :

    http://liveweb.arte.tv/fr/video/James_Blake_au_Festival_des_Inrocks/

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