Vous ne savez pas qui est Laura Kennedy et moi non plus je ne la connais pas mais elle est morte il y a trois jours et ça craint du boudin. Laura était la bassiste du groupe new-yorkais Bush Tetras, formé autour de Pat Place, une ex-guitariste de James Chance et qui entre 1980 et 1983 allait faire partie de l'éphémère et passionnante scène no-wave, à NYC. De l'amas en fusion de guitares désaccordées et de basses groovy qui constituait cette musique, Bush Tetras conservait l'esprit (DIY, lo-fi et rentre-dans-le-lard) mais empruntait au post-punk anglais de Gang Of Four et au funk décadent de James Chance une certaine notion de structure rock et un jeu de jambes particulièrement prononcé. Leur single Too many creeps paru en 1980 se vendit plutôt bien et le second, Rituals, fut produit par Todd Headon (le second batteur des Clash, celui qui était là quand il fallait). Ces succès très underground ne suffirent pourtant pas à faire du groupe autre chose qu'une inspiration pour de futurs musiciens new yorkais et le groupe splitta en 1983 en publiant une hétérogène mais indispensable cassette compilant leurs divers enregistrements : "Wild Things".
(Too many creeps, le premier single)
Enregistrements live (comme sur l'excellente Boom) ou simplement lo-fi, les pépites présentes sur cette compilation (dont les deux singles précités et un troisième, le très britannophone Can't be funky) servent à la fois à comprendre les contours musicaux dessinés par le quatuor et à saisir les raisons de leur incapacité à connaitre un véritable succès commercial (principalement : leur son qui, même sur Can't be funky les empêche de prétendre à l'étiquette New Wave, synonyme de chance de gagner de l'argent à l'époque).
Le groupe s'est par la suite reformé au milieu des années 90 (et publié un véritable album dont j'avoue volontiers ne pas avoir cherché à jauger la qualité) puis il y a environ un an pour donner des concerts à New York, mais avec la mort de Laura Kennedy (suite à une malade du foie), le groupe est sans doute fichu et c'est une plaie. Pourquoi ? Parce que ces musiciennes n'auront somme toute jamais reçu la reconnaissance qu'elles méritaient (à l'écoute de "Wild Things") pourtant au même titre que d'autres acteurs de la vague no. Parce que Bush Tetras était un groupe inspiré et, bien que totalement souterrain, inspirateur à plus d'un titre.
(Can't be funky)
Bien sûr il y a la célèbre compilation "No New York" réalisée par Brian Eno et qui rassemble quatre groupes plus ou moins emblématiques (James Chance, Teenage Jesus & the Jerks, DNA et MARS) et bien sûr le label Soul Jazz qui avec les recueils de son anthologie "New York Noise" a su raviver l'esprit d'une époque. Mais en définitive, qui se souvient aujourd'hui des Bush Tetras ? Je ne parle pas du quidam croisé au coin de la rue mais même des fanatiques de musique rock parmi vous. Combien parmi vous avaient entendu la musique des Bush Tetras avant ce matin ? C'est quelque chose de parfaitement naturel et compréhensible, il est dans l'ordre des choses que certains parviennent jusqu'à nous et d'autres non, mais ça n'est pas toujours une question de talent (Bush Tetras me semble plus intéressant que MARS par exemple, voire qu'une bonne partie de l’œuvre de Lydia Lunch). La chance joue énormément, et assurément, le groupe aurait eu une autre carrière si Brian Eno les avait sélectionnés pour sa compilation. Au lieu de ça, nous voici 30 ans plus tard et c'est avec un mélancolique enthousiasme que je vous propose de découvrir un recoin obscur de la ville de New York, où des musicien(ne)s se sont rassemblé(e)s un instant pour faire remuer des corps et saigner des oreilles. J'espère que vous apprécierez autant que moi ce plaisir archéologique... punk.
Joe Gonzalez
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