C'est entendu.

mercredi 28 septembre 2011

[Vise un peu] Emptyset - Demiurge

L'évolution de la technique doit-elle dicter l'évolution de la musique électronique ? Je ne le crois pas. Pas seulement en tout cas. De toute façon, aujourd'hui on peut en faire tellement avec le matériel existant. Ça n'est plus comme dans le temps, lorsque l'apparition d'un nouveau Moog, d'un nouveau Roland, amenait forcément l'émergence d'un nouveau son et par là, d'une nouvelle mentalité. Aujourd'hui il s'agit davantage de conceptualiser les possibilités offertes par la technique. Ou en tout cas je le conçois ainsi, et James Ginzburg et Paul Purgas, deux artistes de Bristol, dans le Sud de l'Angleterre semblent s'accorder à ma vision des choses.

Ne lâchons pas de noms-composés qui fâchent, il ne s'agit pas ici de post-techno. La musique d'Emptyset est une techno qui n'est ni vraiment minimale, ni de l'Intelligent Dance Music. C'est une musique de textures et de sons, introspective et violente, à sa façon. Qu'il convient d'écouter à un volume suffisant pour la ressentir car elle est insidieuse et terriblement facile à comprendre si l'on s'en donne les moyens. "Demiurge" est linéaire et universel, il raconte l'histoire d'une création, de la domestication d'un son naissant (Departure) par l'artiste. Ce son ne sera pas beau, qu'on se le dise, c'est une terre glaise aride et peu commode née du néant et dotée seulement d'une violence réglée. Une non-vie automatisée que l'on pourrait décrire par le terme industriel. Son rythme est semblable à la cadence hachée d'une machine de grande production et les sons qu'elle émet sont a-mélodieux et robotiques, ceux d'un outil (Function), et non pas l'expression humaine d'une psyché. Pourtant, ce paysage inhumain se voit graduellement façonné, et au fil des minutes, la succession imprévisible de 1 bruyants et de 0 d'un silence assourdissant paraissent s'éveiller à un certain degré de conscience, d'intelligence (l'envol se fait avec Plane). A partir de là, un assemblage sonore qui semblait incapable de produire transe, groove ou mélodie prend enfin de l'ampleur et les deux musiciens insufflent à leur création une intelligence et une sensibilité ascendante de la répétition ordonnée qui amène la danse (Point).


(Function)

La créature-objet qu'expose le duo reprend alors temporairement ses droits sur le scénario de développement qui lui est imposé et l'on assiste à un retour non pas à l'animalité de l'être domestiqué mais, puisqu'il s'agit d'une créature de sons, un mécanisme ou une mécanique, à une résurgence de l'automatisme du geste, une "bête" cadence dont l'absence de réflexion impose un bruit assourdissant d'usine (Return). C'est cependant le démiurge, c'est à dire le Créateur (ici l'Homme, ou bien l'Art) qui reprend la main en donnant forme à l'objet de Sa réflexion, une forme tangible, acceptable car discernable (Sphere, puis Structure où l'on a l'impression d'entendre le son changer, se transformer avec violence). Lorsque la créature atteint un degré suffisant de plénitude, elle peut alors s'élever avec confiance et avancer d'un pas lourd et fier, autonome (Tangent). Pourtant, le cœur du discours d'Emptyset se loge dans l'ultime chapitre de leur scénario, Void, où l'on observe la créature de son dériver d'autonome vers automate, un pantin articulé d'un nouveau genre, libéré par le Créateur, libre de n'être rien, rien que rien. Cette dernière piste, volontairement terne, démoralisante, tourne en rond, ne va nulle part et brise tout l'élan pris par le démiurge et sa protégée, comme un symbole fort, peut-être trop naïf, de la nature fondamentalement avilissante de toute domestication d'une création, qu'il s'agisse de la foi meurtrière des hommes, de la démocratie et de son Empire du Bien ou de la propagation d'un son, d'une idée ou d'un style et de son inévitable récupération corrompue subséquente. "Demiurge" raconte une idée, une vie, de son émergence à sa décadence, sans user d'autres mots que quelques titres indicatifs et sans autre medium qu'une série de sons hors de toute idée de mode, d'attractivité ou de gimmick. Des bruits, des silences, une histoire.



(Sphere)

La techno minimale a souvent tendance à capitaliser sur les acquis d'une musique électronique presque centenaire tout en ne se focalisant que sur les trente dernières années de son existence. Ainsi naissent des créations minimalistes, visions personnelles (parfois trop) de ce que l'electro peut être une fois sortie du cadre club. Ce sont souvent de petits tableaux et même lorsqu'ils sont jolis, rarement ceux-là ont-ils valeur de toile de maître. "Demiruge" ne mérite peut-être pas davantage le qualificatif mais l'accomplissement d'Emptyset réside dans la tentative ; la tentative de dépasser le strict cadre du canevas minimal, personnel, petit. Tout comme d'autres artistes de la même génération, Emptyset transcende la création électronique par le simple (mais apparemment hors de la portée du plus grand nombre) fait de s'essayer à une plus ambitieuse peinture. Une œuvre plus large, plus universelle et plus intéressante. Est-ce là encore de la techno ? Je crois que oui. Une techno futuro-situationniste, qui doit autant à Luigi Russolo qu'à Guy Debord et qui propose plus qu'une "simple" musique électronique.


Joe Gonzalez

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