C'est entendu.

lundi 20 juin 2011

[Fallait que ça sorte] Gum — Vinyl Anthology

"Endtroducing…" de DJ Shadow est encore aujourd'hui reconnu (par le Guiness des Records, entre autres) comme le premier album à être entièrement constitué de samples. Pourtant, ce n'était pas la première œuvre à être composée exclusivement à partir d'enregistrements existants : Andrew Curtis et Philip Samartzis avaient déjà enregistré "Vinyl", un album composé uniquement à partir de vinyles manipulés, en 1987… et ça n'avait rien à voir avec le hip-hop. C'était beaucoup plus inécoutable que ça.

Le concept de base de Gum était tout simple : faire des expérimentations avec des tourne-disques et des microsillons rayés ou défectueux, et Curtis et Samartzis n'ont pas dû être les premiers à le faire. L'idée était venue à Philip Samartzis à partir d'un vinyle de Brian Eno qui bloquait sur un sillon — ce même Brian Eno qui, sur une carte de ses "Oblique Strategies" (jeu de cartes conceptuel confectionné en collaboration avec Peter Schmidt et comportant, sur chaque carte, une instruction ou une idée pouvant aider à résoudre un dilemme), reprenait l'adage de John Cage : "La répétition est une forme de changement"…


(Stormy Weather)

"La répétition est une forme de changement", et c'est ce qui fait en grande partie l'intérêt de la musique de Gum — la découpe, la répétition mais aussi la superposition et toutes sortes d'autres altérations (on imagine que Gum a dû maltraiter un important nombre de platines et de disques), fondements d'une esthétique plutôt punk et parfois provocatrice. Mais il ne s'agit pas que d'actes de création par la destruction : le bruit de surface et autres sons inhérents à la manipulation des disques et platines font partie intégrante de la musique et en deviennent même l'un des éléments principaux. La première piste de "Vinyl", Stormy Weather, semble ainsi entièrement faite de textures : celles de la pluie et du tonnerre enregistrés sur le disque original, celle du bruit de surface du disque, au final une superposition de matières sonores qui semblent incroyablement présentes. Ailleurs sur l'album, on croirait entendre des machines tourner à fond (Sporadic Acts of Violence, Involuntary Orgasms During the Cleaning of Automobiles) ; d'autres pistes encore pourraient passer pour du dark ambient (Outfits for Agony, Fear). La variété de sons est tout à fait appréciable et en fait un disque à la fois difficile d'accès (ça reste du bruit et des disques qui sautent) et, l'absurdité quasi-comique de certaines superpositions aidant, étonnamment ludique.


(Sporadic Acts of Violence)

Si le modus operandi de Gum peut paraître irrévérencieux vis-à-vis des enregistrements originaux (cf. TV Eye), on peut aussi y entendre une sorte de vénération du format vinyle, du son et de la matière même des disques, traités comme autant de matériaux par les deux musiciens. (On pourra d'ailleurs voir d'autres références à la matière du vinyle dans les noms mêmes du disque et du groupe, voire dans le fait que les deux premières éditions de "Vinyl" comportaient — gimmick racoleur ou parallèle malin ? les deux ? — des photocopies de photos fétichistes éditées dans un magazine du même nom que le groupe.)


(TV Eye : Foutage de gueule éhonté ou réinvention mutine ?)


(La version originale des Stooges.)

"Vinyl" est épuisé depuis belle lurette, mais le label 23five a eu la bonne idée de rééditer l'intégrale des enregistrements de Gum (y compris des inédits) sur le double CD "Vinyl Anthology". Le premier CD comprend l'album "Vinyl", deux pistes tirées des mêmes sessions d'enregistrement, ainsi qu'un live d'une vingtaine de minutes qui commence et finit par Stayin' Alive des Bee Gees, avec énormément de bruit entre les deux, incitant quelqu'un dans le public à lancer "Play some music!" — exemple de l'esprit un peu potache du groupe. Lequel se retrouve sur le deuxième CD (où le groupe se met à utiliser d'autres sources que les disques), notamment sur 1-800-GUM (inédite basée sur un enregistrement de téléphone rose et des musiques qui pourraient provenir de films érotiques — conceptuellement marrante, mais pas la plus intéressante du lot) et sur une déconstruction du TV Eye des Stooges qui bloque sur les premières secondes de la piste, changeant le "LOOOOORD!" d'Iggy Pop en une sorte de drone et coupant court à toute l'instrumentation rock, qui n'apparaît que massacrée et par soubresauts (la piste fut envoyée à Au Go Go Records pour figurer sur la compilation-hommage "Hard to Beat" — et fut rejetée par le label. On comprend aisément pourquoi). "Vinyl Anthology" comprend également l'excellente Banning, qui ne dure pas moins de vingt minutes, mais aussi le deuxième et dernier album du groupe, "20 Years in Blue Movies and Yet to Fake an Orgasm", composé de deux pistes d'un quart d'heure chacune, la dernière étant une reprise de Blood on the Floor de Throbbing Gristle (Curtis et Samartzis s'étaient à l'origine rencontrés à travers leur passion commune pour la musique industrielle), plus bruitiste et dix fois plus longue que l'originale. (Dommage que la voix du chanteur n'égale pas celle de Genesis P-Orridge.)

On pourra trouver que la musique de Gum était parfois inégale voire un peu facile (et "20 Years in Blue Movies and Yet to Fake an Orgasm" est moins bon que "Vinyl") ; mais si l'on aime le son lui-même, les expérimentations et les textures, il y a largement de quoi se réjouir sur cette collection, une belle trouvaille pour les amateurs !


— lamuya-zimina

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