C'est entendu.

mardi 1 mars 2011

[They Live] Trois frissons et un entêtement (Owen Pallett et compagnie au Café de la Danse)

Ça n'est pas parce que l'on se devait d'y être que ça donnait d'air à une corvée. Aller voir Owen Pallett (Album de l'année 2010 pour C'est Entendu et élu dauphin par les lecteurs) au Café de la Danse, surtout pour ceux qui ne l'avaient encore jamais vu sur scène (l'auteur de ces lignes y compris), provoquait même des remous d'impatience chez les fans. Une impatience que l'on dut mettre en sourdine puisqu'avant l'arrivée d'Owen, deux autres groupes étaient programmés.

Placides, certes, mais pas livides

Karaocake a sorti son premier album en 2010. C'est un trio français composé de Domotic (qui produit par ailleurs une electronica molle et pépère plutôt réussie, je vous conseille au passage Cyclatron, la première chanson de son album de 2002, "Bye Bye") à la basse, de Charlotte Sampling (qui est un homme) au clavier et d'une chanteuse, Camille Chambon, qui joue aussi du clavier.


(It doesn't take a whole week)

La découverte sur le tard (quelques jours avant le concert) du premier album de Karaocake était plutôt réjouissante car, si de l'EP sorti auparavant n'était pas resté grand souvenir (peut-être à tort, il faudra s'y repencher), les chansons de "Rows and Stitches" nous avaient donné envie de voir le groupe sur scène, sans pour autant nous préparer à leur apparence. A l'écoute d'un premier album si réussi et plein de fraicheur (dont je vous reparlerai bientôt d'ailleurs), nous avions en effet stupidement pensé voir sur scène soit un duo soit un quintet de jeunes gens au look de hipsters assumé quand que nenni, ce sont trois trentenaires aux visages fermés et aux looks a-criards qui firent le "spectacle". Malgré le manque de communication, la rapidité d'exécution du trio et son envie de bien faire prirent le dessus et avec une majeure partie de l'album proposée, le public put se faire une idée des bricolages pop dont Karaocake a le secret, sans avoir le temps de s'ennuyer, avec au passage de très bons moments passés sur les singles It doesn't take a whole week et Medication mais aussi l'aérienne Brooklyn Bridge. Ce que l'on en retiendra tient en une phrase : Karocake sait jouer ses chansons mais pas les vendre, ça n'est pas grave puisqu'elles sont bonnes. On préfèrera tout de même l'écoute de l'album qui offre des sonorités et une ambiance un brin plus légères.


Assis certes, mais pas immobiles, ça non.

Il m'a fallu attendre de jeter un œil au stand de merchandising pour comprendre le nom du second groupe, qui n'était pas "puke and gas" (vomi et essence) mais bien Buke and Gass (deux mots qui ne signifient pas grand chose). Le duo apparait de prime abord comme potentiellement ennuyeux : une fille, un garçon, tous deux assis sur des chaises, tiennent respectivement une petite guitare sèche et une basse, et même si l'une a, fixés aux chevilles, des grelots et des tambourins et l'autre a le pied posé sur la pédale d'une grosse caisse, quelles sont les chances pour qu'avec leurs gentilles trognes d'américains indés et leurs sourires ils nous jouent autre chose qu'une folk traditionnelle ou, AU MIEUX, un indie rock rasoir ? Quelles sont les chances ?


(Medulla Oblongata, la chanson qui ouvre "Riposte", le premier album de Buke and Gass, paru en 2010)

Évidemment, la surprise fut de taille puisque dès la première chanson (Medulla Oblongata) et son riff agressif, le duo rompit abruptement avec toutes les attentes heureusement déçues que je plaçais en eux. Rythmiquement, le set fut parfois incompréhensible (une pensée me vint à la fin : "je n'ai rien compris : j'ai adoré", où les deux points équivalent un donc), tandis que la furie sonore emportait tout sur son passage (la majorité du public y compris). Je dis "furie" mais ça n'était pas violent et je dis "sonore" mais Buke and Gass ne nous a jamais brisé les tympans. C'est davantage l'énergie déployée de deux musiciens faisant le boulot de quatre, la toute petite guitare utilisée comme une arme de guerre, les gouttes de sueur coulant du front d'Arone Dryer, la jolie chanteuse, jusque sur son sourire éclatant, tandis qu'Aron Sanchez, impassible, créait le rythme instable, c'est de cette énergie dont je parle.


(Your face left before you, jouée un mois et demi plus tôt à New York)


Par certains aspects (l'énergie, les particularités rythmiques, l'utilisation des guitares), le "rock" de Buke and Gass rappelle Deerhoof, c'est incontestable. Et pourtant, leur duo, sa simplicité et les instruments utilisés (ainsi que la voix d'Arone, évidemment) m'ont sans cesse rappelé la façon qu'a Big Blood de pervertir la musique traditionnelle américaine depuis des années. Quoi qu'il en soit, après un EP en 2008 et un premier album en 2010 ("Riposte"), Buke and Gass s'est posé là, après ce tonitruant et inattendu passage par le Café de la Danse, comme une affaire à suivre et un nouveau grand espoir de la musique underground (*) américaine.


Seul mais définitivement multiple

Béret et marcel, Owen Pallett était très France ce soir-là, et accompagné de ses seuls instruments (violon, synthé et séquenceur), il a une nouvelle fois prouvé deux choses. La première est qu'il peut sans aucune difficulté assurer seul le boulot d'un groupe entier et que la confiance placée en lui après l'album et l'EP sortis en 2010 n'étaient pas vains. La seconde est que le concept-même de l'auto-sampling n'est pas mort avec les disparitions successives (dans l'oubli, la ringardise et/ou la disparition de pertinence) d'entre autres Andrew Bird, Joseph Arthur, -M- ou Nosfell (tapons large). Cette technique consistant à enregistrer des boucles et à les empiler afin de jouer seul ce qui auparavant nécessitait d'être plusieurs a connu un boum il y a quelques années (première moitié des années zéro) et comme tout boum, celui-ci fut paradoxalement suivi par un bada(boum) décadent, à tel point que l'on pouvait se demander s'il était encore intelligent de fonctionner ainsi. Cependant, lorsque la construction n'est pas un automatisme, lorsque le musicien ne produit pas ses boucles tel un automate, sans vie, alors le spectacle est encore passionnant. Owen l'a compris et son approche de la construction est tordue de sorte que l'on ne sait jamais aisément en le voyant préparer une chanson de laquelle il va s'agir, pas avant deux ou trois couches en tout cas. Plutôt que d'aller droit au but, et quitte à se perdre dans un faux rythme (cela arrivera deux ou trois fois, autant d'occasions de rire AVEC le public), il choisit les méthodes les plus compliquées et fait de ce jeu un atout que la beauté de sa musique finit de magnifier. Au menu du soir, j'ai commandé le plat de résistance et Owen Pallett m'a servi trois frissons.


(Midnight directives, le second frisson)

Owen a certes enregistré beaucoup de bonnes chansons en 2010 (et la plupart furent d'ailleurs jouées) mais le premier frisson intervint avec l'une de ses toutes premières réussites, sous le pseudonyme Final Fantasy, à savoir This is the dream of Win & Regine. La naïveté des chansons plus anciennes (comme l'épique Many lives 49 MP, tirée du second LP de Final Fantasy et pour laquelle Owen hurle dans le micro de son violon) et l'émotion qu'elles contiennent, c'est après tout pour ça que l'on avait aimé Owen en premier lieu, alors lorsque les affaires deviennent sérieuses et que le canadien grimpe l'échelle lyrique en chantant "I tried and tried and tried and tried to keep the crowds away", l'effet inverse se produit et la foule dont je me faisais le représentant se sentit pour la première fois aussi proche de l'artiste que possible. Et très vite, après une reprise bien vue de l'Odessa de Caribou, lorsque les hauteurs de "Heartland" se révélèrent, la cavalcade de la chair de poule reprit de plus belle, avec la beauté stridente de Midnight directives et, en guise de rappel, la sublime explosion de cœur qu'est Lewis takes off his shirt et sa fameuse ligne "I'm never gonna give it to you".


(la reprise d'Odessa)

A travers cette soirée, non seulement Owen Pallett a terminé de ma confirmer son talent, mais il m'a convaincu que les séquenceurs n'étaient pas voués à tomber en désuétude. Quant aux autres, ils m'ont délivré de mon entêtement de ces derniers mois : il y a, oui, encore, de très très belles découvertes à faire en première partie, et parfois plusieurs dans la même soirée.


Joe Gonzalez
photos et vidéo de Midnight Directives par Emilie B.


(*) : Underground, jusqu'à quand ? Au début du mois de Février, Lou Reed et Laurie Anderson avaient invité le duo Buke and Gass à jouer avec eux lors d'une représentation spéciale à New York.

4 commentaires:

  1. "la cavalcade de la chair de poule reprit de plus belle, avec la beauté stridente de Midnight directives et, en guise de rappel, la sublime explosion de cœur qu'est Lewis takes off his shirt et sa fameuse ligne "I'm never gonna give it to you".
    J'ai eu un frisson en imaginant ça.

    Sinon étonné de revoir encore passer le nom de Buke and Gass positivement. J'ai juste le morceau "Medulla Oblongata" sur mon ordi que j'avais chopé sur leur site l'année dernière par hasard mais ça m'avait pas trop donné envie de voir plus loin. Je vais p'tet' retenter !

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  2. Ça alors ! De ce que j'ai pu lire ou entendre autour de moi à propos de ce concert, vous êtes bien les premiers à avoir aimé cette performance de Buke And Gass.

    Pour le reste de la review (que j'attendais avec impatience), je n'ai rien à redire, je suis entièrement d'accord ; mais alors Buke And Gass, c'était insupportable ! Mes pauvres tympans ont eu du mal à se remettre de la voix d'Arone Dryer.

    Une dernière toute petite remarque avant de partir : "Lewis Takes Off His Shirt" n'a pas fait office de rappel, c'était juste avant. Et justement, je suis incapable de me souvenir du titre de rappel. :( Donc si quelqu'un peut éclairer ma lanterne sur ce point...

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  3. Concernant Buke and Gass, pour répondre à Matt, je dirais que leur musique est diablement plus bandante sur scène qu'à l'écoute de "Riposte". Et pour répondre à Natalia, je dirais que je ne suis pas surpris. J'ai moi aussi lu pas mal de critiques négatives les concernant, mais leur style assez rentre dedans et leurs rythmiques peu user-friendly n'y sont pas pour rien. Les groupes que je cite en comparaison ne font pas non plus souvent l'unanimité et Buke and Gass sont encore plus difficiles à mon sens.


    Vis à vis du rappel, mes souvenirs semblent d'être mélangés ! J'étais convaincu que Lewis avait été le rappel, du coup je n'arrive pas à me souvenir de ce qui a bien pu clore le set, mais je suis quasiment certain que c'était une chanson de "Heartland".


    Joe

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  4. Je crois que le rappel était Song Song Song sur He Poos Clouds.

    Je serais encore plus négatif que vous sur Karaocake. C'était carrément rasoir. La chanteuse n'a pas levé la tête de son clavier.

    Par contre j'ai également été agréablement surpris par Buke and Gass. Le son était très puissant et intéressant. Un peu de Deerhoof en effet mais avec une personnalité peut être un peu plus lourde.


    Et puis bon, Owen, c'est un peu comme s'il était dans ton salon. Très détendu, ce qui doit être très difficile compte tenu de la nécessité de concentration de l'exercice.
    La setlist était plutôt cool.

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