Big Blood a les pieds sur terre. Voire dans la terre. Ils ont les panards enfoncés si profond dans la glaise que ça s'entend sur leurs disques. Leur americana (*1) profonde respire la sueur, le terreau et le réalisme en provenance directe de la campagne et avec ce plus-ou-moins-onzième album en quatre ans, on peut dire que le terroir ricain ne lésine pas sur l'énergie créatrice. Plus ou moins inconnus de ce côté-ci de l'Atlantique (*2) le couple formé par Colleen Kinsela et Caleb Mulkerin, originaires de la région de Portland, n'en est donc pas à son coup d'essai et avec "Dead Songs" ils sont pour la première fois publiés sur un label qui n'est pas le leur (Time-Lag Records s'est chargé de produire de très beaux objets, CDs comme vinyles) ce qui tombe bien puisque c'est l'un de leurs meilleurs enregistrements.
Loin de n'être qu'une inoffensive suite de folksongs sans originalité, ces chansons mortes (c'est à dire qu'elles ont été enregistrées pour exister ailleurs que dans les crânes de Colleen et Caleb, où trônent désormais à leur place de belles stèles funéraires), parfaitement adaptées à une écoute au coin du feu, un plaid sur les genoux, à l'abri des neiges, rappellent parfois Neil Young (Headstone 1974, Lay your head on the rails II où le chant de Caleb convaincra tous les amoureux de "On the Beach") et parfois pas du tout (Homebody Blues et sa flute de pan, Curtain Call et son accordéon) et l'on passe sans problème d'une sorte de revival 70's (A Spiral Down, où la voix de Colleen est à se pâmer) à l'anxiogène New Eyes avant d'enchainer sur un discours parental ou l'espoir se compte en claps (Daughter, dédiée à Quinnisa, leur fille).
Colleen Kinsella a parfois été rapprochée de Joanna Newsom parce qu'elle chante un peu de la même façon mais la comparaison ne doit absolument pas s'arrêter là car ce qui les lie avant tout c'est leur amour du chant et leur talent pour raconter des histoires, un artisanat qui se perd, j'en ai peur. On oublie trop souvent ces deux caractéristiques qui me semblent pourtant capitales : combien de vos disques favoris cette année comptent (au moins) une chanson, dans le sens de la Chanson de Roland, une véritable histoire ? Des chansons comme Cousins (par Vampire Weekend), Real Love (par Beach House) ou encore Drunk Girls (par LCD Soundsystem) sont des popsongs, des successions de formules populaires, de clichés... et j'adore ça, parole ! Mais lorsque des auteurs (j'utilise le mot en pensant à deux femmes) se souviennent de l'importance de la musique en tant que medium d'expression textuel (Joanna avec n'importe quelle de ses chansons, Colleen plus particulièrement avec la magnifique The Archivist & The Archeologist, à la toute fin de l'album) et qu'en prime ces artistes subliment le tout en nous faisant ressentir le plaisir pris dans l'exercice de leurs fonctions (le chant !), je me dis que la musique (folk, celle qui raconte l'Histoire des Hommes) a encore de beaux jours devant elle.
Dans un registre bien plus rêche et rock'n roll que Newsom, Big Blood a enregistré un très bel album de musique folk, sans toutes les connotations que ce terme amène souvent (lent, épuré, acoustique, chiant...) et propose aux amoureux de tradition américaine d'avoir ENFIN leur grand album de 2010.
Joe Gonzalez
(*1) : comprendre "musique traditionnelle américaine avec force guitares acoustiques et mélodies folk"
(*2) : plus pour longtemps ! Une interview-documentaire sera publiée en ces pages dès demain et lèvera le rideau sur le mystère entourant ce groupe. Les plus curieux d'entre vous y glaneront des infos sur d'autres groupes méconnus.
(*2) : plus pour longtemps ! Une interview-documentaire sera publiée en ces pages dès demain et lèvera le rideau sur le mystère entourant ce groupe. Les plus curieux d'entre vous y glaneront des infos sur d'autres groupes méconnus.
connotation de folk = chiant?! ah..
RépondreSupprimerPour beaucoup de gens oui... Et puis même moi, qui aime la musique folk, à cause de l'affluence de toutes parts de groupes et artistes inintéressants labellisés "folk" je commence à avoir un gout rance dans la gorge quand j'entends ce mot.
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