De tous temps, la musique populaire a été basée sur la ré-interprétation d'idées, de mélodies, de mots et s'est caractérisée par la sous-location permanente d'une chambre de bonne à l'étage de l'inconscient collectif. N'avez-vous jamais ressenti, à l'écoute d'un tube populaire ce déjà-vu inévitable, cette impression d'avoir vécu toute votre vie avec la mélodie d'une chanson que vous venez d'entendre pour la première fois, d'entendre chantés par un artiste que vous ne connaissiez pas cinq minutes auparavant ces mots qui vous semblent l'évidence-même, que vous êtes certains d'avoir déjà entendus, mais où et quand, vous ne pouvez mettre le doigt dessus ? C'est ça, la pop music. Une histoire d'emprunts, de réutilisation, à laquelle s'est ajoutée depuis quelques décennies une affaire d'humour et de peines paradolescentes.
Le fait est que James Murphy aime la musique. C'est même plus précis que ça : il voue un culte à la pop. C'est sa vie. Alors il a décidé d'en faire. C'était déjà vrai avec les deux premiers volets de la trilogie annoncée qu'est LCD Soundsystem, mais c'est sur "This is Happening" que sa passion est la plus entièrement avouée. Inutile de le nier, chacune des chansons de cet album est un collage, sans doute pas positivement original, mais qui n'en a cure et dont l'obsession est de VOUS parler. Ce n'est pas de la paresse ou du plagiat, non, c'est plus simple que ça, c'est une vision décomplexée de la composition, par un type qui a simplement envie de copier - c'est le terme - mais à sa manière, quelques uns de ses artistes préférés, parce qu'il les aime, parce qu'il veut faire de la musique qu'il pourrait écouter. C'est presque comme si Murphy faisait tout cela rien que pour lui, pour se faire plaisir avant tout, se foutant complètement de sampler-sans-sampler le contenu de son immense étagère à vinyle, car la question n'est pas là. L'expression flagrante du pillage en règle qu'est et a toujours été LCD Soundsystem forme ici un genre de jeu continu de culture musicale, un blind-test conceptuel qui ne peut venir que d'un type qui passera chacun des derniers jours de sa vie à se chercher des albums à écouter, sachant pertinemment que son désir de découverte intarissable lui pourrira encore des milliers d'heures.
(Drunk Girls)
La liste des emprunts est longue et variée et nous pousse au name-dropping, forcément. Qui n'entend pas White Light/White Heat du Velvet mélangé avec Boys Keep Swinging de Bowie sur le premier single paillard Drunk Girls ? Qui oserait dire que Somebody's Calling Me, avec sa rythmique chaloupée et ses synthés dégoulinants de dissonances crasseuses, n'est pas un remake moderne et fatigué du Nightclubbing d'Iggy Pop ? I Can Change, avec son orgie de claviers Moog, semble être le descendant direct de toute la synth-pop Anglaise du début des 80's de Orchestral Manoeuvres In The Dark à Gary Numan. Quant à All I Want, son riff de guitare répétitif au son étouffé et saturé qui offre une douceur un peu mélancolique et ses synthés foutraques semblent nous dire à chaque instant "salut, on aime beaucoup Here Come The Warm Jets de Brian Eno." Et n'oublions pas que Drunk Yrself Clean va jusqu'à pomper la rythmique d'un morceau complètement inconnu de 1983. Dans ce grand exercice de citations sans fin, James Murphy va tellement loin qu'il en vient à se copier lui même, créant des hybrides de plusieurs vieux morceaux à lui, reprenant les synthés de son précédent "Sound Of Silver" pour en faire One Touch, et nous refaisant le coup du monologue braillard façon The-Fall-pour-les-branchés qui l'avait rendu célèbre en 2002 sur Pow Pow Pow. Et tout cela, sans oublier ses marques de fabriques qu'il a usées jusqu'à l'os : des batteries binaires pour faire danser les filles, de la cowbell, des basses qui groovent façon Talking Heads, une production léchée. Tout concourt à ce que l'on déteste cet album : il est grossier, paresseux, vide, idiot, horrible. Et, d'une certaine manière, c'est le cas.
Sauf que voilà, dans le même temps, il est génial. Quelque chose d'indescriptible s'en dégage, à chaque instant, irradiant l'auditeur par sa classe décontractée. Quand les synthétiseurs vous explosent à la figure vers la troisième minute de l'épique Dance Yrself Clean qui ouvre l'album, ou quand James Murphy tient une note dans l'aigu pendant 20 secondes un peu plus tard, il y a un sentiment de victoire propre à la musique de LCD Soundsystem et qui justifie tout, qui fait qu'on oublie les plagiats, qui ne sont de toute façon vraiment pas un problème. Un je-ne-sais-quoi aux allures de fête. Mais il est impossible de vous donner des raisons concrètes pour expliquer ce qui fait qu'on peut écouter Drunk Girls en boucle. On ne peut justifier, à aucun moment, les raisons de notre sympathie éternelle pour ce que fait Murphy. Non, cet album est tout simplement indéfendable. Ses tares sont ses vertus, et vice-versa. Il pourrait nous faire horreur, il devrait, mais il nous fait danser bêtement. C'est de la pop, de la pure pop qui est prête à tout pour être efficace, et sait parfaitement comment s'y prendre pour peu que vous soyez assez faibles pour être conquis par ses formules faciles et ses gimmicks usés. Et Murphy a beau vous dire qu'il ne sait pas faire de tubes sur You Wanted A Hit, il a beau étirer ses morceaux sur plus de cinq minutes sans même parfois leur offrir de refrain, il sait très bien, et nous aussi, que c'est des conneries, qu'un I Can Change est un monstre de composition à foutre sur "repeat" en chantant ses paroles toujours aussi ironiques ("Love is an open book to a verse of your bad poetry, and this is coming from me") malgré ses voix à la Bono et ses claviers outrés. James Murphy sait, tel un vieux sage, et il utilise son savoir pour engendrer Home, qui clôture l'album avec ses claviers estivaux en un happy end qui rend le cœur léger, et il nous lance "You're afraid of what you need !" avant de se lancer dans de vastes harmonies irrésistibles qui pourraient durer toute la vie.
C'est là-dessus que prend fin LCD Soundsystem, selon les dernières interviews en tout cas, et si "This is Happening" ne dépasse pas son prédécesseur "Sound of Silver" (2007), qui était somme toute plus puissant, profond, tragique et aventureux, il n'en reste pas moins une porte de sortie en forme de manifeste pop, d'hommage aux anciens (le tournant 78-83 et la trinité Bowie/Reed/Pop) et sera l'un des disques à ne pas oublier lorsque vous partirez en vacances dans quelques semaines. Quant à la suite du programme pour James Murphy, pas de quoi s'en faire, le bonhomme saura rebondir (sans mauvais jeu de mot), il vous le dit lui-même : "I can change if it makes you fall in love."
Emilien Villeroy et Joe Gonzalez
Sauf que voilà, dans le même temps, il est génial. Quelque chose d'indescriptible s'en dégage, à chaque instant, irradiant l'auditeur par sa classe décontractée. Quand les synthétiseurs vous explosent à la figure vers la troisième minute de l'épique Dance Yrself Clean qui ouvre l'album, ou quand James Murphy tient une note dans l'aigu pendant 20 secondes un peu plus tard, il y a un sentiment de victoire propre à la musique de LCD Soundsystem et qui justifie tout, qui fait qu'on oublie les plagiats, qui ne sont de toute façon vraiment pas un problème. Un je-ne-sais-quoi aux allures de fête. Mais il est impossible de vous donner des raisons concrètes pour expliquer ce qui fait qu'on peut écouter Drunk Girls en boucle. On ne peut justifier, à aucun moment, les raisons de notre sympathie éternelle pour ce que fait Murphy. Non, cet album est tout simplement indéfendable. Ses tares sont ses vertus, et vice-versa. Il pourrait nous faire horreur, il devrait, mais il nous fait danser bêtement. C'est de la pop, de la pure pop qui est prête à tout pour être efficace, et sait parfaitement comment s'y prendre pour peu que vous soyez assez faibles pour être conquis par ses formules faciles et ses gimmicks usés. Et Murphy a beau vous dire qu'il ne sait pas faire de tubes sur You Wanted A Hit, il a beau étirer ses morceaux sur plus de cinq minutes sans même parfois leur offrir de refrain, il sait très bien, et nous aussi, que c'est des conneries, qu'un I Can Change est un monstre de composition à foutre sur "repeat" en chantant ses paroles toujours aussi ironiques ("Love is an open book to a verse of your bad poetry, and this is coming from me") malgré ses voix à la Bono et ses claviers outrés. James Murphy sait, tel un vieux sage, et il utilise son savoir pour engendrer Home, qui clôture l'album avec ses claviers estivaux en un happy end qui rend le cœur léger, et il nous lance "You're afraid of what you need !" avant de se lancer dans de vastes harmonies irrésistibles qui pourraient durer toute la vie.
C'est là-dessus que prend fin LCD Soundsystem, selon les dernières interviews en tout cas, et si "This is Happening" ne dépasse pas son prédécesseur "Sound of Silver" (2007), qui était somme toute plus puissant, profond, tragique et aventureux, il n'en reste pas moins une porte de sortie en forme de manifeste pop, d'hommage aux anciens (le tournant 78-83 et la trinité Bowie/Reed/Pop) et sera l'un des disques à ne pas oublier lorsque vous partirez en vacances dans quelques semaines. Quant à la suite du programme pour James Murphy, pas de quoi s'en faire, le bonhomme saura rebondir (sans mauvais jeu de mot), il vous le dit lui-même : "I can change if it makes you fall in love."
Même sentiment mitigé dû aux emprunts un peu excessifs, mais comment dire du mal d'un type qui pourrais être mon meilleur pote ? Un disque qui va évidement diviser les critiques : donc forcément un grand disque.
RépondreSupprimerT'as jamais dit du mal d'un de tes meilleurs potes?
RépondreSupprimerc'est bien parce que c'est l'essence de la pop, c'est peut-être pas bien parce que c'est pas bien, mais en vrai c'est bien parce qu'on aime.
RépondreSupprimeraccessoirement le plagiat n'est pas un problème.
(je rajouterai mon avis sur le disque du coup. j'ai essayé, c'est bien fichu mais j'ai pas tenu, je dirais donc quelque chose comme: "il faut admettre que c'est bien, mais en même temps c'est pas bien parce que j'aime pas")
Petit sentiment de satisfaction : vous avez entendu exactement la même chose que moi à l'écoute de l'album (Bowie, Iggy Pop, Brian Eno, etc). En même temps c'est pas vraiment un secret, puisque justement il ne cherche pas à cacher ses références. Un peu moins original que les précédents donc, mais toujours aussi efficace.
RépondreSupprimerLe super dessin de Jarvis Glasses!!!
RépondreSupprimerAhah, un article qui commence par "de tous temps", très très fort les mecs !
RépondreSupprimerBanaboum > On ne l'avait encore jamais fait, je crois, il était temps !
RépondreSupprimerSauf qu'on écrit plutôt "de tout temps"...
RépondreSupprimerD'ailleurs, ça se passe comment quand c'est signé à plusieurs? Vous écrivez chacun des parties? ou alors vous en discutez et après l'un des deux écrits? ou alors vous écrivez tous les deux main dans la main (les deux mains restantes tapant sur le clavier)?
RépondreSupprimerSinon, c'est rigolo comme vous prenez des pincettes en parlant de James Murphy "bon on comprend que l'on puisse détester mais nous on adore".
(Loin de moi l'envie de remettre ça sur le tapis, très très loin même, mais vous n'en preniez pas autant quand il s'agissait d'Mgmt AU HASARD)
Bien à vous,
Anonyme Bescherelle > Ca dépend du sens qu'on donne à cette expression. Le mot "temps" étant invariable, il peut s'agir de "tous les temps, toutes les périodes" ou de "chaque époque".
RépondreSupprimerBarnaboum > Ca dépend (oui) entièrement du duo. Si l'article est écrit à deux et que les deux parties sont présentes dans la même pièce, en général l'un écrit ce que les deux lancent à haute voix. Si par contre (comme ici) les deux plumes sont séparées par des kilomètres, alors le travail est partagé et chacun écrit une partie (ou des parties) de l'article selon un plan préalablement choisi.
Quant à James Murphy, forcément nous n'allons pas le démonter comme nous avons pu le faire pour MGMT, eh, nous en sommes gagas !
est-ce que vous allez parler de l'album de The National ?
RépondreSupprimerPour être tout à fait honnête, nous n'en savons rien. Nous serons là pour voir ce que ça donne en concert en tout cas demain en première partie de Pavement au... pff... Zenith.
RépondreSupprimer.... mais il y a tout de même peu de chances que nous parlions de The National, de The New Pornographers ou de Crystal Castles. Donc n'attendez pas TROP ces chroniques.
RépondreSupprimerpourquoi ?^^
RépondreSupprimerc'est étonnant de pas retrouver au moins The National, dont l'album est vanté un peu partout, sur votre site très complet.
Parce qu'en règle générale, ce groupe ne nous plait pas, et que nous ne comptons pas parler de tout ce qui est aimé par Pitchfork (et le net), en l'occurrence je te renvoie à cet article, qui te répondra mieux, et avec un peu d'humour :
RépondreSupprimerhttp://cestentendu.blogspot.com/2010/04/quitte-ou-double-ces-hypes-que-lon-tait.html
oui mais justement, ça serait intéressant d'en lire une critique négative! car voyez-vous, moi non plus je ne suis pas admiratrice de ce groupe, et en fait je comptais sur votre site pour y lire une critique qui relèverait ce que je n'aime pas dans leur musique, comme vous avez déjà su le faire pour qques d'autres! ^^
RépondreSupprimerbon c'est pas grave sinon! ^^
Je comprends mieux ! Mais si je t'ai renvoyé à l'article "ces hypes que l'on tait" c'est parce que The National fait partie de ces groupes que nous n'avons même pas vraiment envie de démonter tant leur musique nous laisse de glace. En des termes moins polis : nous n'en avons rien à foutre. Il devient alors plus difficile de s'embarquer dans PLUSIEURS écoutes de leur disque (on a autre chose - de mieux - à faire). Cependant, quelques uns d'entre nous les verront en première partie de Pavement à Paris, et là nous ne pourrons nous défiler, ce qui fait que tu auras un aperçu de notre avis dans le "They live" consacré à Pavement.
RépondreSupprimerFabuleux dessin Jarvis.
RépondreSupprimerPour revenir au groupe vanté dans l'article, perso je dois pas être "assez faible". J'ai trouvé le morceau complètement naze :D
RépondreSupprimervous ne parlez pas de certains groupes car ils sont trop hypes, trop médiocres et tout ça, mais vous faites une critique vachemennt positive de cet album?!! j'abandonne!
RépondreSupprimerEn fait, ça me parait plutôt logique. Cet album pille tous les artistes avec lesquels on vous rabat les oreilles depuis des mois (Bowie, Velvet etc) et est mille fois plus amusant que tous les Portugal.The man, The National, Broken Social Scene et autres Radio Dept.
RépondreSupprimerJ'ajoute que nous n'avons jamais refusé de parler de groupes parce qu'ils étaient "trop hypes". Ce n'est pas un critère. On a parlé d'Animal Collective, de Grizzly Bear. On a même aimé l'album de Girls.
RépondreSupprimerEt concernant la médiocrité, nous la trouvons bien plus dans le travail soporifique de Broken Social Scene que dans celui de LCD Soundsystem. Mais cela peut porter, effectivement, à débat.
Avis perso : l'album des Broken Social Scene est quand meme meilleur que celui de James Murphy.
RépondreSupprimerFaut croire que nous n'avons vraiment pas les même valeurs.
Nonon djeep, tu n'es absolument pas le seul, je déteste profondément cet album mais je n'ai pas eu le courage de l'écouter assez de fois pour me lancer dans un contre-argumentaire ici. Enfin, ce serait un peu vain puisque la review assume totalement sa mauvaise foi et l'aspect indéfendable de l'album de toute manière, donc bon.
RépondreSupprimercool bon !
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