C'est entendu.

mercredi 9 novembre 2011

[They Live] Synthés, bruit et rencontres à tous les étages, BBMix 2011, Deuxième

En ouverture de cette très satisfaisante nouvelle édition du festival BBMix de Boulogne-Billancourt, rien ne pouvait mieux tomber sur nos crânes abattus par la journée de labeur que le couperet opportun conçu par avance ou peut-être plutôt improvisé par le duo franco-français inédit formé par le souriant dilettante du synthétiseur vintage, Étienne Jaumet, et le gourou de la guitare exploratrice, Richard Pinhas. Depuis des décennies, ce dernier insuffle à ses disques, ses nombreuses collaborations (la dernière en date l'associait à Merzbow) et ses apparitions publiques de subtiles touches de bruit contrôlé tandis que de son côté, Jaumet continue d'apparaitre sur scène, en duo avec Zombie Zombie ou seul, et à s'entourer de synthétiseurs sans forcément donner l'impression de les maitriser totalement. Il était étonnant de voir ces deux-là sur une même scène, Pinhas assis sur une chaise, entouré de pédales d'effets, et Jaumet debout au centre de son attirail électronique, en début de soirée qui plus est alors même que l'attention du public n'est pas à son summum... Et pourtant quelle réussite ! Je ne vous mentirai pas, je me suis endormi assez rapidement. Pas par ennui, bien au contraire ! Thelonius H., qui était à mes côtés et qui roupilla lui aussi m'avoua avoir ressenti la même chose : la rencontre du groove simplissime, répétitif et chaleureux de Jaumet et des déflagrations contrôlées d'électricité de Pinhas étaient à tel point la musique qu'il nous fallait, celle que nous aimons, psychédélique et violente à la fois, tubulaire et parsemée d'éclats de shrapnels, que nous fumes ravis au point de nous laisser aller. Entièrement. Ergo la pionce. En nous réveillant à la fin du set, pour applaudir, nous étions comblés après un somme relaxant, apaisant, et nous en aurions volontiers repris une dose ! Nous étions restés suffisamment éveillés pour apercevoir le sourire énorme d’Étienne lorsqu'il bidouillait (sans aucune prouesse technique ou particulière notion de rigueur mais en avait-il besoin ?) ses machines et avions chopé un boner en le voyant attraper un sax'. Le reste du festival pouvait bien sentir les pieds, nous avions trouvé satisfaction et ne regrettions qu'une chose : n'avoir pas eu le temps d'interviewer ces deux-là, pour leur demander entre autres choses s'ils prévoyaient d'enregistrer ensemble.


Lorsqu'Étienne Jaumet s'est décidé à sortir le saxophone, nous étions sereins, nous pouvions dormir.


Comme nous l'avaient révélé les deux musiciens de Zombi quelques heures avant leur concert, ce soir-là, ils n'avaient pas prévu de jouer autre chose que des morceaux issus de leurs premiers albums ("Cosmos" et "Surface to Air") par pure notion pratique et pour éviter de trop s'endormir (eux aussi) sur leurs instruments en tentant de jouer les morceaux aux structures simples et répétées de leur dernier disque, "Escape Velocity". Le problème est que leur breakthrough médiatique n'a eu lieu qu'en 2009 avec "Spirit Animal" et qu'en excluant tout morceau de cet album et du dernier de la liste des quelques compositions jouées, le groupe ne pouvait que s'aliéner à moitié une partie moins avertie du public. Pas de bol non plus, le son des balances n'était pas vraiment parfait, et Paterra semblait taper trop fort, ou pas assez, pour accompagner la basse de Steve Moore et les boucles synthétiques séquencées. Malgré une rigueur martiale et quelques belles envolées sur la fin, le set ne pouvait nous convaincre entièrement. On espère alors que les prochains disques annoncés par le groupe lors de leur interview seront un compromis entre les structures éclatées des morceaux joués ce soir et les sons et ambiances moins froides que le groupe a explorées ces dernières années.


Trop renfermés sur des morceaux complexes et antidatés, les deux musiciens ne parvinrent qu'à moitié à faire vivre leur musique.



(Silver Apples - Oscillations)

Le concert suivant devait être à l'opposé beaucoup moins professionnel mais aussi sacrément plus émouvant. Simeon Coxe, seul membre désormais du duo Silver Apples (suite à la disparition du batteur Danny Taylor), débarquait sur scène avec un étrange galurin, un sonotone et quelques vieux instruments, dont le fameux oscillateur qui fait tout son bonheur. Apparemment peu concerné par les mœurs voulant qu'un vieux briscard comme lui joue surtout ses titres les plus connus (mais après tout, l'est-il vraiment ?), Simeon préféra enchainer une liste de morceaux sans forcément se forcer à déballer les tubes de ses deux premiers albums (on aura tout de même droit à Oscillations en rappel et à quelques autres comme A Pox on you, Misty Mountains...). Au lieu de cela, ce sont des morceaux plus récents, ou tout simplement plus inattendus (comme une collaboration avec Pete Kember, alias Sonic Boom, ou bien un morceau trèèèèèès étrange et minimaliste intitulé I don't know) qui remplirent l'espace sonore avec plus ou moins de pertinence. Coxe, statique au possible et forcé de l'être par l'accident de voiture qui lui a brisé le cou à la fin des années 90, ne se contenta pourtant pas d'enchainer et son amour pour la scène et la musique elle-même était visible à la fois dans les remarques foireuses précédant les chansons et dans sa façon d'utiliser son oscilloscope avec passion. Le voir triturer ce petit objet pour en faire sortir toujours plus de variations du même bruit, se planter dans l'enchainement des boucles et s'en amuser, et tout cela tandis que de chaque côté de l'avant-scène, de très jeunes femmes se mettaient à danser au son des battements enregistrés de Danny Taylor, c'était comme un miracle et ce spectacle avait quelque chose de particulièrement touchant. Quiconque doute de l'intérêt d'aller voir des papys réciter leur répertoire machinalement n'aura pas tort, mais il est revigorant de savoir qu'il est des papys qui font... de l'oscillateur.

L' attachante déferlante d'oscillations imprévisibles et non professionnelles de Simeon Coxe aura prouvé que toutes les filles ne remuent pas que pour Justin Bieber.


Après un vendredi chargé, l'équipe de C'est Entendu a fait l'impasse sur le second jour du festival.



(Olivensteins - Fier de ne rien faire)

Le troisième jour s'ouvrait avec une conférence donnée par Eric Tandy, le parolier (et frère du chanteur) des Olivensteins, l'un des (seuls) groupes français à avoir suscité un minimum d'intérêt lors de l'explosion punk à la fin des années 70. Après une projection, le plus intéressant fut la série de questions/réponses proposée et les remarques très amusantes, pertinentes et directes de Tandy. L'une d'elles en particulier m'a semblé intéressante. Parlant de l'évolution du punk rock après 1979, il dit en substance "Au moment de l'élection de 81 on n'est pas allé voter. Le punk c'était mort en 81, et même avant les élections. Avec Mitterrand, c'était différent. Pour être contre, il fallait être pour. On n'avait plus rien à faire là.". Probablement. J'aurais peut-être dû demander à Tandy s'il pensait que cet état de fait avait changé depuis 30 ans mais je connaissais déjà la réponse. A la fin de la conférence, un documentaire consacré à Dominique Laboubée, regretté leader des Dogs (l'autre groupe affilié punk venu de la scène rouennaise à la fin des 70's) était diffusé qui nous donna envie de dépoussiérer nos disques et d'écouter la guitare de Dominique cheminer du punk des Stranglers à la powerpop des Flamin' Groovies sans passer par la case "Made in France".


(Dogs - Walking Shadow)

Le premier concert de notre soirée fut analogue à celui qui ouvrit le Vendredi : une géante somnolerie, certes bienvenue mais beaucoup moins justifiée par la qualité de la musique offerte. Les boucles de violon d'Agathe Max, malgré quelques décollages sonores, manquaient nettement de charme, d'intérêt et même d'envie. Sans direction ni originalité, sa musique ne pouvait qu'être, comme celle de Jaumet et Pinhas, une réussite circonstancielle ou un échec attendu. Pas de chance, les conditions n'étaient absolument pas réunies.



(The Skull Defekts - Rhythm is the Key)

Bien plus impressionnante fut l'entrée en scène des suédois The Skull Defekts. Sans Daniel Higgs (le chanteur de Lungfish, et récemment intégré au quatuor) et dans un grand jour pour du noise rock tribal, les musiciens, tous vêtus de noir, restèrent tapis dans l'ombre tandis que la batterie créait une transe et nous rendait extatiques. Lorsque le riff lourd de guitare tomba, le grand et charismatique Daniel Fagerström se lança dans une sorte de danse chamanique ralentie, avançant lentement d'un bout de la scène à l'autre, remuant les mains devant lui en une sorte de macarena invocatrice, évoquant un Ian Curtis concentré. Impressionnant. Le groupe devait jouer un seul extrait de "Peer Amid" (2011, l'album avec Daniel Higgs) et se concentrer sur de précédents riffs, dont la répétition frénétique créait une structure circulaire d'une violence cinétique volontiers communicative à nos jambes, mollets et genoux, malgré la position assise. Les percussions et les quelques ajouts électroniques de Jean-Louis Huhta ajoutaient les détails nécessaires pour rendre l'ensemble encore plus passionnant, et Fagerström, en meneur de meute charmeur, de faire entendre sa voix, certes moins puissante que celle de Higgs mais tout de même convaincante, dans sa fausseté comme dans sa volonté sonore. Contrairement à ce que le groupe nous avait confié (lors d'une interview, plus tôt dans l'après midi, que vous pourrez lire dès demain) espérer, le public ne se leva pas de ses sièges et personne ne dansa vraiment. A vrai dire, ça n'est pas de danser que l'on ressentait le besoin, mais plutôt de se recueillir avec une monacale violence et un désir d'action, devant l'un des concerts les plus inspirants de l'année. Tant de simplicité, d'énergie et de symbiose entre les musiciens, voilà qui force le respect !

En clôture du festival, nous attentions beaucoup des américains de Bardo Pond et la belle silhouette de leur chanteuse nous avait coincés avant même la première note, mais pour qui n'avait jamais vu le groupe sur scène, l'image attendue n'était pas au rendez-vous : ce sont quatre barbus bedonnants armés de guitares et de fûts qui entouraient la jeune femme, et leur posture laissait entrevoir quelque chose de lourd, de très lourd. Et en effet, malgré nos bonnes intentions (il est vrai majoritairement définies par quelques écoutes éparses de la musique du groupe et par une chanson en particulier : l'excellente Inside, sur "Dilate", 2001), le boucan primaire qui devait résulter de compositions simplistes (on pense à Mogwai, dans un genre différent), d'un batteur extrêmement limité (à coté, Ringo Starr est un génie) et d'un son écoeurant, ne pouvait que nous casser les oreilles, littéralement. Tanqués sur nos positions plus longtemps que prévu (pour la seule raison qu'Isobel Sollenberger était jolie, avouons-le), nous dûmes nous résoudre à foutre le camp pour éviter la migraine carabinée et la colère face à tant de bruit pour rien. Cette agaçante déferlante de soft-noise-rock pour métalleux-hippies ne suffit pourtant pas à nous gâcher le souvenir d'un festival réussi où les bonnes surprises et les réussites attendues ont pris un large avantage sur les déceptions. Nous en serons à nouveau dans un an, et avec le sourire !


Texte : Joe Gonzalez
Photos : Emilie B.
Participation supplémentaire : Arthur Graffard, Mx, Thelonius H.

2 commentaires:

  1. Ce compte-rendu me fait un peu regretter de ne pas être venu le Vendredi soir comme j'aurai du...

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  2. Putain tout ce qu'on loupe en province... que des groupes de malade

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