C'est entendu.

lundi 14 novembre 2011

[Alors quoi ?] Interview de The Skull Defekts, BBMix 2011, Troisième

The Skull Defekts est un collectif à géométrie variable originaire de Göteborg, en Suède. Depuis leurs débuts en 2005, ils ont publié un nombre impressionnant d’albums, tout d’abord sur de petites structures, et plus récemment sur le label américain Thrill Jockey, lorsqu'ils ont été rejoints par Daniel Higgs, leader du groupe de post-hardcore Lungfish. C'est Entendu a rencontré les quatre membres principaux du groupe lors du festival BBMix 2011. Nous avons cherché à comprendre comment fonctionne un groupe de noise-rock qui vient de l'univers de la musique électronique et quelle place il peut avoir sur la scène internationale en 2011.



(The Skull Defekts - Peer Amid, sur "Peer Amid")


C’est Entendu – J’ai lu quelque part que votre nouvel album, "Peer Amid" (qui a paru en 2011 NDLR) avait été enregistré en 2009… Comment expliquer ce délai ?

Joachim Nordwall (guitar, vocals) – Pour faire simple, c’est à cause de complications techniques, vis à vis du label. Nous voulions trouver le bon endroit pour le publier et il a fini chez Thrill Jockey, où Daniel Higgs avait déjà publié des disques. Daniel s’entendait bien avec ces gens-là.
Daniel Fagerström (guitar) – Il nous a fallu du temps pour définir quelles chansons nous allions utiliser. Nous avions enregistré quelque chose comme seize chansons et nous devions choisir lesquelles seraient sur l’album. Ce processus fut… long.
JN – Probablement toute une année…

CE – Avant ça, vous aviez enregistré de nombreux albums et il arrivait que plusieurs d’entre eux paraissent la même année, comme en 2007 il me semble. Était-ce plus simple de publier lorsque votre label n’était pas aussi important que Thrill Jockey ?

JN – Oui, le processus est plus lourd en même temps qu’il est plus réfléchi en termes marketing, bien entendu. Si l’on souhaite publier quelque chose sur un petit label, avec des amis, on ne produira que 200 copies et tout ira plus vite.

CE – Avez-vous modifié vos habitudes pendant l’enregistrement du fait de la notoriété de votre nouveau chanteur ? Avez-vous composé différemment ?

JN – Non… Pas vraiment.
DF – Nous avons simplement décidé que nous devions bâtir cet album avec Daniel (Higgs), qui est notre ami et un excellent musicien. Nous lui avons demandé de travailler avec nous et nous ne savions pas ce que nous allions publier ni quand. Nous ressentions seulement le besoin d’enregistrer cette musique que nous n’avons pas créée dans un but précis mais plutôt pour le simple propos de la créer. Façon de parler. L’album en est le résultat.

CE – Mais l’enregistrer avec Daniel Higgs l’a rendu bien plus visible, y compris pour nous, en France. Diriez-vous que c’est votre breakthrough et qu’il vous offre et vous offrira une bien plus grande attention de la part du public et des medias ?

JN – Espérons-le ! On n’y a pas beaucoup pensé.
DF – Bien entendu, nous avons gagné en visibilité en enregistrant avec Daniel Higgs et en faisant distribuer l’album bien mieux que nos anciens disques par un plus gros label.


(la pochette de l'EP "2013-3012")

CE – Votre prochain disque paraitra-t-il sur le même label ?

DF – Justement nous avons un nouveau disque avec nous (il nous tend un exemplaire du maxi "2013-3012")?
JN – Nous avons tourné aux États Unis en Avril de cette année avec Daniel Higgs et comme nous avions un jour de relâche, nous en avons profité pour enregistrer ces trois chansons.

CE – Avec Daniel ?

DF – Oui et avec Asa (Osborne, qui est aussi le guitariste de Lungfish, le groupe principal de Daniel Higgs et qui publie en solo sous le pseudo Zomes NDLR)
JN – On était tous ensemble, les six Skulls (les six membres du groupe sont répertoriés à l’arrière du 33 tours de "2013-3012", par ordre d’arrivée ans le groupe, NDLR).


(Zomes - Stark Reality, sur "Earth Grid")

CE – J’ai écouté le dernier album de Zomes ("Earth Grid", cf le numéro de Mai 2011 de C’est Entendu, NDLR), qui n’était pas mal.

JN – Il a ouvert pour nous sur notre tournée américaine d’Avril.

CE – J’allais justement vous demander si un nouvel album était prévu mais vous m’avez pris de court !

Henrik Rylander (drums, feedback) – Ce n’est pas un véritable album.
JN – Ce sont trois nouvelles chansons, sur la face A et les mêmes chansons jouées à l’envers sur la face B.
DF – Mais nous allons continuer d’enregistrer avec Daniel et Asa.

CE – Et publierez-vous d’autres disques sans eux ?

DF – Je pense que oui.
JN – Bien sûr.

CE – Vous serez les Skull Defekts avec eux comme sans eux ?

JN – Oui.

CE – Ils font partie du groupe mais…

JN – Les Skull Defekts ont toujours été comme… une amibe qui passe d’une forme à une autre. Parfois ça n’a été que Henrik et moi, parfois autrement, ça a toujours été très ouvert.

CE – J’ai écouté certains de vos premiers disques et il me semble qu’à vos débuts vous donniez davantage dans l’électronique et le drone. Avez-vous changé avec le temps pour devenir plus rock ? Est-ce quelque chose dont vous aviez envie ?

JN – En fait, nous faisons les deux, de façon conjointe et sous le même nom, mais ce sont deux aspects totalement différents des Skull Defekts.
DF – Lorsque nous avons débuté, nous avions déjà ces deux aspects en nous. Il s’est simplement trouvé que nous avons commencé par publier beaucoup de trucs électroniques.
JN – C’est plus facile à faire, plus rapide, voilà pourquoi…
DF – Nous avons du enregistrer 3 albums rock et… 15 albums de drone.
HR – Cependant, nous jouons surtout du rock, sur scène.

CE – Pourquoi ? Est-ce que cela fonctionne mieux avec le public ?

HR – Oui, c’est du rock alors c’est de la musique facile (rires)
JN – Nous préférons dans la mesure où c’est quelque chose de plus social.

CE – Avez-vous aussi donné des concerts électroniques ?

DF – Oui, certains organisateurs nous bookent comme les Skull Defekts rock et d’autres veulent faire jouer les Skull Defekts drone. Je trouve ça… marrant que l’on puisse offrir un choix, de sorte que l’on peut convenir en toute occasion.

CE – Et ce soir, à quoi devons-nous nous attendre ?..

DF – Vous verrez vous verrez (rires)

CE – Avec quels groupes avez-vous l’habitude de tourner ? Ceux pour qui vous ouvrez comme ceux qui le font pour vous.

JN – Zomes ! (rires) …il n’y en a pas tant que ça.
HR – On a déjà ouvert pour Sonic Youth.
DF – Nous sommes depuis toujours lies à une scène expérimentale, noise…
JN – Il y a certains groupes avec qui nous jouons toujours dans les mêmes festivals, comme Circle.
DF – Avec eux, je nous sens une certaine similarité, une sorte de rock primitif et… ouvert d’esprit. Vous connaissez Circle ?

CE – De nom, seulement.



(Circle - Stimulance, sur "Prospekt", 2000)

HR - Sur certains albums, ils jouent du piano, et sur le suivant c’est du rock ou autre chose, avec des voix haut perchées. Ils sont très diversifiés, un peu comme nous.
DF – On a aussi tourné avec Neil Young.

CE – Et quels groupes suédois nous conseilleriez-vous d’écouter ?



(Altar of Flies - Untitled, sur "Permanent Cavity", 2010)

JN - Altar of Flies, qui ont tourné avec nous. De grosses explosions noise, ce genre de choses.
DF – Il y a un très bon groupe de Stockholm qui s’appelle Ectoplasm Girls. Ce sont deux sœurs qui ont créé ce groupe pour… entrer en contact avec leur mère décédée. Elles essaient de communiquer avec elle à travers leur musique.
JN – C’est une musique très belle, je trouve.

CE – Est-ce qu’elles ont réussi à contacter leur mère ?

DF – (rires) Je ne crois pas, pas encore !
JN – C’est pour ça qu’elles continuent d’essayer. (rires)

CE – On entend souvent parler de scènes intéressantes en Suède mais en général cela concerne plutôt… l’art-pop ou l’electro-pop (The Knife, etc NDLR). On a l’impression qu’il y a beaucoup de groupes intéressants chez vous mais nous n’en connaissons pas beaucoup qui joueraient dans les cours de l’expérimentation ou du noise-rock.

JN – En fait il n’y a pas vraiment de scène pour ce genre musique, chez nous…

CE – En France, c’est la même chose. Quelques bons groupes mais aucune scène stable.

HR - Il y a une scène mais la musique est très diversifiée, à Stockholm où la vit la plupart d'entre nous. Ça peut aller du jazz au noise en passant par le rock, mais c'est une sorte d'underground. C'est déjà pas mal et ça devient de mieux en mieux avec beaucoup de petits labels et de gens impliqués, ça évolue.

CE - Pensez vous que ces scènes font partie de vos racines ?


(Union Carbide Productions - Be myself again)


(The Soundtrack of our lives - Tonight)

HR - Nous n'avons pas tous les mêmes racines. J'ai joué dans un groupe appelé Union Carbide Productions. Le guitariste et le chanteur de The Soundtrack of our lives jouaient dans ce groupe. C'était un rock à la Stooges. Voilà mon background.
Jean-Louis Huhta (percussion, electronics) – Henrik et moi avons aussi joué ensemble dans un groupe qui s’appelait Audio Laboratory, avec le chanteur de The Soundtrack of our lives, et on y jouait… une sorte de noise.

CE – Et en quoi consiste votre dimension électronique ?

JN – Je crois qu’il y a toujours eu comme un mélange de différents styles musicaux en nous, à travers les disques que nous achetons et les différents projets dans lesquels nous sommes investis. Il y a quelques années, je jouais dans un groupe de punk-rock et puis j’ai migré vers un groupe de funk et avant ça j’étais plutôt dans l’électro, le rhythm’n bass, et puis je suis passé à la techno.
DF – Mais vous savez, je crois que c’est toujours la même chose, nous allons vers ce qui nous semble le plus intéressant et amusant à faire. J’ai écouté beaucoup de musique électronique quand j’étais ado et j’ai ensuite fait partie d’un groupe punk pendant des années mais la musique électronique a toujours été importante. Je me vois davantage comme un musicien électronique que comme un guitariste.

CE – En fait, votre version du noise-rock a un caractère psychédélique, une sorte de transe et je peux voir un lien avec l’électronique.

JL – Pour ma part, je suis très intéressé par la musique tribale, et aussi par la techno. J’aime la techno et je crois qu’elle se ressent dans notre musique, que je vois comme une… version rock de la techno.
JN – Et puis nous aimons que les gens dansent, mais ce soir, ce sera probablement difficile (le Carré Bellefeuille est un auditorium de places assises, sans fosse, NDLR)

CE – Vous seriez surpris ! Hier, des jeunes femmes ont dansé frénétiquement sur la musique de Silver Apples, dans les allées. Peut-être que ce soir…

DF – Parfait ! Peut-être demanderons-nous aux gens de se lever.

CE – Vous devriez le faire !

JN – Il nous est arrivé de le faire, en Chine. Il devait y avoir 1500 personnes, bien plus que ce soir, et nous leur avons demandé de se lever et de danser et ils étaient genre "OK…" (rires)
HR – C’était la dernière chanson. Ils avaient passé tout le show assis.
JN – Et puis la police a débarqué.

CE – Je ne pense pas qu’ils viendront ce soir.

JN – Chouette. (rires)

CE – Vous semblez tous si impliqués dans votre son et votre musique, on en vient à se demander si vous créez les chansons ensemble ou si les idées viennent individuellement, chacun de votre côté...

DF – Un peu des deux. Parfois l’un d’entre nous écrit toute la chanson avec le rythme et le riff puisque c’est la base de la plupart de chansons, et parfois quelqu’un a une idée d’instrumentation et nous construisons la chanson ensemble à partir de là. Il y a beaucoup d’improvisation dans notre travail, nous essayons de faire vivre les chansons. Elles partent d’un rythme et nous improvisons les arrangements. Les morceaux sont toujours différents sur scène.
JN – Parfois cela peut être très rapide. Par exemple, nous étions backstage l’autre fois et nous nous sommes dit "on joue quoi ?". L’un de nous a dit "Partons d’un bam-bam-bam" et c’est ce que nous avons joué pendant 40 minutes. Il est très intéressant de se rendre compte que ça peut effectivement fonctionner ! (rires)
HR – Nous l’avons jouée hier, celle-ci.
JN – Nous les jouerons ce soir, ces "bam-bam-bam"

CE – Vos chansons ont quelque chose de très simple. Certaines sont répétitives et... ça fonctionne. Ça fait partie de l'essence de votre travail de mon point de vue. Il est donc logique que vous deviez les écrire aussi efficacement et aussi rapidement. C'est votre capacité à travailler sur des riffs pour en faire des chansons qui fait de vous un groupe.

JN – Merci de dire ça !
DF – Oui c’est très sympa !
JN – Peut-on réutiliser ça ?

CE – Bien sûr !

JN - Plus j'y pense et plus je comprends notre musique et à quoi elle ressemble vraiment. Ces derniers temps nous essayons de répéter avant les concerts, alors que lors de notre concert à Cardiff il y a deux soirs, nous ne l'avions pas fait et nous sommes allés sur scène comme ça, et ça nous venait quand même.
DF - Nous avions quand même répété un peu dans le train, on avait juste écouté nos chansons et on s'était demandé "est-ce que je joue bom-bom ou bom-bom-bom ?" (rires)


(De gauche à droite : Joachim, Henryk, Jean-Louis, Daniel et Daniel Higgs)

CE - Je trouve que vous avez des liens de parenté avec l'écurie Thrill Jockey. Je sais que vous ne venez pas de Chicago mais... vous mixez noise-rock et, disons des éléments d'avant-garde et vous les amenez en des endroits inexplorés. Vous n'êtes pas formellement proches de Tortoise ou de l'image que l'on se fait des groupes de TJ mais je vous trouve néanmoins à votre place sur ce label. Vous ne donnez pas l'impression d'être une pièce rapportée, comme si Daniel Higgs vous avez ramené dans son sillage. Pensez vous que vous pourriez rester TJ et y prospérer ?

DF - Je ne sais pas, mais il est vrai que musicalement nous nous démarquons peut-être trop.

CE – Sur Thrill Jockey ?



(Liturgy - Veins of God, 2011)

DF – Oui.
JN - Mais c'est vrai que je ressens une sorte de lien... Il y a des groupes que j'aime beaucoup sur TJ, avec lesquels je ressens une connexion. Je ne veux pas citer de noms mais...
DF - J'aime aussi beaucoup le black metal de Liturgy et Wooden Shjips bien sûr (ils acquiescent tous, NDLR). Je pense que ça serait un beau foyer pour notre musique.

CE – Avant l’arrivée de Daniel Higgs vous (Joachim et Daniel) vous occupiez du chant…

JN – Tous les deux, oui.

CE – Travaillez-vous toujours sur des paroles et des mélodies pour le chant ?

JN – Non. Et toi ?
DF – Oui, ça m’arrive.
JN – Vous voulez dire pour de futures chansons ?

CE – Oui.

JN - Quand je joue un nouveau riff, j'entends toujours la voix de Daniel Higgs. Nous faisons de belles choses avec lui et je suis impatient d'enregistrer à nouveau avec lui l'année prochaine. Je ne ressens pas le besoin de m'exprimer autrement en ce moment.

CE – Donc pour l’étape suivante vous travaillerez encore avec Daniel Higgs ?

JN – Oui, il est en quelque sorte le sixième membre (en comptant Asa Osbourne comme cinquième, NDLR)

CE – Avez-vous des plans pour l’avenir, ou continuerez-vous sur votre lancée ?

DF – On aime notre façon de faire les choses et je crois que le prochain album que nous publierons sera la meilleure chose que nous ayons jamais réalisée.




Propos recueillis le 23 octobre 2011 au Carré Bellefeuille par Arthur Graffard et Joe Gonzalez. Interview préparée par Arthur Graffard et Joe Gonzalez.

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