Il y a deux ans, les Fiery Furnaces étaient à une croisée des chemins. Leur dernier véritable LP en date, "I'm going away" leur offrait ENFIN un minimum d'exposition médiatique (en dehors de la blogosphère, dont ils ne semblaient jusqu'alors pas capables de s'extraire) et on commençait à les voir faire des télés et leurs fans n'en étaient pas mécontents (pour eux). Pourtant, au même moment, Matthew Friedberger, grand frère, compositeur, multi-instrumentiste et parfois chanteur, se fendait de sorties étranges dans la presse, taxant Radiohead d'opportunistes de merde prêts à reprendre un obscur compositeur (Harry Partch) pour paraitre plus expérimentaux que de raison (alors que Radiohead n'avait fait qu'écrire une chanson sur... Harry Patch, un ancien de la Première Guerre Mondiale), prétendant avoir écrit un nouvel album et se préparer à le publier sous la forme de partitions afin de passer à l'étape supérieure (le partage de la musique est tel que c'est désormais au public de jouer l'album composé)... Pendant quelques semaines, Matthew Friedberger donna l'impression de se prendre pour Noel Gallagher en ouvrant sa grande gueule pour pas un rond sur les sujets les plus improbables.
Après un concert donné par le groupe à Paris, toujours en 2009, notre correspondant (Emilien Villeroy) était ressorti avec un drôle de goût dans la bouche de la séance de questions organisée après le concert ; avec le sentiment que le duo allait splitter. Villeroy avait même dans l'intention de publier un article là-dessus ("[Alors quoi ?] La fin des Fiery Furnaces") mais se ravisa en pensant avoir été pessimiste. Les choses se tassèrent effectivement, mais quelques mois plus tard, les Furnaces publiaient un album de reprises... de leurs propres chansons, "Take me round again". Des réinterprétations des chansons de "I'm going away", par chacun des deux musiciens, chacun de son côté.
En 2011, la séparation n'est toujours pas prononcée mais l'union est définitivement libre. Eleanor Friedberger a publié son premier album solo en Juillet, enregistré pendant l'été 2010 tandis que Matthew a décidé de publier la bagatelle de huit albums en 2011, dans le cadre d'une série intitulée (fort à propos) "Solos".
1) L'étrange cas d'Eleanor Friedberger
Tout le monde le pense sans forcément se l'avouer. Ce qui rend difficile l'écoute des Fiery Furnaces au néophyte, c'est en premier lieu la voix d'Eleanor, très en avant, toute en déclamation mélodique, tantôt hachée tantôt plus abondante de mots qu'une rivière Dylanienne, et toujours avec une sorte d'accent étrange, une diction claire. Une voix sèche et délicate, grave et enfantine. On sait par ailleurs que la composition Furnacienne revient avant tout à Matthew et même après le timide essai qu'était "Take me round again", rien ne laissait présager de ce que pourrait être le style d'Eleanor.
Il suffisait pourtant de prendre le pari d'un approfondissement logique (et donc peu surprenant mais peu importe, finalement) de sa caractéristique, de sa Face de la pièce Fiery, le visage humain qui fait tant défaut à Matthew, dont le Pile n'est qu'idées et constructions. Nous voilà donc avec un premier album dont la forme est équivalente à ce qui se faisait beaucoup il y a trente, quarante ou cinquante ans, et qui se fait beaucoup moins aujourd'hui : une collection de "chansons pop écrites". Les responsables de ce type de collections étaient appelés singers/songwriters (un concept qui se perd ou dont les représentants sont aujourd'hui bien moins populaires ou talentueux qu'entre 1965 et 1975, disons) et ils proposaient des disques dont le fond n'était pas du pur divertissement, il s'agissait de mêler poésie, pop et commentaire social, à la façon d'auteurs littéraires (pour les plus accomplis) sans jamais oublier de combler l'auditeur avec des arrangements travaillés mais aisément assimilables, des mélodies, des refrains mais "pour adultes". Oui car ces disques étaient en majorité destinés à un public plus mature, à des trentenaires, des mères de famille... Ces disques, des génies comme Van Morrison ou Lou Reed les écrivaient avant de les composer et cette année encore, on a pu en écouter un de la part d'un grand cru bonifié, Bill Callahan. "Last Summer" est de cette trempe, un album de chansons pop écrites, sans grande prétention commerciale (et notamment auprès des kids), loin de chercher à s'imposer comme un descendant de "Song Cycle". Une collection personnelle de textes, écrits par une femme, dans la lignée des Helen Reddy, Carole King et Judee Sill des années 70 mais avec comme sujets des scènes urbaines plus proches des considérations de Lou Reed et une intensité vocale qui la rapproche de Patti Smith ou Joni Mitchell.
Il suffisait pourtant de prendre le pari d'un approfondissement logique (et donc peu surprenant mais peu importe, finalement) de sa caractéristique, de sa Face de la pièce Fiery, le visage humain qui fait tant défaut à Matthew, dont le Pile n'est qu'idées et constructions. Nous voilà donc avec un premier album dont la forme est équivalente à ce qui se faisait beaucoup il y a trente, quarante ou cinquante ans, et qui se fait beaucoup moins aujourd'hui : une collection de "chansons pop écrites". Les responsables de ce type de collections étaient appelés singers/songwriters (un concept qui se perd ou dont les représentants sont aujourd'hui bien moins populaires ou talentueux qu'entre 1965 et 1975, disons) et ils proposaient des disques dont le fond n'était pas du pur divertissement, il s'agissait de mêler poésie, pop et commentaire social, à la façon d'auteurs littéraires (pour les plus accomplis) sans jamais oublier de combler l'auditeur avec des arrangements travaillés mais aisément assimilables, des mélodies, des refrains mais "pour adultes". Oui car ces disques étaient en majorité destinés à un public plus mature, à des trentenaires, des mères de famille... Ces disques, des génies comme Van Morrison ou Lou Reed les écrivaient avant de les composer et cette année encore, on a pu en écouter un de la part d'un grand cru bonifié, Bill Callahan. "Last Summer" est de cette trempe, un album de chansons pop écrites, sans grande prétention commerciale (et notamment auprès des kids), loin de chercher à s'imposer comme un descendant de "Song Cycle". Une collection personnelle de textes, écrits par une femme, dans la lignée des Helen Reddy, Carole King et Judee Sill des années 70 mais avec comme sujets des scènes urbaines plus proches des considérations de Lou Reed et une intensité vocale qui la rapproche de Patti Smith ou Joni Mitchell.
Eleanor est connue pour entretenir un verbe alambiqué et pour produire des textes aux interprétations mystérieuses, faits de mots étranges ou inhabituels, de thèmes hors du commun et énoncés avec l'aisance de celle qui ne fait que la conversation. Son expérience en solitaire n'avait aucune raison de faire varier cette donne mais si le ton est le même et les mots toujours choisis avec rigueur, force est de constater que le propos gagne cette fois en clarté, en même temps que les arrangements deviennent plus naturels. Comme l'indique le titre, "Last Summer" est un album de photographies, celles prises par Eleanor pendant l'été 2010, celui de la rupture implicite du duo familial. On y retrouve des scènes survenues à Bensonhurt (Brooklyn), au Motel du Septième Rayon (dans le Colorado) ou sur Roosevelt Island (près de Manhattan) et racontées de façon plus personnelle, directe et authentique que n'en a pris l'habitude la chanteuse des Fiery Furnaces (même s'il est arrivé au groupe d'être on ne peut plus authentiques, notamment sur l'album "Rehearsing my choir" où la grand mère donnait de la voix).
(Roosevelt Island)
Sans Matthew le niveau de complexité des compositions et des arrangements n'est forcément pas le même et c'est probablement pour le mieux puisqu'un tel album est souvent bien plus réussi lorsque toute la place nécessaire est laissée aux textes et à la voix. A l'auteur plutôt qu'à la musique. En dépit de cet aveu de "simplification", il ne s'agit pas non plus de chansons aussi brouillonnes que pouvaient l'être certaines des ré-interprétations de "Take me round again" et l'on a même droit à de super grooves de basse sur Glitter gold year et Roosevelt island, tandis que l'apparente sobriété du single My mistakes réserve la surprise de guitares charmeuses et d'un gimmick sonore imparable sur le refrain. Certes, il arrive qu'un morceau ne semble pas idéalement fignolé (les arrangements et le son de I won't fall apart), mais cela ne fait que retranscrire la marge de progression dont dispose encore une musicienne dont c'est le premier essai solo.
Que le duo ait encore un avenir ou pas, Eleanor Friedberger a prouvé qu'elle pouvait vivre sans les Fiery Furnaces. Son album n'est peut-être pas parfait, ni du niveau de ses plus illustres aïeuls, mais c'est une respectable et solide collection de textes mis en musique et chantés avec la même nonchalance convaincue qui séparer une fois de plus les amateurs des inconvaincus.
Que le duo ait encore un avenir ou pas, Eleanor Friedberger a prouvé qu'elle pouvait vivre sans les Fiery Furnaces. Son album n'est peut-être pas parfait, ni du niveau de ses plus illustres aïeuls, mais c'est une respectable et solide collection de textes mis en musique et chantés avec la même nonchalance convaincue qui séparer une fois de plus les amateurs des inconvaincus.
Joe Gonzalez
Dans le second numéro des aventures de la famille Friedberger, vous saurez tout sur le projet étonnant de Matthew Friedberger qui compte publier huit albums solo en 2011, chacun n'étant enregistré qu'à l'aide d'un seul instrument (différent à chaque fois) !
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