C'est entendu.

vendredi 14 janvier 2011

[Vise un peu] Devo — Something for Everybody

À moins d'avoir passé les années 70 et 80 dans le néant de la non-existence prénatale, vous connaissez sans doute DEVO ! Connaissez-vous DEVO ? J'ai moi-même passé les années 70 et la plupart des années 80 dans le néant de la non-existence prénatale, et pourtant même moi je connais un peu DEVO. Mon nerf optique reçoit actuellement un stimulus m'informant que "DEVO" ne s'écrit pas forcément en majuscules et je m'interroge : comment dois-je réagir face à cette nouvelle information ? Si mon cerveau s'est dès le départ planté sur un aussi simple détail, c'est sans doute que Devo avait raison : la race humaine est en train de désévoluer, et c'est pour ça que nous ne sommes pas des surhumains capables de télékinésie, de téléportation, de téléportakinésie ou de télékinéportation. Au contraire, une portion non négligeable de la population humaine actuelle écoute aujourd'hui de la musique "rap" avec de l'"autotune" et reste avachie à regarder des émissions de "télé-réalité" (ce qui est, avouons-le, nettement moins classe et moins utile que la télékinésithérapie) plutôt que de résoudre les grands mystères de l'univers en se nourrissant d'amour, de science et d'eau fraîche (certains critiquent même des albums avec sept mois de retard comme si de rien n'était). Notre civilisation, je le crains, n'en a plus pour très longtemps. Aussi, je vous invite à lire cet article et à le considérer d'un œil critique, pour entraîner vos nerfs optiques et auditifs ainsi que vos connexions cérébrales.

Devo est donc un groupe de synth-pop geek à l'humour particulier et à l'esthétique ultra-kitsch (synthétiseurs, plastique et couleurs criardes à gogo), qui singe la société et le progrès. Le groupe connut son heure de gloire dans les années 70 et 80 grâce à des chansons cultes telles que Whip It ou Mongoloid (qui aurait sans doute provoqué une forte controverse si elle était sortie aujourd'hui), ou encore tout l'album "Q: Are We Not Men?/A: We Are Devo!", avant de tomber peu à peu dans l'oubli avec des albums rencontrant de moins en moins de succès. Le groupe finit par se mettre en hiatus et plusieurs de ses membres fondèrent une société de production de musiques commerciales pour des publicités, des émissions de télévision ou des jeux vidéos. Devo n'a jamais éprouvé de honte à épouser franchement l'idée de commercialisation, et s'en est même presque vanté, en participant à plusieurs spots télépublicitaires (ce qui, finalement, n'invalide en rien leurs propos et peut même les servir) :


Afin de réaliser au mieux leur retour dans la société actuelle, Devo a décidé d'aborder les idées d'efficacité, d'esprit d'entreprise et de participation du public, si chères aux firmes du 21e siècle et au Web 2.0, et a donc mené une série de plusieurs sondages en demandant à leurs fans et au public quelles chansons étaient le plus à leur goût, quelle était la couleur qui présentait les associations les plus positives pour eux, etc. Le communiqué suivant, de la part de Greg Scholl (Devo Inc.), présentait cette initiative louable au public :


Le groupe a finalement enregistré seize chansons et a demandé au public de choisir les douze qui figureraient sur l'album final, "Something for Everybody" ; pour ce faire, ils étaient aidés par Jacob, aimable consultant que vous pouvez voir ci-dessous (le résultat du test n'a finalement été retenu que pour une version digitale de l'album, la version CD comprenant une sélection légèrement différente, "approuvée par les partenaires" de Warner Bros. Records et Devo Inc. ; Warner Bros. sait probablement mieux que nous ce que nous aimons, mais je dois dire que je me range du côté des fans qui auraient préféré entendre Watch Us Work It que Cameo sur le CD).


Les chansons qui composent l'album publié ont malgré tout été approuvées à 88% par le groupe témoin, assurant ainsi la qualité du produit. J'approuve également la qualité de ce produit, qui me procure un gain d'entrain d'environ 62% quand j'écoute leurs chansons ou même quand elles me viennent en tête le matin à 13:00 en mangeant mes céréales. (La société ne bénéficie malheureusement pas pour le moment de mon gain de productivité, mais ça, Devo n'y peut pas grand chose.)

On pouvait craindre qu'un tel concept résulte en un disque creux et fade, incohérent à force de vouloir être consensuel — mais heureusement, les membres de Devo savent ce qu'ils font. L'esthétique et les idées qui avaient fait le succès du groupe par le passé s'appliquent finalement toujours bien en 2010 (entre les revivals que l'on voit fleurir aujourd'hui, la société de consommation autant critiquée que renforcée ou l'évolution maladive du monde du travail qui appelle à des contre-concepts comme la décroissance…) ; quant à la musique, elle repose sur des chansons complètement pop, directes, accrocheuses, pleines d'énergie et d'enthousiasme à grand renfort de guitares électriques et de synthés outranciers. Le groupe semble avoir pris autant de plaisir à jouer ces morceaux que nous en trouvons à les écouter, et si "Something for Everybody" est assez court (37 minutes), l'album garde la pêche tout du long et se révèle être un disque aussi drôle qu'entraînant.

Bien entendu, le groupe s'accorde quelques gimmicks, comme des références à des memes en vogue : écoutez par exemple la phrase célèbre "Don't tase me, bro !" à la fin de Don't Shoot (I'm a Man) (*), ou encore cette vidéo montrant des chats (animaux quadrupèdes jouissant d'une réputation principalement positive et popularisés récemment grâce à internet) en train d'écouter Fresh :



On peut trouver ça bidon, mais Devo ne serait pas Devo s'ils ne s'autorisaient pas de telles blagues et ne vantaient pas les mérites des bidules en plastique qu'ils vendent à côté de leurs chansons. Les fans du groupe ne s'en plaignent d'ailleurs pas, tel cet homme qui répand la (bonne ?) parole de la désévolution à travers la société dans cet honorable clip amateur pour What We Do :



L'un des plus grands atouts de Devo (après leurs chansons et leur humour) reste leurs chapeaux rigolos. Lady Gaga l'a démontré, des habits rigolos peuvent affecter une carrière de manière non négligeable, et les "dômes d'énergie" de Devo sont devenus des symboles du mythe, pyramides inoubliables, symboles de toute une philosophie, inspirés par le Bauhaus et les temples aztèques, canalisant l'énergie grâce à… euh… grâce au fait que ce sont des dômes d'énergie. Suite à l'étude menée sur le groupe test, cependant, la couleur des chapeaux de Devo a changé et est dorénavant bleue et non plus rouge. Le bleu est-il une couleur plus dans l'air du temps que le rouge ? D'après une autre étude, la plupart des cultures occidentales associent le bleu au calme, à la paix, à l'intelligence, au ciel, à la tristesse, à Facebook et aux myrtilles (sauf que les myrtilles n'ont pas la même teinte de bleu que les nouveaux couvre-chefs énergisants de Devo), contrairement au rouge qui est associé aux feux rouges, aux poissons rouges (qui sont d'ailleurs plus souvent oranges que rouges et que les anglophones appellent "poissons dorés", preuve que nous évoluons n'importe comment) mais certainement pas aux myrtilles. Les myrtilles contrebalancent-elles la connotation négative du bleu qui associerait Devo à la tristesse (malgré le fait que leur album n'inspire franchement pas la mélancolie) ? Notons que de nombreux symboles iconiques utilisent une combinaison de rouge associée au noir et/ou au blanc, comme l'ont compris Stendhal, les White Stripes, Coca-Cola et les nazis. Si le bleu est une couleur porteuse de nouveauté, une icône bleue se révélera-t-elle aussi durable qu'une rouge pour autant ? Sur une échelle de 1 à 10, comment évalueriez-vous la couleur des nouveaux chapeaux de Devo ? Cet article est en train de désévoluer terriblement, je le crains. J'avais entrepris de parler de musique et je parle désormais de chapeaux et de couleurs.


(Human Rocket)

Sommes-nous tous en train de désévoluer? Peut-être. Toujours est-il que "Something for Everybody" a 88% de chances de nous aider à désévoluer plus heureux et à devenir des débiles primitifs avec entrain ! Je vous conseille donc d'œuvrer dès à présent pour l'avenir et de vous procurer "Something for Everybody", ainsi qu'une barquette de myrtilles et un chapeau rigolo. Vous verrez, ça devrait améliorer votre qualité de vie !


— lamuya-zimina




(*) : La référence est moins anecdotique et gratuite qu'elle n'en a l'air : en 1970, plusieurs des futurs membres du groupe assistèrent à la fusillade de l'université de Kent et aux meurtres de plusieurs de leurs camarades. Ce fut là l'un des événements qui les poussèrent à développer le concept de désévolution (qui n'était alors qu'une blague) et à rajouter un certain sérieux et un certain humour noir dans leur musique… Devo a beau être un groupe amusant et volontairement ridicule, leurs idées peuvent malgré tout pousser à la réflexion.

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