C'est entendu.

lundi 22 novembre 2010

[They Live] Festival Les Inrocks 2010, Partie 1

Première partie : Le Metal médiéval a flingué mon moral


Au début des seventies, il y avait cette insurmontable altérité réciproque qui opposait idéologico-culturo-soniquement la ville (downtown) et la campagne (country). Cela concernait les kids arrivés après les premiers hippies aux US, ceux qui n'avaient pas connu les Beatles "de leur vivant" en Angleterre ou bien les post-soixante-huitards de côté-ci de la Manche, cette génération devait faire avec ce que leur habitat social leur dictait. En ville, on portait des blousons de cuir, on écoutait le hard rock naissant (Free, Black Sabbath, etc) et les plus vieux disques que l'on passait étaient le premier Who ou les premiers Stones. Ceux que la crasse urbaine, le stress et la violence ne tentaient pas ou qui, vivant à la campagne, n'en avaient même jamais entendu parler, pouvaient se tourner vers une musique à leur image : naturelle, relaxée, proche de la Terre et des traditions, et ils s'envoyaient les folkeries de Bert Jansch, Joni Mitchell ou de la scène de Canterbury (Soft Machine, Wilde Flowers).

Angus Young (AC/DC) et James Taylor : impossible d'aimer les deux à la fois ?

Aux soli de guitares saturées, au volume sonore élevé des "groupes" s'opposaient les flutes et les instruments en bois des artistes (songwriter) et il était invraisemblable que d'imaginer un crossover, que cela soit pour les auditeurs (avant l'Ere Internet, les groupes sociaux, je le rappelle, avaient une notion bien plus forte d'appartenance musicale), les musiciens (si l'on excepte les illuminés du genre de Led Zeppelin, capables de sortir un album de folk juste après deux uppercuts proto-hard rock) et bien sûr les critiques (la même année, Lester Bangs écrivait "James Taylor doit mourir" et confessait s'envoyer chaque soir l'intégralité des trois premiers albums de Black Sabbath).

Cette époque est bel et bien révolue et le meilleur exemple de ce métissage nouveau, de cette hybridation contre-nature, c'est Midlake.

C'est dans le cadre du Festival Les Inrocks Black XS (dont nous vous avions parlé en 2009) que se produisaient quelques groupes qui ont marqué (le début de) l'année 2010 et nous ne pouvions pas manquer ces pointures. Parmi eux, Beach House était un gros morceau, alors laissez-moi vous proposer une parenthèse a-métallique avant de revenir à Midlake parce qu'après les avoir vus deux fois cette année (et souvenez-vous que nous aimons beaucoup leur dernier album et que nous les suivions déjà auparavant), il est aisé d'affirmer que Beach House est au top de sa forme (espérons que le prochain album confirme cet état de fait et ne soit pas une autre redite améliorée de leur formule) et que leur performance scénique atteindra difficilement un plus haut firmament.

(merci à Roberto Gil et PhotoConcerts)

Au Trabendo, en Juin, la performance de Victoria Legrand avait été enchanteresse, troublante, magique, mais dans une Cigale archi comble où la température atteignait des proportions Vernesques (pensez "Voyage au Centre de la Terre", pas "Vingt Mille Lieues sous les Mers"), le show ne pouvait être le même et avec un musicien supplémentaire, même la posture habituelle d'Alex Scally, assis sur une chaise penché sur sa guitare, ne pouvait empêcher le groupe de littéralement postillonner son talent au visage d'un public déjà trempé de sueur.



(son et image ne restituent évidemment pas la qualité de la prestation mais voici Zebra)

Legrand, définitivement débarrassée de ses timidités antérieures, était magnétique et invitait l'audience à danser par le mouvement frénétique de sa crinière au dessus d'un synthé martelé comme s'il s'était agi d'un tambour. Beach House n'a plus rien à prouver : en 2010 ils ont sorti leur meilleur album et ont acquis une stature scénique inattaquable, balançant à chaque show un crochet du gauche dans la joue flasque de tous ceux qui pensent faire revivre le shoegaze en jouant fort des mélodies mièvres. Scally et Legrand matent leurs chaussures 24/7, mais leur son (et leurs très bonnes chansons) font la différence. Si vous voulez vous retrouver face à un Mur des Lamentions un minimum respectable, vous savez désormais où vous rendre.

Revenons désormais à Midlake, qui jouait au même endroit, et attardons-nous sur leur discographie afin de nous remettre dans le bain.

  • 2004 : Ils débarquent avec "Bamnan & Silvercock", une collection indie pop rêveuse (parfois mollassonne) où quelques synthétiseurs épars et une batterie maline (Kingfish Pies) font mouche auprès des amateurs de douceurs.
  • 2006 : "The Trials of Van Occupanther" où la formule est la même mais comporte un tube indie pop inimitable en guise d'ouverture, Roscoe, où la guitare et les chœurs assurent une balade à travers l'histoire.
  • 2010 : Quatre ans de réflexion auront amené le groupe à se départir de son masque pop et à révéler sa vraie nature. "The Courage of Others" se dessinait à peine dans les motifs folk de son prédécesseur, il est tel une épiphanie : Midlake se prend pour un Ordre de Druides Ancestral et entend bien ramener la folk traditionnelle anglo-saxonne sur le devant de la scène.
C'est avec peu d'enthousiasme que l'on s'attendait à voir jouées des ballades folk dans une salle aussi comble, devant un public aussi amateur de pop et de rock'n roll et ça n'est pas le déploiement sur scène de trois ou quatre guitaristes (et autant de flutistes en demeure), installés comme s'il s'était agi d'un concert de Crosby, Stills & Nash dans la plus pure tradition du folk-rock américain des années 70, lorsqu'on avait l'impression d'assister à des jams entre amis musiciens confirmés aux chevilles énormes, ça n'est pas cette configuration-là qui allait nous rassurer. Ce qu'il s'est passé, vous l'avez désormais deviné, était autrement plus effrayant : Midlake a joué toutes ses chansons (même celles issues de ses premiers albums, même Roscoe !) comme des druides l'auraient fait... s'ils avaient bu une potion magique dans laquelle on aurait fait tremper des disques de Manowar et le manche de la guitare de Kirk Hammett (Metallica). Imaginez la scène : sur la gauche de la scène, un barbu se lance dans un solo de flute à un volume très élevé pendant qu'au centre, deux barbus, l'un assis, l'autre debout, délivrent un stakhanoviste jeu rythmique sur des guitares acoustiques noyées dans le mix. Pendant ce temps, deux autres musiciens s'évertuent à se faire entendre, plus loin sur la scène, pendant que le batteur secoue ses futs plus violemment que John Bonham afin de ne pas être entièrement couvert par le solo, non pas celui du flutiste précédemment mentionné, mais celui simultané d'un AUTRE guitariste barbu, très impliqué par sa partie digne d'Iron Maiden.



(Acts of Man, jouée en début de set, est le portail d'entrée ferrugineux dans l'univers ancestral de Midlake. Notez l'expression sur le visage du chanteur, qui rappelle à s'y méprendre celle d'un cocker - c'est une race de chien - attendant que son maitre le sorte. C'est en général après cette chanson-là que le metal débarque)

A cet instant, levant les yeux au ciel, je m'aperçus qu'un bonhomme, perché sur une rambarde, battait du poing et secouait les cheveux, manifestement comblé par le folk-métal symphonique softcore délivré par une demi douzaine d'illuminés, pendant qu'une bonne partie du public s'éloignait, petit à petit, du Trou Noir Culturel qui continuait à inspirer beaucoup de peine à ceux qui, comme moi, pensaient que, parfois, si chacun restait chez soi, les vaches seraient mieux gardées. (*)



Prochainement : Les Inrocks Black XS, Seconde Partie, avec LCD Soundsystem !


Joe Gonzalez


(*) : Ceci vaut aussi pour Jason Lytle (ex-Grandaddy) qui n'a rien trouvé de mieux à faire que de venir chanter ses propres mièvreries sur invitation de Midlake.

3 commentaires:

  1. Vous finirez par me donner envie de retenter le dernier Midlake.

    Chouette compte-rendu de concert !

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  2. Quitte à parler de métal médiéval, n'oubliez pas secret chiefs 3 au rayon des aberrations sonores.

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