En tant qu'auditeur, mais surtout en tant que musicien, il y a quelque chose qui m'a longtemps troublé chez certains artistes. Des gens comme Bill Fay, Margo Guryan ou Billy Nicholls. Ayant sorti des albums. Ayant eu une petite carrière. Et puis arrêtant un jour pour ne plus jamais reprendre. Retrouvant un vrai travail. Laissant leurs instruments dans un coin. N'enregistrant plus jamais, ou alors bien trop tard, d'autres albums. Passant à autre chose. Pourquoi ? Comment ? Qui pourrait ? Pas de réponse. Seulement des discographies qui semblent s'être figées dans le temps sans explications précises. J'imagine qu'ils ont voulu faire autre chose. Il y a mille et une raisons qui donnent du sens à tout cela, des raisons que je crois comprendre un peu plus maintenant, il me semble. Mais tout de même, il y a quelque chose d'étrange là-dedans qui rend certains disques un peu orphelins, oubliés, laissés de côté, même pas inscrits à l'assistance publique. Seuls. C'est aussi l'histoire de l'album que nous allons écouter aujourd'hui.
Où es-tu aujourd'hui, Cynthia Dall ? Que fais-tu ? Est-ce bien toi sur la photo que je place aux côtés de ce texte que tu ne liras jamais ? Continues-tu à être photographe comme dans les années 90 lorsque tu apparaissais dans de nombreux fanzines ? Fais-tu encore parfois de la musique, au hasard d'un après-midi trop long, où que tu vives, où que tu sois ? Te souviens-tu encore des deux albums que as sortis en 1996 et 2002 sur le label Drag City ? Les réécoutes-tu parfois, en souvenir du vieux temps ? Te rappelles-tu particulièrement du premier, avec sa pochette venue de nulle part, qui n'avait pas de titre, et sur lequel, dans la première édition, tu n'avais même pas écrit ton nom, ni sur la jaquette, ni dans le livret, nulle part, si bien qu'il était impossible de savoir qui l'avait enregistré ? Sais-tu encore jouer certains des morceaux qui sont dessus ? As-tu encore quelques souvenirs de l'enregistrement, supervisé par un Jim O'Rourke, camarade de label encore jeune aux lunettes à grosses montures, qui jouait même parfois un peu de piano ou de batterie sur l'album ? Il y avait aussi Bill Callahan, de Smog, pas crédité lui non plus, c'était ton petit ami à l'époque parait-il, et tu avais déjà fait des morceaux avec lui sur ses premiers albums, et là, il te rendait la pareille en jouant un peu de guitare par-ci par-là, et en chantant en duo avec toi sur deux morceaux avec sa jolie voix - moins grave qu'aujourd'hui - n'est ce pas ? Je ne sais pas, mais je crois, en tout cas c'est ce que j'ai cru lire, comprendre, amasser. Je n'ai que des notes de pochette Cynthia. Je n'ai que des entrées Discogs. Je n'ai que de courtes reviews écrites par des gens aussi anonymes que moi. Je n'ai qu'un pauvre album tout seul qui reste muet derrière ses morceaux mystérieux. Et après, rien. Reste à broder Cynthia, pas vrai ? Reste à broder.
Où es-tu aujourd'hui, Cynthia Dall ? Que fais-tu ? Est-ce bien toi sur la photo que je place aux côtés de ce texte que tu ne liras jamais ? Continues-tu à être photographe comme dans les années 90 lorsque tu apparaissais dans de nombreux fanzines ? Fais-tu encore parfois de la musique, au hasard d'un après-midi trop long, où que tu vives, où que tu sois ? Te souviens-tu encore des deux albums que as sortis en 1996 et 2002 sur le label Drag City ? Les réécoutes-tu parfois, en souvenir du vieux temps ? Te rappelles-tu particulièrement du premier, avec sa pochette venue de nulle part, qui n'avait pas de titre, et sur lequel, dans la première édition, tu n'avais même pas écrit ton nom, ni sur la jaquette, ni dans le livret, nulle part, si bien qu'il était impossible de savoir qui l'avait enregistré ? Sais-tu encore jouer certains des morceaux qui sont dessus ? As-tu encore quelques souvenirs de l'enregistrement, supervisé par un Jim O'Rourke, camarade de label encore jeune aux lunettes à grosses montures, qui jouait même parfois un peu de piano ou de batterie sur l'album ? Il y avait aussi Bill Callahan, de Smog, pas crédité lui non plus, c'était ton petit ami à l'époque parait-il, et tu avais déjà fait des morceaux avec lui sur ses premiers albums, et là, il te rendait la pareille en jouant un peu de guitare par-ci par-là, et en chantant en duo avec toi sur deux morceaux avec sa jolie voix - moins grave qu'aujourd'hui - n'est ce pas ? Je ne sais pas, mais je crois, en tout cas c'est ce que j'ai cru lire, comprendre, amasser. Je n'ai que des notes de pochette Cynthia. Je n'ai que des entrées Discogs. Je n'ai que de courtes reviews écrites par des gens aussi anonymes que moi. Je n'ai qu'un pauvre album tout seul qui reste muet derrière ses morceaux mystérieux. Et après, rien. Reste à broder Cynthia, pas vrai ? Reste à broder.
(Bright Night)
Je ne sais pas comment tu te sentais en 1996 Cynthia, mais à entendre cet album, tu n'avais pas l'air sereine. J'ai peut-être tout faux. Mais tout de même. Dans la manière dont tu lances au tout début de l'album de ta voix aiguë et légèrement éthérée "What are you buying me for Christmas ?/It'd better be good/You'd better think I'd buy what you're buying," avec un certain ton de menace, tandis que derrière, des guitares distordues raisonnent de manière continue par-dessus un piano mécanique et mélancolique, il y a quelque chose de vif, de violent, de nerveux. C'est comme si une mauvaise ombre planait sur tout l'album, un sentiment froid et intense qui ne retombe jamais et plonge l'auditeur dans une langueur grise que les longs silences nourrissent absurdement. Mais il y a les apparences, ces petites notes qui se veulent calmes et lumineuses, et une sorte de fausse beauté boiteuse essaie tout de même désespérément de trouver son chemin entre deux murs de guitares ou au milieu des fréquences d'une contrebasse qui s'étire à l'infini, avec juste ces pianos aux pédales d'expression toujours enclenchées. En vain. Ces drones froids dans le fond ne s'oublient jamais à coup de martèlements délicats. Mais justement. Sur Bright Night, le décalage forme un morceau hybride, bizarre, charmant et repoussant, aux dissonances pessimistes assourdissantes. Sur Holland, il y a une sorte d'abime, des abysses à la profondeur enveloppante, presque trop. Et le craquement des cordes usées sur Grey and Castles, ces cordes violentées pendant qu'un autre piano semble s'être lancé l'insensé objectif de jouer de plus en plus haut, comme pour s'élever au dessus des parasites. Mais ça ne t'empêche pas de chanter Cynthia, et ta voix semble être un rêve, lorsque tu harmonises, un long rêve, quand tu as l'air épuisée, un de ces rêves dont on ne saurait pas dire au réveil s'il tournait au cauchemar ou pas. Reste la mélancolie particulière du matin quand tu es seule avec ton piano sur certains morceaux, comme cette étrange berceuse en russe sans titre qui te sert d'épilogue, ou encore ce petit instrumental For Tiara, qui qu'elle soit, avec ses sons du dehors.
(Holland)
Cet album n'a pas de titre, n'a pas de sens, n'a pas de fin, n'a pas de but, il est juste là. Mais il porte en lui un magnétisme et une force d'hypnotisme qui emportent en vain, très loin. On revient toujours de cet album un peu plus vide, un peu plus fatigué. Un temps bercé implacablement par ces étranges démonstrations à la nudité brute et au pale éclat, on s'en ira oublier cet opus vite, ne sachant faire coexister le monde et cet ailleurs sonique blafard, pour mieux le redécouvrir ensuite, plus tard, par une nuit très noire, par un jour très clair.
Emilien Villeroy
Merci.
RépondreSupprimerelle est bonne en +
RépondreSupprimerAh non non, elle était photographe et musicienne, je ne crois pas qu'elle faisait des ménages. En tout cas, vous me l'apprenez.
RépondreSupprimermerci. je fais dans l'humour.
RépondreSupprimerCette découverte inattendue tombe tout à fait dans mon escarcelle et correspond parfaitement à mon humeur et à mes envies momentanées. Merci.
RépondreSupprimerJe connaissais Callahan mais pas elle.
RépondreSupprimerJ'ai l'impression qu'elle a comme payé le côté Twin Peaks de sa musique, ce style planant-névrosé qui avait déjà pas mal été épuisé par plein de filles.
Mais elle au moins a pris une certaine distance sonique avec le modèle original (Julee Cruise).
Très beau.
j'ai écouté et je trouve ça assez mauvais
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