C'est entendu.

lundi 7 novembre 2011

[Réveille Matin] Swans — Blind

La première fois que j'ai écouté Swans (c'était sur "Public Castration Is a Good Idea", il y a longtemps), je n'ai quasiment rien retenu ni ressenti, à part une impression de brutalité pure, de froideur, de nihilisme et de cruauté, jetée au public sous sa forme la plus brute et sans concession. J'ai écouté le disque plus par défi, par expérience qu'autre chose, puis laissé le groupe de côté pendant plusieurs années, n'ayant entendu là qu'une musique à une dimension, un extrême, et ne comprenant pas tout à fait ce que tout le monde y entendait de génial.

Il m'aura fallu pas mal d'insistance pour me résoudre à jeter une oreille à "My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky" l'an dernier, mais même sur cet album, pourtant plus accessible, le son était trop froid pour que j'y accroche réellement ; la musique montrait un vrai cœur, mais à moitié de glace, toujours distant quelque part. Puis j'ai décidé d'écouter "The Great Annihilator"… et là, j'ai ressenti réellement, pour la première fois, une émotion forte à l'écoute de Gira, de Jarboe et des autres musiciens : la folie grandiose d'I Am the Sun (qui réclame tout de suite admiration et volume sonore à faire saigner les tympans), la douce cruauté de She Lives!, le rythme torturé mais si prenant de Mother/Father, la chaleur étonnante de Blood Promise… et (mon premier vrai coup de cœur) une vraie illumination sur Mind/Body/Light/Sound, profession spirituelle qui m'a réellement fait aimer ce groupe, au son intransigeant et brutal, pourtant capable d'une si grande beauté. Partout, "The Great Annihilator" — malgré son nom — est empreint de cette dualité : le groupe brutalise l'auditeur, titille son sens du morbide, mais lui fait aussi voir de tels éclairs de splendeur qu'il en redemande. Un groupe auquel j'étais jusque-là insensible venait de m'être révélé par son chef d'œuvre.


À côté de "The Great Annihilator", la même année, Michael Gira sortait un album (plus ou moins) solo du nom de "Drainland" — qui se clôturait par la plus belle chanson de Swans que je connaisse à ce jour (la piste sort d'ailleurs également sur la compilation de pistes rares "Various Failures") : Blind, une chanson où la voix si profonde et si dure de Gira se livre réellement, dans toute sa puissance et son insensibilité avouées.

I saw a man cry once, down on his knees
In the corner of a darkened cell, and his pain meant nothing to me
But I was younger then, and young men never die
When I walked out in the sun, I was strong, clear minded,
and blind.


(« J'ai vu un homme pleurer un jour, à genoux / dans le coin d'une cellule sombre, et sa douleur ne me faisait rien / Mais j'étais jeune à l'époque, et les jeunes hommes ne meurent jamais / quand je sortis au soleil, j'étais fort, j'avais l'esprit clair, / et j'étais aveugle. »)

Gira a toujours su écrire des paroles puissantes, mais ici, Blind étonne et se comprend — pour une chanson des Swans, pour qui a découvert les Swans comme je l'ai fait — surtout par la beauté simple de sa mélodie, et par son chant. La voix de Michael Gira, d'habitude "seulement" parfaitement adaptée à la musique du groupe, se révèle ici dans toute sa profondeur — et sa beauté peu commune, à couper le souffle… Blind n'impressionne pas par sa violence mais par son intimisme, et la chanson en devient tout aussi puissante que les plus radicales du groupe. Ce n'est pas seulement ma chanson préférée de Swans : c'est une de mes chansons préférées tout court.

“No I was never young, and nothing has transpired
And when I look in the mirror, I feel dead, I feel cold,
I am blind.


(« Non, je n'ai jamais été jeune, et rien ne s'est jamais fait savoir / Et quand je regarde dans la glace, je me sens mort, je me sens froid, / Je suis aveugle. »)


— lamuya-zimina

8 commentaires:

  1. Y a pas à dire, quand c'est beau, c'est beau.

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  2. Tu viens de me faire franchir la barrière, lamu. J'avais pas vraiment adoré "My Father..." l'année dernière (sans lui nier quelques qualités) mais j'en avais quand même tiré une forte curiosité quand à la discographie de Swans. J'avais écouté il y a quelques mois les deux premiers morceaux de White Light From The Mouth of Infinity et j'avais aimé sans pour autant avoir la force de me plonger dans quelque chose qui avait l'air aussi dense, lourd, puissant.

    Et là après avoir lu l'article je me suis envoyé The Great Annihilator, un peu fébrile et wouah. Révélation. I Am the Sun est absolument démente.

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  3. C'est quoi un "son froid"? merci

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  4. Un son chaud peut être envoûtant, agréable, en tout cas semble proche de l'auditeur et vouloir le "séduire" au sens large (exemples : une voix sensuelle, les cuivres sur "So What" de Miles Davis, un rythme dansant, une mélodie harmonieuse) ; un son froid paraît beaucoup moins "humain", peut être dissonant ou complètement formaliste (exemples : une voix blanche ou détachée, le free jazz, un beat techno ultraminimaliste, une musique atonale, une mélodie dissonante). La différence est parfois subtile (dans certaines musiques minimalistes, un drone harmonieux et chaud peut se muer progressivement en un drone dissonant et froid).

    Mais c'est tout à fait subjectif et ça n'a rien de très "sérieux" ou d'officiel, j'utilise ces termes par analogie avec les couleurs chaudes ou froides, un tempérament chaud ou froid...

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  5. Je nuance en disant que le free jazz peut-être absolument brûlant. Ca dépend de quel artiste on parle.

    Et ce que fait Lamuya s'appelle de la synesthésie. Ce procédé consistant à lier deux perceptions sensorielles en une même idée me parait personnellement si habituelle et commune que je trouve presque amusant que Lamu ait besoin de le faire.

    Qui plus est, les notions de "chaleur" et "fraicheur" en termes sonores découlent de la synesthésie patente de centaines de critiques musicaux qui depuis des lustres utilisent ces termes de façon si naturelle qu'il me semble apparaitre d'emblée au lecteur de ces associations la notion qu'elles renferment. C'est à dire que je ne pense pas qu'il y ait plusieurs significations pour "un son froid". Je pense que tous ceux qui comprennent cette association la comprennent d'une façon analogue.

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  6. pour moi un son froid, c'est un son allemand ou scandinave.

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  7. quant à un son frais, c'est un son nouveau, original, qui ne sonne pas vieux! c'est frais!

    et un son chaud, c'est un son qui donne envie de ruiner des culs^^

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  8. Je suis d'accord, "frais" et "froid" ce n'est pas pareil ! (Enfin, ça peut l'être, mais la polysémie de "frais" et de "fraîcheur" est gênante…)

    "pour moi un son froid, c'est un son allemand ou scandinave."
    > J'ai failli répondre que la nationalité des groupes n'avait pas grand'chose à voir là-dedans, mais c'est vrai que ça se recoupe souvent…

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