N'y allons pas par quatre chemins : du point de vue de leur carrière, Peter Hayes et ses acolytes se sont tiré une balle dans le pied en sortant "The Effects of 333" en 2008. L'album d'ambient expérimental a reçu une volée de bois vert de la part de quasiment tous les critiques et auditeurs : zéro virgule quatre sur Pitchfork, moins de 2/5 sur Rate Your Music… des critiques pas toutes assassines, et parfois même remplies de bonne volonté, mais qui débouchent quasiment toutes sur un sentiment de déception et/ou d'incompréhension. Souvent une réaction de rejet pur et simple (ce qui se comprend parfaitement). Au pire, une critique faussement justifiée par des parallèles foireux (j'aimerais bien que le critique de chez Pitchfork m'explique où il entend une tentative "maladroite" de "recréer [la musique de] Fennesz" sur ce disque !). Au mieux, sur la meilleure critique que j'ai pu lire, une description très juste mais sans prise de position ; peut-être parce qu'il n'est pas si difficile que ça de "comprendre" l'album, mais beaucoup plus de l'apprécier quand on n'accroche pas à ce genre de musique a priori — et donc de le recommander aux fans du groupe… En fait, le sentiment général des fans vis-à-vis de cet album peut plus ou moins se résumer à ce qu'avait dit Joe : "[…] [L]e BRMC est un groupe de rock'n roll, dont la fonction est d'écrire toujours à peu près les mêmes chansons et de les jouer avec passion, alors qu'ils laissent expérimentation, réinvention et intellectualisation à d'autres conviendra à tout le monde."
(The Effects of 333)
Je n'aurais rien eu à reprocher au Black Rebel Motorcycle Club s'ils s'étaient contentés de sortir de bons albums de rock, mais voilà : j'aime encore plus le groupe depuis que j'ai écouté "The Effects of 333". Ceux qui vous parleraient de virage expérimental pseudo-intellectuel pour la forme ou de provoc' à la "Metal Machine Music" se trompent : l'album, à l'origine, fut inspiré par les insomnies de deux des membres ; insomnies qui les ont poussés à expérimenter sur des sons d'ambiance, somnifères ou autres, à l'origine sur des pistes de plus de 45 minutes, avant que l'album ne change et ne prenne une direction "cauchemardesque" (pour reprendre les mots de Hayes). Un disque expérimental pour le groupe, incontestablement, mais aussi un disque cathartique, expressif à sa manière, et certainement pas aussi vide qu'il n'y paraît. Ce que propose ce disque, présenté comme "simplement abstrait" et sorti sur le propre label du groupe, est un paysage post-apocalyptique, désolé, dépeuplé sans être tout à fait mort ; reflet de cet état à moitié conscient, empreint d'une agitation impossible à évacuer et pourtant à moitié "ailleurs", que tous ceux qui ont déjà passé des nuits blanches connaissent bien.
(Sedated with Sterilized Tongues)
Les différentes pistes sont des variations sur le même thème : des samples lointains, des nappes, des grondements, et aussi (et surtout) des pulsations électriques parmi les décombres, oscillations qui animent réellement la musique. Pas une seule parole ici, mais sur trois pistes, des mélodies à la guitare qui tournent en boucle, seule source de "chaleur humaine" (étonnante mais finalement bienvenue) de l'album. Exploration d'une ville détruite, d'un volcan ou d'une architecture inconnue, loin de toute civilisation, le disque ne manque pas d'inspirer et d'intriguer, et plusieurs passages (la piste-titre et sa suite Still No Answer, ou Sedated With Sterilized Tongues) sont mémorables ; j'aurais d'ailleurs bien aimé entendre une version longue de la piste-titre (coupée ici à 3:33)…
(And With This Comes)
"The Effects of 333" est un disque un peu naïf par moments, quelque peu inégal aussi. Certains sons auraient certes mérité d'être plus travaillés, A Sad State manque de finesse et A Twisted State traîne laborieusement sa mélodie ; c'est un effort de débutants dans le genre. Mais de débutants qui avaient quelque chose à dire — ou plutôt quelque chose à canaliser, une énergie négative ou une frustration qui devait sortir d'une manière ou d'une autre. Je persiste à penser que si cet album était sorti de manière "anonyme", sous un autre nom de groupe et sans qu'aucun lien ne puisse être établi avec le Black Rebel Motorcycle Club, la réaction des auditeurs aurait été différente. (D'abord parce que les auditeurs n'auraient pas été les mêmes, il est vrai.) Auraient-ils pour autant dû le sortir ainsi, ou garder la musique pour eux ? On peut trouver cet album ennuyeux ou laid, c'est une question de goût ; mais je trouve qu'il serait dommage de faire passer "The Effects of 333" complètement à la trappe. J'aime quand les musiciens sortent du cadre qui leur est réservé. J'aime aussi quand The Knife sort une bande son d'opéra complètement inattendue même si je ne l'apprécie guère, le fait que Sonic Youth ait publié les Silver Sessions dont je n'ai pourtant pas gardé un grand souvenir : j'aime quand les artistes sont "vivants" et s'expriment dans leurs bons comme leurs mauvais jours. Ça ne force personne à acheter les disques en question, mais ça fait toujours le bonheur de quelques-uns — et ça aide à comprendre un peu plus les personnes que l'on trouve derrière les sons.
— lamuya-zimina
— lamuya-zimina
hé ben putain...
RépondreSupprimerPas du tout fan de l'album, mais "And with This Comes" vaut vraiment le détour.
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