C'est entendu.

jeudi 22 septembre 2011

[Alors quoi ?] Heavy Metal #1

Les Armées du Royaume de la Mort Éternelle arrivent sur Terre depuis les Enfers sur leurs fiers destriers de métal pour faire table rase et apporter l'Ordre Nouveau où les Rois des plaines du Tonnerre auront tout pouvoir sur les simples mortels et pourront les écraser à la force de leurs marteaux divins et de leurs épées-magiques (*1). Les Armées. Là, maintenant. Elles arrivent pour vous vaincre vous et vos préjugés petit-bourgeois vis à vis du Heavy Metal. Car je l'exprime tout de go, vous avez tort, vous vous trompez, vous l'avez dans l'os. Non, le heavy metal n'est pas seulement un repaire sonore pour gros dégoutants, suant à grosses gouttes sous leurs cuirs, fiers de leurs longues bouclettes et cultivant sexe, violence et amour du Démon au jour le jour. Trop pas. Il y a certes une communauté, une frange de la population, qui semble plus encline aujourd'hui (et je dis bien aujourd'hui) à se laisser convaincre par les trémas sur des voyelles, les crucifix inversés et les power chords rapidement pratiqués. Ils sont souvent grands et forts, ils ont peut-être besoin de cette musique pour déverser leur haine dans quelque chose de plus sain qu'un punching ball ou le visage de leurs conjoints, qui sait ? Il y a des études là-dessus. Mais vous reconnaitrez que l'Age d'Or du heavy metal est derrière nous, et c'est alors, lorsque les rois-guerriers et les hurleurs androgynes étaient au sommet des charts, dans une période courant de 1978 à 1988 environ, que le heavy metal s'est révélé significatif et grandiloquent, constructif à travers-même sa décadence. Ce qui m'amène à user de tels adjectifs pour définir ce que beaucoup doivent considérer comme un fléau, comme l'une des raisons pour lesquelles les années 80 ont encore une image négative, comme l'une des heures sombres du triomphe d'un genre musical sur les ondes radio, c'est l'idée, toute simple, selon laquelle avant d'être une musique de violence, de machisme, de clichés, ce que l'on a appelé "hair metal" (*2) était le fier blason de l'amusement, de la fête, du bon temps et de l'éclate à une époque où, en apparence, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes (à savoir les États Unis d'Amérique de Ronald Reagan).


Heavy Metal #1 : Le triomphe de l'acier dans la bonne humeur, une autre façon d'envisager le Hair Metal Américain

Personne n'a mieux exprimé cette idée que les personnages imaginés par le scénariste Robert D. Siegel pour le film de Darren Aronofsky, "The Wrestler". Le catcheur joué par Mickey Rourke et la strip teaseuse interprétée par Marisa Tomei, lors de leur premier rencard, se retrouvent dans un bar à discuter lorsque retentit à la radio le Round & Round du groupe de glam metal Ratt, de San Diego (une chanson parue en 1984 sur l'album "Out of the cellar"), sur le refrain de laquelle Rourke se met à chanter, très vite épaulé par Tomei :




I knew right from the beginning
That you would end up winning
I knew right from the start
You'd put an arrow thru my heart


... s'ensuit alors un rapide débat que je trouve particulièrement intéressant parce qu'il énonce les faits d'un point de vue inhabituel :

Mickey Rourke : Goddamn, they don't make'em like they used to.
(Bon sang, on n'en fait plus des comme ça)

Marisa Tomei : Fuckin' eighties, man. Best shit ever.
(Putains d'années 80, mon vieux. La meilleure came de tous les temps.)

MR : Bet your ass, man. Guns n'Roses fucking rule.
(Tu l'as dit, ma vieille. Guns n'Roses sont les putains de meilleurs.)

MT : Crüe... Def Lep.

MR : And that Cobain pussy had to come around... And ruined it all, ya know.
(Et cette fiotte de Cobain avait besoin ramener sa gueule... et de tout foutre en l'air, pas vrai ?)

MT : Like there's something wrong with having a good time ?
(Comme s'il y avait quelque chose de mal à s'éclater ?)

MR : Lemme tell you something, I hated the fucking 90's.
(J'vais te dire un truc, j'ai détesté les putains d'années 90)


Accuser le seul Cobain d'avoir causé la fin de la fête n'est bien entendu pas tout à fait juste, surtout dans la mesure où Nirvana n'est finalement qu'un rejeton naturel du heavy metal, tout comme des groupes affiliés au metal de la même époque (Danzig, Melvins). La fin de la fête était inévitable. Après deux mandats de Reagan le pays était dans un sale état et pendant ces huit années de règne, les mœurs dominantes avaient changé, expulsant pour de bon toute réminiscence de la naïveté et de l'optimisme nés dans les années 60 et qui avaient contribué à la naissance du metal. La récupération du heavy metal par le système de l'industrie musicale, l'apparition des synthés, des power ballads et la décadence inhérente à tout genre musical à ce stade de sa reconnaissance publique (une décadence exprimée notamment par le documentaire de Penelope Spheeris "The Decline of Western Civilization Part II : The Metal Years" et dans une moindre mesure par le mockumentaire de Rob Reiner "Spinal Tap") ne pouvaient qu'amener à la dégradation durable de l'état de santé du metal.




Cependant, là où ce dialogue est intéressant c'est lorsqu'il décrit cette musique comme un symbole de l'état d'esprit qui caractérisait l'Amérique de Reagan, du moins du point de vue des observateurs extérieurs ou des privilégiés (parce que l'ère des Reaganomics et leurs effets dévastateurs sur l'état du pays, sur les emplois, les libertés individuelles et les questions relatives à la Culture n'aura pas été vué par toute la nation comme une époque où "tout [était] possible"). Selon la formule consacrée prononcée par Ronald Reagan lui-même lors de sa campagne de réélection en 1984 : "It's morning again in America", une époque où il fait bon être jeune (on pourrait ajouter "blanc"), ambitieux et travailleur au pays du rêve. C'est exactement ce que le heavy metal exprimait, en plus vulgaire je vous le concède. Les choses sérieuses avaient commencé en Angleterre quelques années plus tôt avec Black Sabbath, Iron Maiden et Judas Priest mais c'est à Los Angeles, à partir de 1982 ou 83 que le heavy metal prit enfin son envol aux États Unis. Quiet Riot furent les premiers à atteindre le sommet des charts, avec leur album "Metal health" en 1983, en grande partie grâce à leur reprise du Cum on feel the noize des anglais de Slade. A partir de là, les majors comprirent qu'il y avait de l'argent à gagner et la voie était ouverte pour ce que Dave Mustaine (de Megadeth) allait résumer plus tard avec une vanne "Glam metal = Gay LA metal". Les groupes qui avaient jusque là hanté le Sunset Strip devaient conquérir le monde avec des looks de plus en plus grotesques.


(Motley Crue - Looks that kill)

De Mötley Crüe à Twisted Sister en passant par W.A.S.P., Ratt ou Poison, les cheveux étaient longs et imposants, les cris stridents, les guitares en avant et le code vestimentaire incluait des éléments typiquement féminins, d'autres tendant vers le post sadomaso (une tendance initiée par Judas Priest). L'ambition de la frange glam californienne du heavy metal était de choquer, choqué cela a, et c'est là qu'est le paradoxe gigantesque. Cette musique que la jeunesse chérissait, qui dominait les charts et qui représentait si bien le concept-même de Reaganisme, avec ce que cela implique d'égocentrisme, de manichéisme, de sans-gène et de décadence arriviste, cette musique-là devint bien vite celle à abattre pour les adultes bien-pensants du système. Le paradoxe est tel que de la bataille juridique qui suivit la prise de conscience par l'establishment du contenu des paroles de ces jeunes gens (des hommes essentiellement) et qui opposa notamment Tipper Gore, la femme du Sénateur Al Gore à Dee Snider (ci-contre), chanteur-icône de Twisted Sister, naquit une mesure consistant à apposer le fameux "Parental Advisory / Explicit Content" sur les disques dont le contenu pourrait se révéler choquant. Un autocollant qui allait malgré lui booster les ventes du heavy metal, incitant les jeunes à acheter en priorité les disques marqués.



(Twisted Sister - We're not gonna take it (anymore))


L'Amérique de la surenchère avait ce qu'elle voulait : une stigmatisation de la rébellion adolescente du metal, inefficace certes, mais les WASPs derrière le PRMC, qui avaient imaginé le sticker, avaient ce qu'ils voulaient : une décision de justice, une reconnaissance. Il est toujours amusant et stupéfiant de bétise de voir à quel point la jeunesse-rebelle-voulant-brûler-les-symboles-de-ses-parents d'un jour se transforme cycliquement en idiote-masse-adulte-voulant-brûler-les-symboles-de-ses-enfants le lendemain. Oh mais dans ce cas précis, l'entêtement parental ne devait pas durer puisqu'à partir de la fin des années 80, un ennemi bien plus délimité prendrait la place du metal au rôle d'ennemi public number one. Lorsque PE, N.W.A. et d'autres prirent le relais, je soupçonne les culs-serrés dans la lignée de Tipper Gore d'avoir ressenti un frisson d'excitation à l'idée de la croisade qui s'annonçait. L'ennemi était plus facile à accuser : ses invocations de violence étaient plus "réelles", moins fantasmées, et puis surtout, l'ennemi était noir.

(Professor Griff, de PE, puis Ice Cube et bien d'autres allaient offrir une nouvelle cible à l'establishment bien-pensant)

Il y a eu de nombreux courants dans le heavy metal, de nombreuses vagues depuis les origines anglaises jusqu'à son exportation massive en Scandinavie. Aux Etats Unis, le thrash metal d'Anthrax, Metallica, Megadeth et quelques autres devait voler la vedette au glam metal à partir de la fin des années 80 avant d'être lui-même dépassé par d'autres mouvances. Il y a eu au cours de ces péripéties beaucoup d'excès, de sexisme, de provocation et de frasques mais jamais autant que pendant l'ère du Hair Metal, lorsque Van Halen et Guns'n Roses faisaient la loi. Il s'agit de ne pas tout confondre. Manowar portait des peaux de bêtes et chevauchait des Harley-Davidson, Black Sabbath invoquait la sorcellerie, Judas Priest le SM, mais la majeure partie des métalleux-à-cheveux-longs des années 80 se contentaient de prôner l'éclate, le déchainement et l'irresponsabilité concertée. Un état d'esprit absolument rock'n roll en même temps qu'une profession de foi dictée par l'air du temps. J'ai beau être personnellement beaucoup plus proche en termes de goût, d'idéologie ou de simple kiff de styles musicaux historiquement parallèles au hair metal (le post-hardcore, la new wave, le hip hop old school...), je ne peux m'empêcher de regarder cette phase du grand cycle commercial de l'industrie avec un certain respect, au mépris de toute considération socialisante ou de toute morale. On en viendrait presque à regretter ces bouclettes, ces visages peints et ces poses lascives. L'absence totale d'éclate (sans provocation - aucune ! - il ne peut y avoir d'éclate) dans le mainstream actuel, voilà ce qui nous amène tous à la rétromanie. Laquelle contamine le mainstream par vagues successives et le serpent de se mordre la queue. C'est une autre histoire.


Dans le prochain numéro, retrouvez un Top des singles les plus charismatiques à avoir parsemé les années 70, 80 et 90 et faites-vous une culture métallique en béto.. euh en acier !



Joe Gonzalez


(*1) : En changeant l'ordre des mots de cette phrase vous pouvez recomposer le texte de n'importe laquelle des chansons de Manowar.

(*2) : Une appellation qui n'a aucun sens et qui désignait l'ensemble des groupes heavy, glam ou thrash metal des années 80, ceux dont les tignasses inondaient MTV.

7 commentaires:

  1. Metallica, Megadeth, Guns, c'est toute ma jeunesse ça. L'article est bien plaisant. J'ai appris un ou deux trucs. Merci ;)

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  2. J'ai pas encore eu le temps de lire mais je trouve ça déjà beau. Je lirai bientôt !

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  3. Merci pour ce beau topo de ce que fut l'Âge d'Or du Heavy. Étant un fan absolu et inconditionnel de Judas Priest et du heavy en général, je ne peux que souscrire à ton point de vue et être en accord avec le respect que tu porte à cette période.

    À quand un article sur le black métal, plus fier et arrogant rejeton du Heavy ? :)

    Gondebaud.

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  4. Un article sur le black metal est prévu pour les jours qui viennent, justement !

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  5. Tu m'en vois ravi ! J'ai hâte de lire cela !
    (En espérant que ce soit aussi positif que cet article-ci, le Black ayant tendance à diviser beaucoup les non-adeptes sur sa qualité)

    Gondebaud.

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  6. Oh je pense que tu ne seras pas déçu. Et au passage, c'est cool de te voir ici après t'avoir lu dans les commz de chez Il a osé !

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  7. C'est un pote qui m'as montré cet article-là, donc forcément j'ai tout de suite eu l'oeil alerte et les sens en éveil. Puisque je ne m'attendais pas du tout à trouver du heavy sur C'est entendu, ou même toute sorte de métal, ce que je trouve vraiment cool. :)

    Pour le reste du blog, ca ne cadre guère avec mes goûts musicaux habituels (Héhé) mais une fois de temps en temps, je tombe sur un groupe (non-conventionnel pour mes oreilles habituées à ne rien entendre de moins violent que Judas Priest) qui parvient à me plaire ou m'intéresser. (Kraftwerk, Pixies, entre autres)

    Donc voila, en espérant découvrir des groupes qui parviendront à m'intéresser. ;)

    Gondebaud.

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