C'est entendu.

jeudi 18 août 2011

[Fallait que ça sorte] Les Pourvoyeurs de Powerpoptimisme #2

1975. Big Star et les Raspberries ne sont plus, Badfinger est en perte de vitesse, cette première génération powerpop n'existe plus ou presque mais une nouvelle garde est prête à prendre les armes... Du coté de San Francisco Paul Collins, Jack Lee et Peter Case forment les Nerves et au même instant Greg Shaw propose à un autre groupe californien, les Flamin' Groovies de sortir un 45 tours sur son nouveau label Bomp. L'épicentre de cette vague a comme quartier général la Californie et en particulier Los Angeles, mais de Boston à New York la powerpop ne laisse pas grande monde indifférent.



Powerpoptisme #2 : "S'éclater sur 3 accords", de 1975-1980 aux États Unis




(The Beat - Don't wait up for me)

The Nerves sortent leur EP 4 titres en 1976. Un chef d’œuvre de powerpop racée sans une once de fioriture. Le power trio fonctionne à merveille et se partage aussi l'écriture : Jack Lee signe Hanging on the telephone (*1) et Give me some time, Paul Collins écrit Working too hard et Peter Case le génial When you find out. Un 4 titres pour l'histoire, peut-être l'une des plus belles pièces du genre (*2) et puis basta car même si les Nerves ont l'honneur de tourner avec les Ramones en Californie, le groupe finit par se séparer malgré un single prévu chez Bomp (*3). Par la suite, Jack Lee ne publiera que quelques disques (assez dispensables) en solo, mais les deux autres larrons se lancent d'emblée dans des carrières au moins aussi passionnantes que celle des Nerves. Paul Collins passe de la batterie à la guitare, il monte The Beat qui sort coup sur coup deux excellents disques. Le premier, "The Beat", se révèle être l'un des disques les plus significatifs du genre. La powerpop aura rarement été aussi excitante et enthousiasmante que sur Rock n roll girl, Don't wait up for me ou le génial Walking out on love. En 2010 Paul Collins a de la calvitie, une voix un peu plus marquée, un peu de bide mais il fait une retour surprenant avec "King of powerpop", un album presque aussi bon que le premier, 30 ans plus tard. Peter Case de son coté fonde les Plimsouls (d'après le nom d'une chaussure...), un groupe honorable pendant les 80's et qui obtiendra un petit tube avec le classique A million miles away, grâce à la BO du film Valley Girl (un teen movie californien mettant en scène nul autre que Nicholas Cage). Les enregistrements live des Plimsouls (*4) donnent à entendre une formation fantastique sur scène.



(The Flamin' Groovies - Shake some action)

Greg Shaw, après ses activités de journaliste (*5) se lance à son tour dans la création d'un label : Bomp. Le déclic vient d'un autre groupe de San Francisco, les Flamin' Groovies. Cette formation existe depuis la fin des années 60 (ils ont sorti leur premier LP, "Supersnazz" en 1969) mais en 1975 c'est un groupe très différent de sa première incarnation : Roy Looney s'est barré tandis que Chris Wilson et Cyril Jordan ont pris les commandes. On parle souvent de la guerre (quelque peu artificielle) entre les Beatles et les Stones et avec les Flamin' Groovies, on a trouvé le transfuge idéal. Dans leur première incarnation, ils taquinent du coté des Stones, notamment sur le classique "Teenage Head", pas loin d'être meilleur que les disques des Glimmer Twins de la même époque mais ensuite le groupe splitte. Jordan et Wilson décident de continuer ensemble et conservent le nom Flamin' Groovies. Cette seconde version s'inspirera d'avantage des Beatles et des Byrds (*6). Ils partent enregistrer à Rockfield au Pays de Galles, chez Dave Edmunds, reviennent avec plein de morceaux sous le bras mais aucun label pour les publier. Greg Shaw entend alors les titres et n'en revient pas. C'est la musique qu'il veut défendre depuis toujours. Il se jette alors à l'eau et crée Bomp. You tore me Down est donc le premier 45 tours édité par Shaw avant de nombreux autres tout aussi définitifs pour le genre. C'est un petit tube en puissance, de la pop pur jus et sans arrière-pensée, une merveille presque anachronique pour 1975. Le disque attire l'attention de SIRE (*7) qui les signe tandis que Shaw devient leur manager. "Shake Some Action" sort l'année suivante, un classique instantané de la powerpop, Yes it's true ou Shake some action sont des merveilles qui ne rencontrent malheureusement pas une large audience. Les Flamin' Groovies viennent grossir les rangs de ces groupes cultes qui mettent en émoi les amateurs mais que le grand public boude ou ignore.



(The Knack - My Sharona)

The Knack, de Los Angeles, ont eux la chance de produire un énorme tube avec My Sharona. Avant la publication du single, le groupe fait déjà l'objet d'une bataille d'enchères entre plusieurs maisons de disques souhaitant les signer et les Knack optent finalement pour Capitol. Parmi les exigences du contrat, le label doit utiliser la charte graphique des années soixante sur le macaron du vinyle car les Knack, en bons fanatiques des Beatles, se sont souvenu avec émoi des disques des Fab Four publiés aux USA par Capitol. Poussant le vice de la comparaison avec le groupe liverpuldien jusque dans la pochette du 33 tours (une photographie en noir et blanc soignée et sobre), les Knack empruntent aussi quelques trucs musicaux aux Beatles sans donner l'impression d'être un groupe-hommage. Ce clin d'oeil de Doug Fieger et des siens se retourne cependant contre eux et devient l'un des griefs dans la campagne de dénigrement "knuke the knack" selon laquelle le groupe ne serait pas authentique, venu de nulle part, monté de toutes pièces (*8), copiant sans vergogne les Beatles... Ce discours est à peu près aussi ridicule que les autodaffés de 33 tours de disco organisés dans les stades de baseball à la même époque... Malgré ce rejet agressif d'une partie du public, My Sharona devient un énorme tube, l'un des rares disques de rock à avoir un tel impact en 1979. Sharona, une jeune fille de 17 ans dont était amoureux le chanteur, pose sur la couv' du disque (pour la petite histoire, ils sortiront un temps ensemble et resteront amis). L'album est également un énorme succès, ce qui va amener un grand nombre de labels à chercher des groupes powerpop à signer pour profiter de la manne. Les Knack, eux, ne se hisseront jamais plus au même niveau.

(La véritable Sharona tenant l'album des Knack)

Le succès des Knack est à la fois une bénédiction et une malédiction pour la powerpop. Tout à coup, tout le monde s'intéresse à ce truc jusqu'ici plutôt reservé aux initiés. De nombreux musiciens s'engouffrent alors dans la brèche et si de bons groupes en profitent, on assiste surtout à une perte de sens et de sincérité lorsque les maisons de disques et les médias entrent dans la danse. On a souvent parlé de la powerpop, tout comme ce qu'on a pu appeler "new wave" (There is no such thing as new wave, NDLR) comme une version "fréquentable" (*9) du punk rock. C'est à dire quelque chose que l'on peut vendre, quelque chose de présentable, qui ne choquera pas le quidam lambda que le look des punks et leur attitude (notamment lors des concerts) pourrait rebuter. Bomp devient une référence dans le domaine et une bonne partie des groupes encore en activité sont signés à tour de bras par de plus grosses maisons de disques. Ceci concerne notamment les Romantics, les 20/20 et les Shoes. Voici en quelques mots ce que pouvaient valoir les meilleurs groupes issus du succès de My Sharona à la fin des années 70 :


(The Romantics - What I like about you)

Formés en 1977, le jour de la Saint Valentin, les bien-nommés Romantics de Détroit avaient publié deux singles en indépendants avant de signer chez Nemporor. C'est là qu'ils obtiennent leur petit succès avec un premier LP en 1979 et le titre What i like about you. Se sentant héritiers du son imaginé par les artistes de leur ville à la fin des années 60 (*10), ils avaient pour devise de "toujours s'éclater sur trois accords" (*11). Malgré une pochette affreuse (les Romantics posent dans un "magnifique" costume en cuir rouge), l'album est un authentique plaisir de pop musclée sans prétention mais sacrément efficace et bien menée. Le groupe ne retrouvera pas cette magie par la suite mais conservera un certain succès, en particulier en 1984 avec Talking in your sleep, un top 10 aux USA. Le chanteur Wally Palmar a d'ailleurs récemment participé au disque de Paul Collins : tout est lié !



(20/20 - Remember the lightning)

Tous deux originaires de Tulsa, Ron Flynt et Steve Allen (*12) montent à Hollywood, et forment 20/20 avec Mike Gallo. Très vite ils sortent un 45 tours sur le label de Greg Shaw et sont repérés par Portrait, avec qui ils signent deux albums. Le premier, en 1979, est un très bon exemple de cette powerpop étiquetée new wave typique de la fin des années 70. Ils ont un pied dans le passé (les guitares très jangly) et un autre dans les années 80 (l'introduction de l'album à la Blade Runner au synthé analogique), la production se voulant moderne quitte à parfois manquer d'un peu de simplicité. On y trouve le titre mythique Yellow pills (*13) mais aussi et surtout le génial Remember the lightning ou encore le cucu mais tellement chouette Cheri. "Look Out !", paru deux ans plus tard, laisse une part encore plus importante aux synthés, mais survit plutôt bien à l'épreuve des ans.


(Shoes - Tomorrow night)

Les Shoes se forment dans la ville de Zion dans l'Illinois en 1974 autour des frères John et Jeff Murphy, accompagnés de Gary Klebe. Ils enregistrent des chansons sur leur 4 pistes dans le salon de Jeff, pour le plaisir, sans trop chercher à en faire commerce. En 1977, l'un de ces enregistrements maison, "Black Vinyl Shoes", atterrit dans les mains de PVC qui réédite le disque, attirant au passage l'attention du pape Greg Shaw qui sortira à son tour un single du groupe. Elektra signe alors les Shoes et c'est parti pour trois albums. "Present Tense" (1979) est une réussite qui si elle ne fait pas montre d'autant d'énergie que la plupart des groupes powerpop d'alors, compense par une remarquable écriture pop : des mélodies travaillées, un son excellent et des harmonies très réussies. La suite est forcément un brin décevante, mais de toute façon avec "Present Tense" et des titres comme Tomorrow night les Shoes avaient gagné leur place au panthéon de la pop ouvragée.


(Cheap Trick - Oh Candy)

Venus eux aussi de l'Illinois (Rockford), Cheap Trick sont les héritiers d'une tradition plus musclée de la powerpop proche du hard rock (*14), ce qui leur vaut les faveurs du public, notamment japonais comme en témoigne un live enregistré au Budokan. Leur look unique et un son capable d'appater un public pas forcément sensible aux groupes trop marquées par la British Invasion en font l'un des groupes essentiels du genre (avec par exemple un single comme Oh candy, tiré de leur premier album). Contrairement à beaucoup de formations ils parviendront à survivre à l'inévitable retour de flammes. En enregistrant une reprise de In the streets pour le générique de la série That 70's show, on peut dire qu'ils ont bouclé la boucle.


(The Rubinoos - I want to be your boyfriend)

The Rubinoos venaient de Berkeley près de Frisco, et ils étaient excellents. Auteurs de deux très bons albums dans une veine bubblegum parfois proche des Beach Boys ou des Archies (soit la pop californienne dans toute sa splendeur, légère et fraiche comme un coca cola sur la plage), on se souvient surtout d'eux par le biais d'un procès avorté à l'encontre d'Avril Lavigne, dont la chanson Girlfriend ressemblait quelque peu à leur (très bon) I wanna be your boyfriend, un petit classique de powerpop qui ne doit pas faire oublier le reste de leur discographie. S'ils ont raté le coche de peu, leur single I think we're alone now, une très belle reprise de Tommy James and the Shondells, avait somme toute bien démarré dans les classements mais fut freiné dans son ascencion par le label des Rubinoos, qui n'arrivait pas à suivre et ne put approvisionner assez rapidement les revendeurs.



(The Real Kids - All kindsa girls)

Avant de boucler ce petit tour des Etats Unis, on se doit de faire un petit détour par Boston. Cet avant-poste punk en Nouvelle Angleterre fut aussi un bastion powerpop. John Felice, un ancien Modern Lovers y fonde en 1972 le futur grand groupe de la région, les Real Kids. Leur premier album, un classique intemporel bardé de tubes imparables comme All kindsa girls (un titre péchu, stylistiquement proche du punk rock), ne parait pourtant qu'en 1978. Le groupe jouit d'une belle popularité en France et les reformations successives feront souvent un détour par chez nous, à tel point que le label francilien New Rose sort certains albums du groupe dont "Outta place", le second. A Boston également, les Paley Brothers signent sur SIRE un excellent et unique album, le plus pertinent représentant du versant bubblegum de la powerpop. Avec leurs gueules d'anges, ils sont du pain béni pour les journaux de minettes mais malheureusement ça ne leur permet pas vraiment de cartonner et ils connaitront plus de succès en se reconvertissant, notamment Andy Paley, qui devient producteur et finit par travailler avec Brian Wilson (un rêve de gosse).

(Un coup d’œil à l'esthétique visuelle des disques phares de l'époque, répertoriés en fin d'article)

Avant de refermer ce numéro consacré aux groupes américains de la fin des 70's, je me dois encore d'en citer quelques uns qui méritent votre attention. A Los Angeles il y a les Last (premier album génial, powerpop punky aux accents 60's, pas loin du Paisley Underground) (*15), les Quick (un unique album, excellent dans le genre powerglam, produit par Earle Mankey ex-Sparks), les Pop (également produits par Earle Mankey, leur premier album reste super, notamment le morceau Down on the boulevard), Code Blue ou encore les Zippers (un peu moins indispensables mais leur mini-LP produit par Ray Manzarek n'est pas mal)... A New York il y a les Milk'n Cookies produits par Muff Winwood et auteurs d'un seul album en 1975, très correct, dans une veine glam proche des Quick et auquel il manquerait un ou deux tubes pour réellement sortir du lot. Big Star a trouvé un successeur dans les Scruffs, une belle formation de Memphis (dont je vous recommande l'excellent "Wanna meet the scruffs?"). Et puis il y a aussi Nikki & the Corvettes à Détroit (*16) , les Dirty Looks de Staten Island, les Moberlys de Jim Basnight à Boston et ainsi de suite, la liste est longue... Et ça n'est que pour vous donner une idée de ce qu'il pouvait bien subsister de pop mélodique dans la seconde moitié des 70's... aux États Unis. Outre Atlantique, les britanniques, garants du drapeau, ne chômaient pas. Je vous invite à découvrir l'autre versant d'une même période la semaine prochaine dans un nouveau numéro de Powerpoptimisme.


Alex Twist



(*1) : Le titre a été repris par Blondie et est devenu un tube planétaire.

(*2) : Le 45T part autour de 90$ sur eBay.

(*3) : Avec les titres Paper doll et One way ticket, une sortie avortée parmi de nombreuses autres chez Bomp.

(*4) : "One Night In America" est sorti en 1988 et le récent "Live Beg Borrow & Steal" a été publié chez Alive Records.

(*5) : CF Powerpoptimisme #1.

(*6) : Ils ont d'ailleurs repris les deux: I'll feel a whole lot better des Byrds, et Misery des Fab Four.

(*7) : SIRE a réédité les Nuggets de Lenny Kaye
en 1976 et enchainé en sortant le premier LP des Ramones. Suivront dans le rooster du label américain : les Talking Heads, Undertones...

(*8) : Doug Fieger avait déjà sorti deux LPs avec un précédent groupe (Sky) au début des 70's.

(*9) : La plupart des groupes dont il est question dans ce numéro se sont formés en même temps, voire avant les groupes punk de la première vague. Cela tend à exclure la thèse selon laquelle la powerpop (la part "rock" de ce que l'on a appelé new wave) ne serait qu'une édulcoration du punk rock. Il s'agirait plutôt de deux genres musicaux simultanés.

(*10) : Mitch Ryder and the Detroit Wheels, Bob Seger, MC5, les Stooges, etc. Allez jeter un œil à cette playlist.


(*11) : To still have fun with 3 chords

(*12) : Dont sont également originaires les excellents Dwight Twilley Band fondés autour de la paire Dwight Twilley & Phil Seymour, des potes de Tom Petty, lequel a même participé à leurs deux albums, que je vous recommande vivement !

(*13) : Dont le nom a inspiré l'une des plus célèbres séries de compilations de powerpop.

(*14) : Il faut citer deux autres groupes de l'Illinois au son assez proche : Off Broadway et Pezband.

(*15) : A noter qu'ils ont sorti deux albums chez SST, le label prog punk de Greg Ginn (leader du groupe hardcore Black Flag) et un autre sur le label français Lolita.

(*16) : Un unique album sur Bomp produit par un mec des Romantics. Ça s'en rapproche pas mal. La chanteuse a aussi contribué au disque de Paul Collins récemment réédité ("King of Powerpop").


P.S. : Pour aller plus loin, voici deux setlists à mettre à profit selon vos envies. Farfouillez chez vos disquaires favoris et tentez de retrouver à des prix dérisoires ces LPs qui ont jalonné les seventies de pépites mélodiques !


États Unis, 1975-1980 : Les albums classiques :

01 Flamin' Groovies - Shake some action (1976)

02 The Knack - Get the Knack (1979)

03 The Romantics -
The Romantics (1979)
04 The Beat -
The Beat (1979)
05 20/20 -
20/20 (1979)
06 The Shoes - Present Tense (1979)

07 Real Kids -
Real Kids (1978)
08 Cheap Trick -
Cheap Trick (1977)
09 Plimsouls -Plimsouls (1981)



États Unis, 1975-1980 : Les trésors cachés :

01 The Scruffs - Wanna meet the Scruffs? (1977)
02 The Quick - Mondo Deco (1976)

03 The Pop -
The Pop (1977)
04 The Last - LA Explosions (1979)

05 Milk N Cookies -
Milk N Cookies (1975)
06 The Rubinoos -
The Rubinoos (1977)
07 The Paley Brothers -
The Paley Brothers (1978)
08 Dwight Twilley Band - Sincerely (1976)

09 Nikki and the Corvettes -
Nikki and the Corvettes (1980)
10 Dirty Looks -
Dirty Looks (1980)

3 commentaires:

  1. Méchant article! Merci, pour votre écriture et les références!
    À très vite!
    julien

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  2. super artice!
    elle est bien bonne sharona!

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  3. Shake some action est géante, ouais ! :)

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