C'est un peu facile de réserver aux Sonic Youth Recordings (SYR donc) la place d'étrangetés inégales que l'amateur découvre après avoir fait trois fois le tour de la discographie pléthorique du groupe. Pour ceux qui n'auraient pas suivi, depuis 1997 cette série d'albums parallèles à la carrière des héros soniques laisse principalement place à leurs velléités expérimentales et instrumentales, parfois sous la forme de projets particuliers (une improvisation live avec entre autres Merzbow, des reprises de musiciens d'avant-garde, une collaboration avortée avec Agnès B...). Cette dynamique de création est d'ailleurs libérée de toute contrainte puisque les SYR sont distribués par un label du même nom créé par le groupe. On pourrait dire que le "Whitey Album" de Ciccone Youth, dont le confrère lamu vous avait causé un brin, est en quelque sorte un projet du même type que les SYR, mais qui les précède de dix ans.
("Original Enregistrement Sonore", vraiment ?)
Cette fois-ci, le neuvième épisode de la série est dédié à la bande originale du premier film du français Fabrice Gobert, "Simon Werner a disparu", sorte de thriller lycéen qui malgré quelques maladresses est tout de même une vraie bonne surprise, mais là n'est pas le sujet. Sonic Youth n'en est pas à sa première bande originale (entre autres, on pense surtout à "Demonlover" d'Olivier Assayas), mais c'est la première à occuper une telle place dans la carrière du groupe. Car en réalité c'est un peu plus qu'une bande-originale : le film est loin d'utiliser tout le matériel réuni ici, et il se permet d'emprunter tout autant à la carrière antérieure du groupe (Schizophrenia, sur "Sister" (1987)). A partir des thèmes composés pour chaque personnage, Sonic Youth va tirer de cette ambiance pleine de frustration, de silence et d'ennui, près d'une heure de musique habitée.
(Thème de Simon)
Car ce neuvième SYR est un disque hanté. Les harmonies sont lumineuses, mais blafardes, inconfortables, comme ces quelques notes de piano en arpèges irréguliers qui viennent suspendre le temps comme dans un songe incertain. Les thèmes, comme les personnages du film, semblent se croiser, se louper de peu, se tourner autour, et on peut entendre à la fin d'un morceau le riff d'un autre commencer à prendre place avant de s'évanouir dans le fade out, rythmiques et harmonies converger de manière obsédante. Ce qui fait qu'un nouveau disque de Sonic Youth reste excitant même sans jamais vraiment être un revers stylistique, c'est qu'il sonne toujours aussi bien : des crachats et grésillements parasites de saturation aux accords ouverts égrenés dans la brume, de la rigueur sèche des rythmiques de Shelley au piano poussiéreux et délicat, chaque élément est à sa place avec une précision clinique. Le disque vaut évidemment beaucoup pour le morceau qui le clôt, le Thème d'Alice et ses écrasantes treize minutes qui se déroulent avec un sens de la narration qu'on n'avait pas entendu chez le groupe depuis presque dix ans. Cette cavalcade héroïque, traversée par l'un des thèmes les plus beaux et mélancoliques de leur carrière, voit Kim, Thurston, Lee et Shelley avancer tel un seul homme vers la lumière avec une liberté et un naturel symbiotiques.
(Thème d'Alice)
En fait, il est vraiment enthousiasmant d'entendre le groupe prendre plaisir à dépasser franchement le cadre de l'exercice demandé et suivre jusqu'au bout son inspiration dans une totale liberté, et de ce fait réaffirmer le vrai talent mélodique de ses membres, ce qui est d'autant plus fort que cette heure de musique est entièrement instrumentale. Et mine de rien, sans en avoir l'air, ce SYR pose des questions sur ce qui va suivre : même si le piano a déjà été utilisé par Sonic Youth auparavant (je pense à la douce mélodie mélancolique de Secret Girl sur "EVOL" (1986), mais je doute que ce soit le seul exemple qu'on puisse trouver), il occupe ici une place inédite qui apporte beaucoup aux ambiances éthérées et mystérieuses tissées par les habituelles guitares, et l'on espère bien l'entendre à nouveau dans un LP futur (j'espère qu'on est d'accord, la carrière de Sonic Youth ne s'arrêtera bel et bien jamais, je l'affirme avec fermeté).
J'ajoute que personne ne l'a remarqué, mais Mark Ibold, l'ex-bassiste de Pavement qui avait rejoint le groupe sur scène (dès 2007) puis en studio au moment de "The Eternal" (2009) pour pallier aux problèmes de poignet de Kim Gordon, n'apparaît pas dans les crédits. Pourquoi donc ? Va-t-il revenir ? Le groupe aurait-il retrouvé un équilibre de quatuor ? J'en sais fichtre rien, mais en tout cas j'ai pris la liberté de re-tagger l'album "Mark Ibold a disparu" dans mon iTunes en guise d'hommage. Faites ce que vous voulez de cette vanne.
Thelonius H.
Thelonius H.
4 pour "ça"?!!
RépondreSupprimerPeux-tu préciser ta pensée ? DEBATTONS !
RépondreSupprimerJe pense tout simplement que Mark Ibold a rejoint Pavement lorsque ces derniers se sont reformés circa 2009-2010 et que du coup il n'était plus là. Puis peut-être que le poignet de Kim va mieux aussi ! Thurston semble ne plus en avoir besoin pour se faire plaisir : il sort de bons albums solos acoustiques à la place :D
RépondreSupprimer(oubliez cette vanne par pitié)
Pire vanne !
RépondreSupprimerJe trouve (peut-être comme notre cher anonyme ?) que Sonic Youth a sorti là un truc pas mal, propre et tout, mais c'est du déjà entendu quand même, on dirait Washing Machine part.2.