C'est entendu.

mardi 14 juin 2011

[Extinction] Sparklehorse


Avant propos :

Le 6 Mars 2010, Mark Linkous s'est tiré une balle en plein cœur et a mis fin à Sparklehorse une bonne fois pour toutes. Le lendemain matin, apprenant la nouvelle, bouleversé, je me lançai dans cet article ému. Seulement cette journée-là était loin de toucher à sa fin et après une demie heure de rédaction, une désillusion personnelle sans aucun rapport avec Linkous me tomba par surprise sur la tête et sans rentrer dans les détails, imaginez-vous que terminer cet article de nature forcément déprimante m'ait semblé dès lors impossible.
Un an plus tard, tout est digéré et cet article n'a que trop pris la poussière. Sparklehorse me semble plus que jamais d'actualité (vous saurez pourquoi demain) et il était temps que je vous raconte cette histoire-là.

J.G.


Pour certains c'étaient les Beatles, ou bien les White Stripes, les Libertines, New Order... Pour d'autres ce furent les Snobs, les Pixies, Radiohead. Moi c'était Sparklehorse. Les découvertes de "Vivadixiesubmarinetransmissionplot" (1995) et "Good Morning Spider" (1998) furent autant de révélations. Pas de celles qui génèrent une vocation d'artiste (ni de critique, d'ailleurs) mais qui consolident à jamais une adoration sans borne pour un certain genre de musique, qui créent une envie mordante d'apprendre à jouer de la guitare pour interpréter Cow, Sick of Goodbyes ou Most beautiful widow in town, dans son coin en bon adolescent para-émo des familles.



(Hammering the cramps, sur "Vivadixie")

C'est un camarade de classe qui m'avait fait écouter "Vivadixiesubmarinetransmissionplot". Lui était profondément marqué par le hip hop et notamment la côté Est des Etats Unis (c'est aussi à lui que je dois d'avoir aimé très tôt A Tribe called Quest) et en dehors de ça il n'écoutait que quatre ou cinq groupes de la sphère "pop" : Radiohead, surtout, et puis Pink Floyd, les Smashing Pumpkins (c'était il y a dix ans, certains d'entre nous y croyions encore), les Cure et Sparklehorse. Ce groupe-là je n'en avais jamais entendu parler et pendant des années il n'y a qu'avec lui que j'allais pouvoir en discuter. Même aujourd'hui, je ne connais pas grand monde que la musique de Mark Linkous ait autant bouleversé que nous deux. Des amateurs, bien sûr, il y en a, mais quelqu'un pouvant comprendre l'impact d'une chanson comme Cow ou prêt à débattre autour du texte de Pig ou de la guitare de Happy Man, je n'en ai jamais rencontré.



(Homecoming Queen, la chanson qui ouvre le premier album)


En y réfléchissant bien, Sparklehorse est le tout premier groupe indie qu'il m'ait été réellement donné d'entendre. Je ne suis pas venu à la musique pop par le punk et mes amours adolescentes allaient à des artistes déjà signés sur des majors. Avec Sparklehorse j'ai découvert à la fois cet aspect moins propre, le concept-même de lo-fi (rappelons que Linkous était gaga de la musique de Daniel Johnston, dont il a repris de nombreuses chansons, comme Hey Joe, et avec lequel il a travaillé, notamment sur l'album "Fear yourself" en 2003) et une liberté, une détente que je ne connaissais pas. Les deux premiers albums de Sparklehorse, puisque c'est de ceux là qu'il est question (les deux suivants, même s'ils sont réussis, me touchant beaucoup moins), en plein cœur des années 90, participaient d'une époque à laquelle Pavement avait démocratisé une attitude d'ados jemenfoutistes prônant un cool oisif et de mous geignements flemmards. Linkous n'a jamais été comparable à Malkmus. Trop déprimé, trop rural pour ça. Mais sa musique, si elle mêlait rock (sur des instantanés beuglés comme Pig) et fragments épars de country alternative (avec des hymnes improbables à la campagne comme Cow) d'une façon inédite, et avec une permanente dose maximale de mélancolie désabusée, n'était pas si différente des standards qui tapissaient les ondes indés à la fin des 90's (de Eels à Beck en passant par Mercury Rev et les Flaming Lips) et dont il s'inspirait (comme avec la reprise du Sick of Goodbyes de Cracker) et avec qui il partageait un songwriting parfois à la limite de Dada (les paroles de Saturday commencent par "You are a car, you are a hospital", celles de Pig disaient "I wanna be a pig, I wanna fuck a car").



(Pig, l'ouverture de "Good morning Spider" reste la plus violente déflagration sonore de Linkous)


Cow, c'était un banjo en guise de seconde guitare et l'éventualité affirmée de la mutation de la musique pour le profane que j'étais, amateur de country & western en devenir par-dessus le marché, et je découvrais l'Amérique profonde sous un angle plus proche de moi que celui choisi par Morricone, mon unique référence en matière de composition liée par synesthésie à la Terre Américaine.

A travers cet exemple, c'est la possibilité d'innombrables métissages, d'incalculables vulgarisations qui m'était livré. Le champ des possibles de la musique populaire. En même temps que l'invitation Do It Yourself des Desperate Bicycles, bien avant que je n'entende parler d'eux : jouer ou chanter Cow ou Homecoming Queen ne demandait pas une grande maitrise instrumentale ou vocale, et invitait de ce fait à prendre soi-même les armes pour défendre son lopin de terre.



(Cow)


C'était une profession de foi et j'avais l'impression de faire partie de la poignée d'élus à l'avoir parcourue sans relâche. Une des quelques grandes odes à l'indépendance, à la ré-appropriation de la musique et au do-it-yourself, que je ne comprenais pas entièrement, pas tout de suite, mais que je prenais d'emblée pour ma porte d'entrée très personnelle vers un Monde Nouveau, une nouvelle façon de penser et de vivre.

Malgré tout le cynisme dont je peux faire preuve aujourd'hui (dix ans après cette épiphanie) vis à vis de l'indie rock ou de la musique populaire en général, la mort de Mark Linkous n'a pas marqué de limite métaphorique aux possibilités de ce genre musical ou de cette idéologie. Ça n'a été qu'une déception, celle de voir l'un de ses héros lâcher l'affaire de façon inattendue (je pensais qu'il se tuerait après "It's a wonderful life", à vrai dire) mais résignée. On préfère tous nos idoles quand elles ne font pas de vieux os. De cette façon, elles restent des idoles.



(Sick of goodbyes)


Joe Gonzalez

13 commentaires:

  1. Excellent article.

    RépondreSupprimer
  2. Pour d'autres ce furent les Snobs, les Pixies, Radiohead.

    hum.. c'est qui les Snobs?!?

    RépondreSupprimer
  3. Chouette article.

    C'est marrant comme tu ignores (et tu n'es pas le seul) "It's a Wonderful Life", mon préféré de très très loin : la chanson-titre-opener est sans doute ma chanson préférée de Linkous. C'est par celui-là que j'ai commencé cela dit, en passant par la case PJ. Mais rétrospectivement, les deux précédents sonnent hyper alt-rock et ce son-là n'a pas très bien vieilli.

    Et merci de m'avoir rappelé combien c'était con d'écouter encore les Pumpkins en 2000.

    RépondreSupprimer
  4. Les Snobs, c'est un duo originaire de Milly la Forêt en région parisienne, auteurs d'une bonne quinzaine de disques depuis 2003, dont on parle régulièrement sur C'est Entendu. Ils font partie de l'underground français que nous approuvons et supportons de toutes nos forces. Nous chroniquons leur nouvel album très prochainement, d'ailleurs.

    RépondreSupprimer
  5. Joseph > Je n'ignore pas les deux autres albums, je les trouve tous les deux très réussis ! Seulement, cet article faisant état de ma découverte adolescente, il ne pouvait être question que des deux premiers LPs. Par ailleurs, si je trouve une bonne moitié des morceaux du troisième album magnifiques, je considère malgré tout que c'est le moins réussi des 4, car inégal. Le dernier est une sacrée perle aussi, mélancolique à souhait et réussissant à conserver le son de "Good morning spider" tout en l'actualisant.

    RépondreSupprimer
  6. OK mais qui connaît les Snobs? C'est ironique dans ta phrase?!^

    RépondreSupprimer
  7. Pas mal de gens commencent à connaitre les Snobs et non ça n'avait rien d'ironique. Ma phrase n'impliquait pas que chaque groupe cité devait avoir vendu des millions de disques.

    Si tu crois que beaucoup de monde connaissait le Velvet Underground en 1968 ou que Daniel Johnston était ultra connu en 1990 (8 ans après ses premiers enregistrements et au sommet de sa carrière), tu te fourres le doigt dans l’œil. Pourtant ce mec a inspiré Kurt Cobain, Sparklehorse et la moitié des mecs qui ont joué de l'indie-truc aux US depuis.

    RépondreSupprimer
  8. Hum... on est plus en 68 ni en 90, les temps ont changé.
    Je ne connais personne qui connaisse les Snobs, j'en ai jamais entendu parler et je suis pourtant dans le milieu... Mais si tu le dis! J'attend impatiemment d'écouter la flopée de groupes qui vont s'inspirer d'eux haha!

    RépondreSupprimer
  9. Les temps ont certes changé et quelqu'un "dans le milieu" comme toi devrait savoir que ça implique une plue grande possibilité encore pour un groupe underground d'influencer son monde. En l'occurrence, je n'ai pas placé les Snobs au milieu de tout ça pour faire plaise à des potes, ni pour me la jouer "chuis underground tu connais même pas ce groupe donc t'es un nul". Non, j'ai énormément de respect pour les Snobs et je connais de nombreux groupes qu'ils ont influencés. Je ne les sors pas non plus de mon chapeau, on a déjà beaucoup parlé d'eux ici et ils ont été chroniqués chez Rock&Folk, MagicRPM et dans un autre registre ils ont eu un beau papier sur le blog de Julian Cope.

    Ca n'est pas parce qu'on n'a jamais entendu parler d'un groupe que ce dernier n'existe pas ou n'est pas important, et ce même si l'on fait partie "du milieu". Au contraire. Je sais très bien que je ne connais pas tous les petits groupes undergrounds qui existent et si je tombe sur le nom de l'un d'entre eux, que je ne connais pas, je ne pense pas me dire "j'ai jamais entendu parler d'eux, ils doivent être nuls" mais plutôt, "ah tiens, je devrais peut-être m'y intéresser et me faire mon opinion", ce qu'un mec comme toi, "du milieu", devrait faire lui aussi non ?

    Ton mépris, sans même t'être renseigné, ça donne pas une image "jolie jolie" du "milieu", si tu veux mon avis.

    RépondreSupprimer
  10. Très bel hommage, dont la lecture m'a amené à réécouter ces albums (et aussi It's a Wonderful Life) avec plaisir (je les avais peut-être même jamais autant appréciés).

    J'écouterai aussi le dernier, du coup.

    RépondreSupprimer
  11. Le dernier devrait te plaire, TANK ! Content de t'avoir fait passer un palier :)

    RépondreSupprimer
  12. Je te dirai ça sous peu ! :)
    Et j'ai effectivement et littéralement "passer un palier" comme tu dis.

    RépondreSupprimer
  13. En recherche d'info sur "Before Today" d'Ariel Pinks Haunted Graffiti, je tombe sur ce blog. Intrigué, je fouine un peu et tombe sur cet excellent article parlant de mon héros tragique Mark Linkous.
    Sparklehorse comme premier groupe indie écouté, pas mal du tout. Moi, ce fut le Punk alternatif français (Bérurier Noir & Co) et MON groupe qui me suit depuis, NOIR DESIR. Normal, étant né en 1975, j'ai vécu à donf le rock alternatif Made in France.
    Je comprend ton choc d'ado face à ce songwriting sous valium fait de ce mélange virtuose de folk déglingué, de country-rock lunaire, de pop psyché et mélancolique et de subtiles touches d'électronique !! Perso, j'ai découvert Sparklehorse à l'époque de la sortie de "It's a wonderful life".

    "On préfère tous nos idoles quand elles ne font pas de vieux os. De cette façon, elles restent des idoles." Hélas, c'est exactement vrai.
    La recette pour être une icône : mourir tragiquement, jeune si possible et en pleine gloire. Statut culte assuré !!

    Allez, à + et malgré l'apathie ambiante, écoutons Linkous nous dire que c'est une vie magnifique !!!!

    RépondreSupprimer